La pollution générée par les huiles usagées demeure une équation difficile à résoudre au Maroc. 80 % du business de traitement de ces huiles mortes sont entre les mains de l'informel. La législation, dépassée par la situation, cherche à se rattraper Jamais une «tache d'huile» ne sera aussi difficile à faire disparaître. La problématique des huiles usagées a été récemment remise sur la table entre acteurs qui dénoncent la gangrène de l'informel, et pouvoirs publics, qui s'apprêtent à un réajustement réglementaire dans le domaine. Mais avant d'aller plus loin, examinons d'abord les statistiques, qui permettent d'évaluer les dangers et risques environnementaux, mais aussi le potentiel du business qui existe dans cette filière. Il faut savoir en effet qu'un litre d'huile usée de moteur peut polluer 1.000 m3 d'eau potable. Un chiffre alarmant, surtout lorsque l'on sait que ces huiles sont pourtant largement utilisées dans nos hammams traditionnels comme combustible. Cette combustion génère des rejets très toxiques, voire cancérigènes parfois. De plus, les matières huileuses étant de consistance plus légère que l'eau, elles se déposent et forment une nappe opaque sur les cours d'eau, gênant ainsi l'oxygénation de la faune. Autant de dangers, qui passent inaperçus, et dont les conséquences néfastes ne surgissent qu'à long terme. À l'opposé, c'est pourtant une filière qui vaut son pesant d'or. 100.000 tonnes d'huiles sont consommées au Maroc annuellement. Seules 10 à 12.000 tonnes sont collectées et régénérées. Dans cette quantité, près de 80 % sont aujourd'hui entre les mains de l'informel. Mais de quel business s'agit-il? Il en existe deux types. La filière de régénération et de réutilisation de ces huiles mortes, ainsi que celle de l'élimination pure et dure, sous forme de source d'énergie destinée aux fours des cimenteries. Régénérer... Pour la première forme d'activité, l'exercice de toute opération sur ce segment est a priori soumis à une autorisation des autorités compétentes, en l'occurrence le département de l'Energie. Cependant, il y a un problème : «Une fois l'autorisation délivrée, l'Etat n'a plus aucun suivi sur les agissements de l'opérateur qui en bénéficie. On n'a même pas de statistiques fiables sur cette activité, ce qui laisse la porte ouverte à l'informel et à la prolifération des usines sauvages», déplore Mehdi Daoudi, expert consultant en produits pétroliers. Le constat est là : l'informel règne en roi, non sans la complicité de nombreuses stations-services. «50% des ces dernières revendent au circuit informel leurs huiles de vidange», avance Daoudi. La tonne est échangée à 1.500 DH à des collecteurs qui transportent et stockent toute cette matière toxique, clandestinement. Bien sûr, les normes de sécurité les plus élémentaires à respecter, sont le cadet de leurs soucis. Mais cela reste toutefois, pour les gérants de station-service, une source de revenus intéressante et pas du tout négligeable. Résultats, ces derniers préfèrent fermer les yeux. Ce commerce bien huilé dans le noir, a tellement pris d'importance ces dernières années qu'il a fini par «tuer», littéralement, le business formel. Medilub est -ou a été- la première et seule usine de récupération et de régénération d'huiles de moteur usées au Maroc. Installée dans la zone industrielle d'Aït Melloul (Agadir) en février dernier, sous la bénédiction du ministère de l'Environnement, de l'énergie et des mines, l'usine est aujourd'hui en «arrêt technique». Un investissement de 50 millions de dirhams, constitué principalement de fonds étrangers, reste en suspens... et laisse un grand vide. Pourtant, l'usine d'Aït Melloul était censée avoir une capacité annuelle de traitement de 25.000 tonnes. ...Ou éliminer C'est sur ce créneau que l'on peut percevoir un peu d'organisation. Conscient du danger patent qu'allait constituer la non prise en charge des huiles usagées, gouvernement, compagnies pétrolières opérant au Maroc et cimentiers, se sont associés en 2004 dans le cadre d'une convention. L'idée était de créer une plateforme spécialisée dédiée à la collecte, au transport et à l'élimination des déchets d'huile usées. De ce partenariat est né en 2006 Ecoval, une filiale du groupe Holcim Maroc, dont une partie des activités est de récupérer -gratuitement- auprès de stations services agréées les huiles usées, afin de les éliminer en les utilisant pour alimenter les fours des cimenteries du groupe. Aujourd'hui, cette société est la seule plateforme -autorisée et officielle- qui existe sur ce business. Pourtant, à l'heure où on parle, «nous n'arrivons pas à assurer la moitié de notre capacité de prise en charge, avec juste une cinquantaine de stations-services participantes». Le juridique promet Devant tout ce remue-ménage, la loi est très en retard. En effet, il n'existe encore aucun texte juridique dédié régissant la prise en charge des huiles usagées. Un vide juridique qui -on l'a déjà compris- profite à plus d'un. Cependant, le gouvernement semble déterminé à rattraper ce retard. «Un décret sur le stockage, le transport et le traitement des huiles usagées est en cours de finalisation», déclare Abdelmajid Hatimi, chef de la division de la réglementation technique et de la prévention des risques, auprès du département de l'Energie et des mines. Ce décret, d'après le responsable, est attendu en promulgation dans les semaines à venir, devrait mettre de l'ordre dans la pratique sur ce segment et combattre l'informel, avec la mise en place de sanctions coercitives pour les contrevenants. Une nouvelle donne réglementaire se profile donc, pour organiser une activité qui détruit au même rythme qu'elle remplit des poches. Innovation Point de vue : Mehdi Daoudi, Expert consultant spécialiste des produits pétroliers et prévention des risques, au département de l'Energie et des mines. Le pouvoir public devrait accélérer la promulgation des décrets d'application. Il est certain qu'il y a un blocage dans la mise en œuvre de tout cet arsenal de lois, parce que justement on prend un peu trop de temps dans l'élaboration et la promulgation des textes d'application. En second lieu, et à mon avis, c'est le point le plus important, il y a un effort considérable qui a été fait durant ces quatre dernières années par les départements de l'Energie et de l'environnement, certes, mais il convient de réfléchir sur des mécanismes concrets pour pouvoir les mettre en œuvre sur le terrain. Je veux dire qu'au-delà même du cadre réglementaire, il faudrait aussi à l'Etat des outils efficaces. C'est la méthode adoptée qui nous permettra de lutter contre une pollution chronique et de stopper la progression de l'informel, qui ocupe aujourd'hui plus de 80% de la filière. Aussi, avant de savoir s'il faut juste sensibiliser, informer ou contraindre, en imposant des sanctions sévères destinées aux contrevenants, il faut savoir qu'il y a tout un problème de mise en œuvre auquel il faut s'attaquer. De plus, je pense que les industriels et les pétroliers ne devraient pas attendre les décrets. Ils devraient commencer à anticiper en menant des projets au sein même de leur réseau de stations services. Le but est de les amener dès maintenant à travailler sans provoquer de dégâts sérieux à la nature. Point de vue : Abdelmajid HatimiChef de division de la Réglementation technique et de la prévention des risques, au département de l'Energie et des mines. Par le passé, il y avait deux textes sur ces matières dangereuses. Ces textes datent des années 60, que nous avons hérités du Protectorat. Ils traitaient des matières polluantes, mais il n'y avait aucune précision relative spécifiquement aux huiles usagées. Ce qui a créé ce vide juridique dont nous subissons les conséquences aujourd'hui avec le développement de l'informel. Nous essayons aujourd'hui de rattraper ce retard avec la loi 28-00, mais aussi avec un nouveau décret qui devrait entrer en vigueur dans les mois à venir. Ce décret 2-09-85 régira toute la filière, de la collecte au traitement, en passant par le transport. Il y a deux parties dans cette loi. Une partie portant sur la collecte et le transport, qui détaille les conditions dans lesquelles ces deux phases doivent se réaliser. Le texte impose des normes internationales par rapport aux installations, aux étiquettes d'information, etc. L'entreprise doit disposer d'une santé financière et des ressources humaines qualifiées dans le domaine et conscientes du degré de dangerosité des produits manipulés. Ce projet de décret n°12-09-85 nous permettra de mieux cerner la problématique relative aux huiles usagées, mais aussi de créer le cadre adéquat pour favoriser des activités génératrices de revenus.