Rapport de l'IER Conformément aux directives royales, l'Instance Equité et Réconciliation vient de rendre public le rapport sur les exactions commises lors du précédent règne. Attendu avec impatience, le document ne fait toutefois pas l'unanimité auprès de plusieurs ONG, notamment l'AMDH et le Forum Vérité et Justice, ainsi qu'auprès des familles des victimes de l'arbitraire. Les Marocains sont-ils réconciliés avec le système sécuritaire et ont-ils soldé à bon compte une époque peu glorieuse de l'histoire de l'ancien règne ? Il semble que oui. Du moins, la réconciliation est en cours. Le mur de glace qui caractérisait ce rapport a subitement fondu. Comme si le travail de l'Instance équité et réconciliation ( IER ) a été justement ce déclic qui a permis cette normalisation longtemps attendue. Un passage obligé de la pacification des rapports, auparavant conflictuels, entre l'Etat et la société. Créée par le Roi Mohammed VI en 2004, l'IER a eu les moyens de son ambition. Au point que ses conclusions constituent une première dans les annales des commissions de réconciliation ayant existé dans près de 32 pays dans le monde. Il y a eu, évidemment, depuis le milieu des années 90, l'amnistie royale des prisonniers d'opinion et des exilés politiques, la création du Conseil consultatif des Droits de l'Homme, mais, comme le souligne Driss Benzekri président de l'IER, le travail a abouti à des clarifications et des élucidations d'un large pan de cette page noire de l'histoire du Maroc. À partir de son approche globale pour la réparation des préjudices, l'IER s'est ainsi employée à la relier au reste de ses missions portant sur la quête de la vérité, la consécration de la justice et la promotion des valeurs de réconciliation. Au terme de cette mission, les Marocains ont appris qu'ils revenaient de loin. «Je pense que sur le plan de la vérité au cas par cas des violations, nous n'avons rien négligé, comme nous n'avons rien laissé dans l'ombre. Nous avons tout examiné… L'IER a permis d'ouvrir des pistes importantes pour l'avenir, de la même manière qu'elle a établi la démarche à suivre pour résoudre le problème de façon définitive. Maintenant, c'est au gouvernement et autres acteurs de valoriser cet acquis», a déclaré en substance Driss Benzekri dans un entretien accordé à l'hebdomadaire la Vérité. Les mesures allant dans ce sens ont d'ailleurs commencé à prendre forme, comme il est le cas dans la caserne jouxtant Tazmamart et qui a été évacuée par l'armée pour y entamer une opération de transformation en espace contenant un cimetière pour les victimes ayant perdu la vie sur place. L'opération d'évacuation de l'immeuble dont le rez-de-chaussée abritait le centre de détention de Derb Moulay Chérif et de relogement de ses habitants, actuellement en cours, doit déboucher sur la transformation de cet ancien centre de torture en espace artistique, culturel et social. Toutefois, le rapport de l'IER ne fait pas l'unanimité auprès de plusieurs ONG, notamment l'AMDH et Forum vérité et justice ainsi qu'auprès des familles des victimes de l'arbitraire. La première raison, qui vaut son pesant d'or, le rapport de l'IER omet de citer nominativement les tortionnaires et leurs donneurs d'ordres, dont certains sont encore en fonction et qui doivent être identifiés et traduits en justice. La deuxième, c'est l'affaire des fosses communes découvertes à Casablanca comme à Fès, qui a soulevé l'indignation des familles des victimes ainsi que des ONG des droits humains. Ils redoutent ainsi que l'inhumation des corps dans des tombes individuelles fasse disparaître des indices indispensables pour poursuivre les auteurs des tueries. Par ailleurs, trois ONG marocaines de défense des droits humains avaient exprimé mardi dernier leur inquiétude devant la destruction de preuves matérielles concernant les victimes des manifestations du 21 juin 1981. Les ONG reprochent globalement au rapport de l'IER de ne pas aller assez loin dans la recherche de la vérité et de ne rien apporter de neuf, notamment dans l'affaire Ben Barka. Sur cette question Driss Benzekri n'a pas été trop convainquant: «Nous avons traité ce dossier d'un point de vue conforme à notre mission. Mais malheureusement, cela n'a pas pris l'ampleur qu'on aurait souhaitée, à cause notamment, des positions des acteurs les uns par rapport aux autres. Par ailleurs nous avons soutenu la famille dans sa démarche. De même, nous avons poussé l'Etat marocain à faire la lumière sur le dossier. En rappelant, quand même, que la France avait une responsabilité fondamentale qui n'est pas terminée». Aux yeux du président de l'IER, comme le crime a eu lieu en France, c'est donc sur place que les recherches doivent s'opérer pour établir les responsabilités. Et de conclure : «je trouve légitime que certains milieux profitent de ce dossier et l'instrumentalisent comme bon leur semble pour critiquer le Maroc». “Années de plomb” : les chiffres Tout au long d'une année de travail, l'IER a examiné plus de 16 800 dossiers, entendu 200 victimes de la répression des «années de plomb», réalisant du même coup une première dans le monde arabo-musulman : retransmettre en direct à la télévision nationale les témoignages d'anciens torturés. Le document de l'IER -700 pages-, remis le 30 novembre au roi Mohammed VI et dont une synthèse vient d'être rendue publique, consacre, certes, une volonté d'apurer le passé. Il confirme «9.779 cas au moins d'atteintes aux droits de l'homme» sur les 16 800 dossiers étudiés. Selon l'IER, les répressions entre 1956 et 1999 ont fait 592 morts, dont 322 abattus au cours de manifestations. S'y ajoutent 174 personnes décédées lors de détentions arbitraires ou de «disparitions» et dont l'IER «n'a pu déterminer les lieux d'inhumation». 109 prisonniers seraient morts en outre en prison dans les années 70, 11 au cours des décennies 80 et 90. Enfin, 66 autres victimes «rassemblent tous les éléments de la disparition forcée». Et l'organisme de laisser entendre qu'il n'a pas fait la lumière sur tous les cas de violation présumés, notamment sur le sort de dizaines de dissidents portés «disparus».