La BCP vient récemment de ranimer la titrisation au Maroc. C'est la première opération du genre depuis que la nouvelle loi 33-06 a été promulguée fin 2009. Au regard de la conjoncture nationale, empreinte de resserrement continu de la liquidité du marché, de déficit de confiance des investisseurs, la titrisation offre des possibilités nouvelles de diversification des placements propres à étoffer la structure actuelle du marché. Maghreb Titrisation y travaille activement et il semblerait que des entreprises de la place soient fortement intéressées. Jusqu'à la fin du cycle de crise entamé en 2008, tous les investisseurs nationaux se font «vase creux», dans la perspective de limiter la casse, tout en se préparant à recueillir les retombées du rebond du marché quand «les choses» iront mieux. En attendant, le marché de la dette privée sert de refuge aux placements actuels. Sur ce terrain, la titrisation peut amener de nouvelles possibilités de placement et de liquidité du marché. Comme le disait Abderrahim Bouazza, directeur de la supervision bancaire à Bank Al- Maghrib, en novembre dernier, «Il faut que les banques recourent à la titrisation» (www.lesechos.ma). Pour l'heure, seule la BCP s'est engagée dans une telle aventure. Selon Houda Chafil, directeur général de Maghreb Titrisation, une opération similaire concernant l'ONE serait dans le pipe. Il s'agit là d'une grande capitalisation de la place, et d'un établissement public d'envergure, qui pourraient donner des idées nouvelles aux autres entreprises de même calibre. Pas seulement, en élargissant le champ d'application de la titrisation, la nouvelle législation pourrait aussi intéresser des entités de taille inférieure. Sur un marché national peu liquide et où le nombre d'intervenants est très limité, la titrisation permet, en effet, de remédier au problème récurrent de financement ou refinancement des entreprises. Elle offre aussi la possibilité de parer à la fois au risque de liquidité, puisque les créances ne sont plus assumées directement par les banques, et au risque de défaillance, en ce qu'elle permet la dilution de ce dernier à travers le transfert des créances sur un plus grand nombre de détenteurs. C'est ce même transfert qui permet, en outre, de réduire le poids des contraintes imposées par l'obligation de constituer des fonds propres correspondants aux créances au sein des bilans des entreprises. Pour le marché, la titrisation, en introduisant un éventail large de produits supplémentaires et différents en termes essentiellement d'échéances et de modalités de remboursement, permet aux investisseurs de mieux diversifier leurs portefeuilles d'actifs. La liquidité aussi, compte tenu de la qualité des organismes émetteurs, qui élimine par ailleurs le risque de défaut de paiement, est fortement recherchée et est souvent au rendez- vous, du fait notamment que chaque opération de titrisation est assujettie à toute une série de procédures de notation. Il est donc fort probable que la titrisation finira par trouver sa place au Maroc, en ces temps de crise et bien au-delà, puisqu'elle a acquis une plus grande place dans tous les grands marchés financiers internationaux. Houda Chafil, Directeur général Maghreb Titrisation. «Nous espérons que cet outil de financement trouvera rapidement la place qu'il mérite» Les Echos quotidien : L'opération de titrisation de la BCP, récemment opérée, peut-elle déclencher une nouvelle dynamique pour le développement de la titrisation au Maroc ? Houda Chafil : Effectivement, l'opération BCP déclenchera certainement une nouvelle dynamique pour la titrisation au Maroc, compte tenu de la conjoncture économique et financière actuelle. Nous espérons que cet outil de financement trouvera rapidement la place qu'il mérite dans la palette de financement des opérateurs économiques éligibles aux opérations de titrisation, notamment les banques et les établissements publics, ainsi que dans le portefeuille des investisseurs grâce à la très bonne qualité des portefeuilles et des titres qui leur sont offerts à travers les fonds de titrisation que nous structurons. La loi régissant la titrisation ayant été promulguée en 2009, quelles sont selon vous les raisons qui ont fait que la première opération n'ait lieu que 2 ans après ? Je tiens à préciser que le décret d'application de la loi 33-06 date de juillet 2010, et les arrêtés du ministère de l'Economie et des finances d'octobre 2010. Le fonds «SAKANE» représente la première opération depuis l'entrée en application de la nouvelle loi sur la titrisation. Les délais d'usage sont de 9 mois à 1 an pour une première opération, compte tenu du caractère structurant de la titrisation qui ne concerne pas uniquement la fonction financière d'un établissement cédant, mais également d'autres fonctions clés dans l'organisation, telles que le SI, le commercial, la gestion des créances ... etc. Une deuxième opération, pour un même cédant, peut se faire en 4 à 5 mois, du fait de la disponibilité de la plateforme technique. Outre la BCP, les rumeurs étaient, depuis un moment, pour le lancement d'opérations similaires par des entreprises nationales, dont notamment l'ONE. Qu'en est-il aujourd'hui ? Effectivement, nous sommes en train de travailler sur l'opération ONE, que nous espérons placer sur le marché dans les mois à venir. Le marché de la dette privée est actuellement fortement sollicité. Par ailleurs, la nouvelle loi a élargi le champ d'action de la titrisation. Pensez- vous que des entreprises nationales, outre les grandes capitalisations, pourraient se lancer dans une telle aventure financière ? Et sont-elles préparées pour cela ? La nouvelle loi 33-06 a effectivement élargi le champ d'application à d'autres types de créances, notamment celles détenues par les établissements de crédits et organismes assimilés, les établissements publics filiales de l'Etat, les délégataires de services publics après autorisation de l'autorité délégante, ainsi que les sociétés d'assurances. Il s'agit donc de très grandes structures, vecteurs du développement économique et social dans notre pays. Je pense qu'elles disposent parfaitement de la capacité et de la technique nécessaires pour lancer des opérations de titrisation. Certains analystes de la place pensent que c'est le moment de lancer des opérations de titrisation, au regard de la conjoncture décrite plus haut, avant précisément que le cycle baissier de la Bourse ne s'achève. Partagez-vous cet avis ? Effectivement, le resserrement des liquidités et la tension sur le FP sont devenus une réalité du marché en entier, et ne concerne pas une banque en particulier. Le coefficient moyen d'emplois s'approche de 100%, au regard du gap de plus en plus important enregistré depuis 2007 entre le taux de croissance des dépôts et celui des crédits distribués. Je pense que cette situation risque fortement de se prolonger encore dans le temps. Si on conjugue à l'entrée en vigueur des nouvelles règles prudentielles de Bâle III, ainsi que le renchérissement des coûts des FP, il devient alors évident que la titrisation s'imposera comme un moyen de financement fondamental et inévitable pour les banques.