Loin du Vieux continent, de ses débats financiers houleux au quotidien, de ses plans de sauvetage et des appels à la cohésion de la Zone euro, une économie émergente du Sud-est asiatique souffrait, seule, ces deux derniers mois. La Thaïlande se demandait vendredi comment sortir du tourbillon de pertes financières qu'aura engendrées un épisode sanglant de deux mois entre manifestants et gouvernement. Violences qui ont porté une gifle même aux acquis les plus solides de son économie. Des milliards partis en fumée Alors que la capitale thaïlandaise s'empressait de retrouver un aspect normal, la sécurité semblait peu à peu revenir dans une ambiance de régime militaire. Vendredi dernier, Bangkok faisait les comptes en tentant d'évaluer le coût de la crise qui a détruit certains quartiers, fait baisser l'activité et risque de détériorer durablement son image touristique. Mais l'économie restait au ralenti avec une Bourse incendiée, le plus grand centre commercial du pays brûlé au bord de l'effondrement, et la totalité des banques de la capitale fermées. Le quotidien anglophone Bangkok Post estime que le coût des seules destructions, dont quelque 35 bâtiments enflammés, pourrait atteindre 40 milliards de bahts (1,2 milliard de dollars). Mais Supavud Saicheua, analyste chez Phatra Securities, tempère les prévisions alarmistes, en rappelant que la haute saison touristique ne commence pas avant octobre. «Cela se jouera au cours des trois ou quatre prochains mois, lorsque les tour-opérateurs les plus importants confirmeront ou non la venue des touristes», dit-il.D'autres rappellent que le pays est habitué à ce type de crise. «La confiance des investisseurs va s'apaiser. Nous pouvons nous relever très vite», promet Payungsak Chartsutipol, président de la Fédération des industries thaïlandaises. «Notre industrie d'exportation est très forte et nos activités équilibrées», dit-il. Pour le petit commerce, évidemment, les pertes des dernières semaines seront plus difficiles à éponger. Mais l'optimisme est presque obligatoire pour ceux qui balaient les bris de verre et font les inventaires des boutiques pillées. «Je vendais jusqu'à dix porte-monnaie par jour. Je n'en ai pas vendu un seul depuis que les soldats sont arrivés la semaine dernière», constate Tomorn Onsa, un vendeur de rue du quartier touristique de Nana. Les acquis perdus du tourisme Le ministre des Finances, Korn Chatikavanij, a reconnu depuis Tokyo que ces scènes de guérilla urbaine, encore inimaginables il y a peu au «pays du sourire», auraient un «impact désastreux» sur le tourisme, même si la plupart des sites sont éloignés de Bangkok. Pour certains analystes aussi, au-delà de ces dommages, c'est surtout l'image du pays qui a été écornée: longtemps considérée comme un îlot de stabilité en Asie, la Thaïlande est devenue un pays instable et à risque. La dernière crise politique a clairement mis à mal la confiance dans le pays. Nandor von der Luehe, président du groupement des Chambres de commerce étrangères en Thaïlande, le confirme. Même face à l'improbable retrait des investissements externes engagés, von der Luehe pense qu'«en attirer de nouveaux va être compliqué. Il faut beaucoup de temps pour se bâtir une réputation, et une nuit pour la détruire». En effet, les autorités du tourisme ont réduit de 16 à 13 millions le nombre de visiteurs attendus cette année, un sacré revers pour un secteur qui pèse 6% du PIB. «Nos partenaires étrangers ont peur de nous envoyer des clients», confirme le responsable marketing d'une grande chaîne hôtelière, en s'attendant à une tempête d'annulations. Tous reprennent l'argument de l'image touchée de la Thaïlande, où le sang et le feu ont spolié la place de la sérénité. Loin pourtant d'être le souhait d'une seule tranche socioéconomique de la Thaïlande, la reprise économique s'annonce très difficile à atteindre pour cette année.