L'aviation arabe reprend de l'altitude. Réunis à Rabat, les dirigeants du transport aérien saluent un retour à la croissance, tout en alertant sur les turbulences à venir, production sous tension, dépendance industrielle et urgence climatique. Entre innovation technologique et quête de durabilité, le ciel du transport aérien s'annonce encore agité. Pour la cinquième fois, le Royaume du Maroc accueille l'Assemblée générale de l'Organisation des compagnies arabes de transport aérien (AACO). Cette 58e édition, présidée par Abdelhamid Addou, président de l'AACO et directeur général de Royal Air Maroc, intervient à un moment charnière pour le secteur aérien, désormais remis de la grave crise provoquée par la pandémie de Covid-19 entre 2020 et 2022. «La rapidité de cette reprise reflète le fait que le transport aérien est devenu une composante indissociable de la vie moderne. Une connectivité sûre et efficace constitue un besoin humain essentiel, ainsi qu'un moteur fondamental du commerce mondial et des échanges économiques», a rappelé Addou dans son allocution d'ouverture. Une reprise sous tension Trois ans après la paralysie du trafic aérien mondial, l'industrie a retrouvé ses niveaux d'activité d'avant-crise. Ce rebond révèle, selon Abdul Wahab Teffaha, Secrétaire général de l'AACO, que le transport aérien n'est plus un luxe mais un service essentiel, garant de la mobilité, du commerce et du développement économique. Le secteur soutient également le tourisme, qui représente à lui seul 10% du PIB mondial et plus de 10% des emplois. L'industrie aéronautique mondiale, et plus particulièrement arabe, vit un tournant crucial. Entre relance, contraintes industrielles et impératifs environnementaux, le secteur tente de concilier expansion et durabilité. Un constat qui se dégage du rapport d'activité, présenté par le Secrétaire général, lequel a dressé un tableau lucide des défis à venir. En 2024, la production industrielle du secteur aéronautique a atteint 83,5% de ses capacités, et devrait grimper à 83,9% en 2025. Pour les projets spécifiquement liés à l'aéronautique, le taux de production s'établit autour de 81,3%, traduisant un retour progressif à la normale après les années de crise. Mais cette reprise masque des déséquilibres persistants. En effet, le nombre d'appareils produits reste inférieur à la demande mondiale. De 1.611 avions produits avant la crise, la production est tombée à 1.422 unités en 2020. L'écart entre la demande et l'offre s'est creusé, aggravé par les tensions géopolitiques et les perturbations logistiques mondiales. Dans ce sens, Teffaha a indiqué que la dépendance à des fournisseurs concentrés dans certaines régions du monde expose les compagnies à des risques structurels. Par ailleurs, le taux de rentabilité des compagnies aéronautiques a légèrement progressé, de 6,4% en 2024, avec une prévision à 6,7% en 2025. Pour les compagnies arabes, la croissance est encore plus marquée, atteignant 12,2% sur la même période. Cependant, cette embellie cache un paradoxe. La consommation de ressources du secteur reste supérieure à sa capacité de production durable. En d'autres termes, l'industrie produit davantage qu'elle ne peut compenser en termes d'impact environnemental. L'équilibre environnemental, un impératif mondial Le Secrétaire général de l'AACO a rappelé les engagements pris depuis la résolution de 2010 de l'OACI, qui a défini une stratégie environnementale ambitieuse, renforcée en 2013 avec le lancement du régime de compensation et de réduction du carbone pour l'aviation internationale (CORSIA). Pourtant, douze ans plus tard, les résultats demeurent mitigés. Les progrès technologiques ne suffisent pas encore à réduire de manière significative l'empreinte carbone du transport aérien. Les politiques européennes, notamment le programme César d'unification du ciel européen, tardent à produire leurs effets. Si ces mesures étaient pleinement appliquées, elles permettraient de réduire immédiatement l'impact climatique de 10%», a souligné Teffaha. Autre bémol, le développement du carburant d'aviation durable (SAF) considéré comme la pierre angulaire de la transition écologique du secteur, peine à décoller avec une production jugée dérisoire. Les besoins mondiaux pour 2025 sont estimés à 121 millions de tonnes, contre à peine 18,4 millions actuellement disponibles. «Les politiques punitives et les objectifs irréalistes risquent d'étouffer la croissance sans bénéfice environnemental tangible. Nous devons soutenir la production durable et encourager la coopération internationale plutôt que d'imposer des sanctions», insiste Abdul Wahab Teffaha. Pour surmonter ces défis, plusieurs partenariats sont en cours entre les compagnies arabes et des entreprises spécialisées dans la technologie aéronautique avancée. Ces collaborations visent à optimiser la gestion des vols, la consommation énergétique et la maintenance des flottes. Des alliances sont également envisagées avec des acteurs américains et européens, afin d'accélérer l'innovation dans le domaine des carburants alternatifs et des systèmes de gestion écologique des opérations aériennes. Ainsi, les opérateurs arabes s'accordent à dire que l'avenir de l'industrie, sa contribution à l'emploi et à la prospérité, dépendra de l'aptitude collective à relever ces défis. Au final, la session plénière s'est clôturée sur l'annonce du pays hôte de la prochaine assemblée et qui sera le Qatar. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO