Alors que les travaux de la commission technique sur la réforme des retraites se font toujours attendre, à un moment où la question de l'équilibre de certaines caisses de retraite est devenue assez inquiétante, les débats sur le modèle adapté aux spécificités nationales se poursuivent. Une question qui a été au centre des discussions lors de la 2e édition du Forum sur les retraites, organisée par l'Institut de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et dont les travaux se sont déroulés, vendredi dernier à Marrakech. Placé sur le thème «Extension de la couverture de retraite : réalités et défis», le forum se veut une manière pour la CDG «d'accompagner le processus de réforme du système de retraite national en contribuant au débat, au dialogue, à l'échange d'informations et aux clarifications souvent nécessaires dans ce type de réforme»,comme l'a souligné le directeur général de la CDG à l'ouverture des travaux. Il ne s'agissait donc pas, pour le forum à caractère «purement scientifique» de proposer un modèle de réforme mais de contribuer à la réflexion collective, a précisé dans le même cadre M'hammed Grine, président délégué de l'Institut de la CDG. Pour Anass Houir Alami, les défis majeurs qui se posent, aujourd'hui, aux pouvoirs publics marocains sont relatifs à la manière adéquate d'assurer la viabilité des régimes de retraite et les stratégies à même de contribuer à en étendre la couverture aux populations qui n'y ont pas encore accès. Dans ce cadre, a-t-il souligné, l'objectif essentiel des politiques publiques est, certes, «d'assurer une croissance génératrice d'emplois à même de garantir un niveau de vie convenable» et qu'il importe alors de créer les conditions idoines d'insertion de cette population active dans le système de retraite et de «renforcer ainsi les capacités nationales d'accumulation de l'épargne». Malheureusement, lors des échanges et tables rondes qui ont été tenus, il est ressorti qu'il n'existait pas de véritable modèle à transposer au niveau national pour faire face à ces défis majeurs. Cependant, au vu du contexte marocain, des opportunités existent pour la mise en place d'un système viable et cohérent qui pourrait insuffler une nouvelle dynamique à ce secteur. Celui-ci est perçu comme un important levier de maintien de l'équité et de la cohésion sociales, en plus de sa contribution à l'amélioration du marché du travail et, partant, l'activité économique en général, «en favorisant la flexibilité et la mobilité des travailleurs et en encourageant les activités indépendantes», a soutenu le directeur de la CDG. A reconstruire... Il est vrai que le système de retraite au Maroc est à reconstruire. Outre l'urgence liée à l'équilibre financier de certains régimes, le Maroc est, au regard de la situation au plan régional, le plus en retard sur la question. Avec un taux de couverture de moins de 30%, le Maroc fait moins que la moyenne régionale qui tourne autour de 40%, alors qu'elle atteint plus de 60% en Tunisie. Les pensions ne représentent d'ailleurs que 3,5% du PIB national, en progression ces dernières années en raison de l'augmentation des salariés et par conséquent d'une relative extension de la couverture. Cet écart est en grande partie dû, selon les spécialistes, à la structure socioéconomique du pays caractérisée par une prééminence du secteur primaire, notamment agricole, en termes d'emplois. Cela a le mauvais effet d'influer négativement sur le taux de couverture, comme l'a souligné Florence Le Gros, professeur à Paris Dauphine et ancienne de la Caisse de dépôt et de consignation (CDC), la CDG française. S'appuyant sur cette fragilité du facteur travail au Maroc, l'université a ainsi plaidé pour «une extension de la couverture par la mise en place de régimes obligatoires qu'ils soient par capitalisation ou par répartition». L'idéal, à ce niveau, est de faire face aux contraintes liées aux systèmes actuels dont le schéma est à tous points de vue inadapté et surtout du simple fait que, de par leur complexité, les travailleurs indépendants ne peuvent se réduire à un seul statut. D'où la nécessité de mettre en place des structures juridiques et institutionnelles adaptées à cette catégorie de travail de manière à ce qu'elles tiennent compte de leurs spécificités et de lutter également contre l'informel. Certains experts ont même émis l'idée d'un élargissement de l'assiette avec une couverture «low cost» pour les travailleurs à revenus précaires comme les pêcheurs, les femmes de ménage ou les artisans. Benchmark international Si les enjeux multiples liés à l'élargissement de la couverture maladie plaident pour une réforme d'urgence du système national, il est également impératif de s'assurer de quelques préalables de manière à permettre l'instauration d'un régime cohérent et bien piloté, à l'abri de certains effets pervers que peut engendrer un tel processus. Intervenant à la tribune de la plénière, Mehdi Ben Braham, expert tunisien, a souligné que «l'essentiel n'est pas d'étendre la couverture mais de bien couvrir». Prenant exemple sur le cas tunisien, il a mis en exergue que même si le pays a enregistré l'un des taux de couverture les plus élevés de la région, «65% des personnes ont une pension inférieure au SMIG», ce qui n'est pas du tout reluisant et ne répond pas véritablement aux objectifs escomptés. Il faudrait donc, devrait-il ajouter, «sortir de cette volonté d'atteindre des objectifs politiques et de prendre en compte certains aspects permettant une couverture de qualité en inscrivant la question dans un cadre plus large de lutte contre l'informel, le chômage et la pauvreté». Par rapport à cette question, les innovations apportées aux régimes d'assistance sociale et financées par la fiscalité comme cela a été expérimenté en Afrique du Sud et au Brésil ont été jugées intéressantes pour le Maroc. «Ces deux pays ont en effet enregistré des succès dans l'inclusion des travailleurs du secteur informel au sein des systèmes de couverture retraite», a indiqué Alami. Le cas de l'Afrique du Sud a également intéressé les participants, qui proviennent de plusieurs pays africains et européens. La pension universelle instituée en Afrique du Sud a, en effet, permis «de réduire de 54% la pauvreté des ménages et de quasiment éradiquer la pauvreté des personnes âgées», a illustré Claire El Moudden du réseau euro-méditerranéen ESIRA MED, spécialisé dans les études et analyses en matière de protection contre les risques sociaux et développement dans les pays du sud de la Méditerranée. Des exemples à méditer et qui ne manqueront certainement pas d'intérêt pour la commission technique chargée de la réforme des retraites même si les participants ont convenu unanimement que seule la concertation dans le cadre d'un véritable dialogue social avec l'ensemble des acteurs permettrait de réussir un processus idoine au Maroc. Des réformes pour quels résultats ? Le secteur des retraites a connu au Maroc, une série de réformes depuis presque deux décennies. Se sont-elles traduites par des résultats probants ? Pas si sûr selon Salahedinne Benjelloun, docteur en économie. Sur la base de l'évaluation de tous les aménagements apportés et sur les véritables objectifs d'une extension de la couverture, le consultant marocain a pris exemple sur le cas de la CNSS et de la CIMR pour dire que, «nos systèmes sont certes généreux mais n'aboutissent, en fait, qu'à favoriser les plus aisés». Particulièrement pour la caisse publique, l'augmentation du salaire plafond et l'élargissement de l'assiette du salaire de référence «ont aggravé les inégalités». Pour le cas de la CIMR, c'est la viabilité financière du régime qui est sujette à caution. Selon le staff de la CIMR, la visibilité du régime va au-delà de 2060. Ce que l'universitaire relativise en soulignant que «les perspectives d'équilibre du système sont uniquement un produit de synthèse d'une situation plus contrastée dans le détail et la réalité puisqu'il dépend uniquement du rendement financier». Le véritable enjeu de l'extension de la couverture est étroitement lié à l'expansion de la protection sociale dont l'objectif est d'offrir aux populations un niveau de soins, de revenus et de vie adéquats. Au Maroc, les réformes ont plus visé la réduction des dépenses en focalisant le débat surtout sur l'équilibre financier à long terme, a-t-il souligné.