On croit avoir tout dit, tout communiqué, il en reste encore. Le Maroc fait savoir partout que c'est le pays de la tolérance par excellence. De la générosité et des palaces. Il y a pourtant une occasion qui se présente une fois l'an et qui n'est pas exploitée. On veut espérer que cette lacune sera comblée l'an prochain. Il s'agit du nouvel an, fêté universellement. Pour le monde chrétien c'est la Saint-Sylvestre. C'est là que nous devons frapper un grand coup médiatique. Le passage à la nouvelle année en festoyant n'est pas à la portée de tous. Pour beaucoup c'est simplement une fin de mois comme les autres, en attendant le 10 pour entamer les emprunts. Ceux que la fortune caresse observent ce qui est devenu un rituel avec un enthousiasme nonchalant. La routine use. Ceux qui fêtent vraiment le nouvel an ce sont ceux qui forment ce qu'il est convenu d'appeler les classes moyennes, ayant tendance à s'effriter par ailleurs. Or il s'avère que pour ripailler à la manière de ceux du dessus, les produits sont de plus en plus chers alors que les revenus poursuivent leur course en sens inverse. Il est urgent de prendre cette situation au sérieux et d'y remédier. Le Maroc a parfaitement raison de faire savoir qu'il est la terre de la tolérance universelle. C'est d'autant plus remarquable qu'on ne sait pas qui est Saint-Sylvestre. L'amenuisement des revenus moyens risque de porter un préjudice considérable à cette ouverture qu'on ne trouve pas dans d'autres contrées. Cela ne concerne pas que le calendrier grégorien. Il y a également de la cohésion sociale. On sait que durant le mois sacré de Ramadan un certain nombre de défavorisés reçoivent un panier contenant l'Iftar de la solidarité, avec en prime la télévision après laquelle tant de gens courent sans succès. Pour une soirée, celle de la Saint-Sylvestre, et pour montrer que le Maroc tolérant n'est pas une fable, il faut trouver une solution similaire à l'Iftar et en faire bénéficier quelques éléments représentatifs de la classe moyenne. On notera qu'un bol de harira revient moins cher qu'une demi-douzaine d'huîtres. Ces repas seront servis à domicile ou dans un grand restaurant de la place. Cette dernière solution est la plus attrayante et la plus bénéfique. Car réveillonner sans cotillons c'est comme bronzer idiot. Cela fournira des images valorisantes qui seront transmises par satellites aux télévisions mondiales. Elles complèteront celles de l'un de nos anciens premiers ministres se recueillant dans une église aux côtés d'une ambassadrice américaine. La réputation du Maroc tolérant sera ainsi universellement reconnue et admirée. Elle le sera davantage quand les heureux élus feront honneur à un menu soigneusement élaboré. D'autres pays qui voudraient suivre la voie marocaine se suffiraient de l'idée et composeraient un menu autochtone, ce qui n'aurait pas la même signification forte. Les personnes choisies chez nous ne s'accroupiront pas autour d'un tajine ou d'un couscous, ce qui se fait tous les jours et passerait inaperçu aussi bien que la tolérance qu'on veut faire valoriser. Bien évidemment, on commencera par un menu français la première année, pour souligner l'affection qui lie le Maroc à la France, affection qui résiste aux Corses qui hurlent "Arabi fora", et aux continentaux –pas tous- qui distribuent à nos compatriotes les mêmes gracieusetés que n'effacent pas certaines récupérations. Revenons au menu, c'est plus gratifiant. Tout d'abord, pour mettre les convives en condition, chacun recevra 150 gr de cotillons, confettis et serpentins pour garnir la table. Ensuite une demi-douzaine d'huîtres de Oualidia –économie locale oblige- suivie d'une langouste à l'armoricaine, talonnée par une dinde aux marrons –économie nationale toujours-, une bûche couronnera le tout. Une boisson fraîche et gazeuse rendra l'atmosphère encore plus conviviale, surtout que par là traîneront des mignardises. Ce réveillon digne de la Saint-Sylvestre ne laissera personne douter de notre tolérance. Mais pas seulement. Au fil du temps, et d'année en année, il est certain que les morsures de l'envie rendues plus brûlantes par le désir de consommer plus que le voisin, mieux que lui, ou pour le moins, autant que lui s'évanouiront. Reviendra alors le temps de la revendication annonciatrice du réveil des syndicats et des partis. Sur cette note d'optimisme, on vous souhaite une bonne année 2005 qui se conclura, peut-être, par un réveillon chinois.