Le salaire, son alignement sur le marché ou la surenchère ne constituent en aucun cas la solution absolue pour être attractif. Une image de marque employeur performante peut permettre une réduction significative du coût par embauche ainsi que du turn-over. Guerre des talents, management des talents, talent acquisition..., les expressions associant le vocable "talents" à la gestion des ressources humaines émergent partout, au point de se confondre avec la fonction RH elle-même. Loin de refléter une simple innovation marketing, et de vernir la fonction RH d'une simple couche cosmétique, cette émergence reflète la cristallisation des enjeux de la fonction RH, et sa montée en gamme croissante ou potentielle (selon les entreprises) vers la problématique stratégique d'alignement du capital humain sur les impératifs du business. Ces derniers, en quête d'agilité croissante et de transformation permanente, à la recherche de business-models additionnels et de nouveaux gisements de croissance, impose aux organisations de complexifier les relations hiérarchiques ou fonctionnelles, de décentraliser la décision, d'individualiser la responsabilité..., les organisations sont tenues, pour réussir cette mue managériale et organisationnelle, de disposer des meilleures ressources, de plus de compétences, des plus disponibles, des plus engagés, des plus à même de piloter la transformation. L'entreprise marocaine ne semble ainsi pas échapper à la tendance qui traverse partout ailleurs les acteurs structurés des économies développées ou émergentes : là où on parlait de qualification avant-hier et de compétence hier, on parle talent aujourd'hui. Cette logique, qui encourage l'agilité et l'innovation pour défier l'incertitude, s'accompagne d'une individualisation croissante dans la gestion des ressources humaines. Tout en continuant à investir dans des dispositifs qui permettent d'assurer un alignement des Hommes sur les organisations et une clarification des attentes en matière de performance et de compétences (classification des emplois, dictionnaire des compétences, dispositif de management par objectifs...), les directions RH évaluent en même temps la possibilité d'inverser leurs modèles de gestion pour individualiser la relation de l'entreprise au salarié et lui proposer davantage de sur-mesure. La RH emprunte ainsi de manière croissante au marketing le principe cardinal du parcours client. Le salarié est un client. Il faut y mettre le prix pour l'attirer puis le garder. Indéniablement, la problématique du prix, sur laquelle je souhaite m'arrêter, constitue au Maroc une préoccupation centrale des gestionnaires et responsables des ressources humaines. Pour attirer, retenir, fidéliser, faire grandir des talents, il faut de plus en plus s'aligner sur les niveaux de salaire du marché, voire surenchérir, et alimenter une bulle dangereuse à pleins d'égards pour l'avenir de notre économie et la compétitivité de nos entreprises. Il s'agira néanmoins de démontrer que la question de l'attractivité des entreprises et leur capacité à attirer ou retenir leurs talents ne se réduit pas à la question du juste prix, ou du prix fort. Certes, les talents font l'objet d'une guerre par le prix. C'est indéniable. Ainsi, à titre d'illustration, selon l'enquête annuelle de rémunération Total Remuneration Survey de Diorh-Mercer, les augmentations individuelles des salaires des managers se sont situées à un taux de croissance annuel moyen de 7% sur les 3 dernières années, soit plus de 3 fois l'inflation et plus de 2 fois la croissance moyenne du PIB du Maroc sur la période. Cette surenchère est une réalité incontestable. Nombreux sont les responsables de recrutement contraints d'aligner à la hausse les propositions salariales destinées aux jeunes diplômés pour pouvoir les recruter et les arracher à la concurrence. Faut-il pour autant se résigner à limiter l'enjeu d'attractivité des talents à la question suivante : Quel salaire devez-vous concéder pour vous payer ce talent ? Ne pourrait-on pas retourner la question de la manière suivante : Combien vous coûte la trop grande focalisation de votre politique RH sur la seule dimension salariale ?. Que devez-vous consentir à payer en salaire ce que vous n'avez pas investi en développant d'autres leviers RH? Quels sont les ingrédients de votre offre de service RH que vous avez oublié de développer? En somme, que coûte votre image de marque employeur? Plusieurs indicateurs mesurent de manière plus complète le prix/coût des talents Le prix des talents, ce n'est pas uniquement le salaire à consentir. Selon une approche «total cost», le prix des talents doit intégrer davantage de paramètres que la seule rémunération : le coût et les délais d'embauche, le coût du remplacement induit par le turn-over, le niveau de productitvité individuelle et collective des collaborateurs évaporé par un défaut d'engagement et par un climat social interne dégradé... Ces indicateurs mesurent de manière plus complète le prix/coût des talents et de manière plus effective la qualité de votre image de marque employeur. Un certain nombre d'études ont tenté de démontrer qu'une bonne image de marque employeur constitue un gisement important d'économie. Ainsi, investir dans le marketing RH (la démarche que l'entreprise entreprend pour construire une image attractive auprès de ses salariés actuels ou potentiels) permet de réduire le prix des talents. Deux études conduites en 2014 ont montré qu'une image de marque employeur performante pouvait permettre une réduction significative du coût par embauche (jusqu'à 50%) ainsi que du turn-over (jusqu'à 19%). Outre ces études formelles, nous avons pu constater à travers nos diverses expériences comme conseils de dirigeants ou de directeurs de ressources humaines que sur la seule dimension salariale, l'alignement des salaires sur le marché ou la surenchère salariale ne constituait pas la solution absolue pour s'assurer l'attraction et la conservation des talents au sein de l'entreprise. Une bonne image de marque employeur, fondée sur une offre RH cohérente et de long terme, permettait dans une certaine mesure de ne pas succomber aux sirènes du benchmark salarial et de la guerre des prix. Une entreprise de services ayant fortement investi dans des leviers «non monétaires» (entreprise apprenante, visibilité dans les parcours de carrière, prime à l'innovation et à l'engagement individuels) continuait à assurer ses importants besoins de recrutement (plusieurs centaines de recrutements annuels) et à contenir son turn-over (situé en deçà des standards de son secteur) en se permettant de payer 20% en dessous du marché. Dernier exemple pour illustrer l'invalidité d'une approche focalisée sur le niveau de salaire : une étude conduite récemment auprès de managers et de cadres employés auprès des plus grandes entreprises américaines s'est appuyée sur le croisement de 2 types d'information, d'une part, la situation salariale objective de chacun par rapport au marché (à partir des nombreuses études de rémunération disponibles), et, d'autre part, la perception de ces mêmes salariés du niveau de la compétitivité de leur salaire. Ainsi, près de la moitié des cadres interrogés, dont le niveau de salaire était objectivement aligné sur le marché ou situé au-dessus du marché, avaient néanmoins la perception d'un salaire inférieur au marché. Le benchmark salarial ne fait pas une politique de gestion des talents. Comment donc bâtir et animer une image de marque employeur performante, à même de construire une capacité à la fois à attirer les talents et à développer leur engagement dans le projet de l'entreprise ? Nous pensons que trois leviers sont à mettre en avant : la culture d'entreprise, le leadership et les opportunités. Si la culture d'entreprise doit permettre de développer et de synchroniser un ensemble de comportements individuels se reconnaissant dans un système commun de valeurs, le leadership renvoie davantage à la capacité des managers à faire partager la storyline collective, l'aventure commune, le projet d'entreprise, de manière à susciter une adhésion durable. Quant à la dimension opportunités, elle est la résultante concrète des différents processus opérationnels permettant de clarifier les futurs possibles sur lesquels chacun peut se projeter (rémunération, carrière, responsabilités...). Mettre en place une proposition de valeur employeur Ces trois piliers doivent être à la base les préoccupations de ceux qui construisent une image de marque employeur. Pour la définir, il convient de se pencher sur toutes les étapes du cycle de vie d'un collaborateur au sein de l'entreprise, et ainsi, sur tous les volets touchant de près la gestion des ressources humaines. Définir une image de marque employeur constitue un processus continu, et implique de s'inscrire dans le cadre de l'expérience d'emploi du collaborateur, qu'il convient de définir selon une perspective élargie intégrant tout aussi bien les rôles et interactions des différentes parties prenantes (collaborateurs, candidats potentiels, investisseurs, clients, fournisseurs, partenaires...) A la lumière de ces différents développements, il doit apparaître clairement que le point de départ, voire la pierre angulaire de l'image de marque employeur, c'est la proposition de valeur que l'entreprise offre aux employés (autrement dit la PVE). La PVE, qui doit constituer l'instrument de base pour construire une stratégie de marque employeur, peut se définir comme la valeur constante de l'expérience d'emploi proposée aux employés et aux candidats. Elle s'intéresse essentiellement à ce qui intéresse l'employé, à ce qui lui importe, et non pas uniquement à ce qui intéresse l'entreprise. Pour la définir et l'élaborer, la démarche doit intégrer le plus grand nombre. Assurer une PVE pertinente implique en effet de pouvoir interroger les collaborateurs sur ce qui leur importe réellement, sur leur moteur d'incitation, sur les raisons qui devraient les pousser à travailler pour l'entreprise. Il convient également de les interroger sur les sources de satisfaction que leur procure l'entreprise, sur les raisons qui les y font rester. Cet exercice permet ainsi de faire ressortir les principales raisons qui font de votre entreprise un «Great Place to Work», un bon milieu de travail, et de les croiser ensuite avec les objectifs stratégiques et opérationnels de l'entreprise, de manière à en identifier les interactions et points communs, et énoncer ainsi une PVE pertinente. Cette dernière doit du reste être testée auprès des employés, soit à travers des focus groups, soit à travers les enquêtes régulières de satisfaction ou d'engagement que l'entreprise ne peut manquer de conduire auprès de ses salariés. La PVE, une fois affinée, doit servir d'outil de base à chaque communication interne et irriguer les comportements managériaux des gestionnaires et responsables. Investir dans une image de marque employeur, soutenue par une proposition de valeur aux employés robuste et simple, constitue ainsi le véritable levier d'attractivité et de gestion des talents. Son coût net, qui intègre l'investissement consenti pour bâtir et déployer la PVE, mais qui prend en compte les économies que l'entreprise peut faire en réduisant son turn-over, en améliorant la productivité par un meilleur engagement et en réduisant les délais de recrutement, constitue bien le véritable prix des talents, au-delà de toute considération salariale forcément réductrice.