L'écrivain italien Beppe Sebaste a conduit une enquête rêveuse et précise autour de la figure et du destin d'Henri Paul, le chauffeur promu chauffard ivre pendant la nuit du 30 au 31 août 1997, et bien au-delà, dès lors qu'il trouva la mort avec les deux occupants du véhicule : Lady Diana Spencer, princesse de Galles et son compagnon Dodi Al –Fayed, fils du milliardaire égyptien propriétaire du plus impressionnant magasin de Londres. Cet accident dramatique a été élevé au rang de fait divers le plus célèbre de l'histoire contemporaine et l'émotion qu'il suscita mit des années à s'estomper. Chacun en a gardé le souvenir car lecteurs de la presse, téléspectateurs ou auditeurs, tous ont été abreuvés de supputations, de dénonciations et de proclamations diverses. A cette époque, j'apprenais l'anglais en autodidacte pour écrire Progrès en anglais assez lent que devaient publier les éditions Jacques Bertoin cinq années plus tard. Elles annoncèrent l'ouvrage dans leur catalogue, en indiquèrent le prix et le nombre de pages puisque j'en avais remis le manuscrit. Hélas, les éditions Jacques Bertoin fermèrent sur décision de leur propriétaire, les taxis G7, ce qui ne nous éloigne pas du roman de Sebaste H.P, le dernier chauffeur de Lady Diana (Seuil, 2009, traduit de l'italien par Jérôme Nicolas). Du moins avais-je été payé cash et connaissais-je désormais quelque centaines de mots supplémentaires en anglais, ce qui m'avait permis, dans la nuit du 30 au 31 août 1997 et tous les jours suivants d'écouter les reportages de la B.B.C dont les programmes étaient toute entiers consacrés au drame. Beppe Sebaste que j'avais rencontré neuf ans plus tôt dans un petit village proche de Barcelone ne savait pas encore qu'il écrirait H.P le dernier chauffeur de Lady Diana. Jeune écrivain (il est né en 1959) qui enseignait la philosophie à l'université de Bologne, il était alors l'époux d'une artiste-peintre italo-américaine au beau regard langoureux et, comme nous le dit son récit, ils eurent un garçon. « Je décidai, écrit le père de Pierre, que le livre sur Henri Paul devrait être aussi mon livre sur Paris, la narration de ma rêverie là-bas, l'amour, la solitude, la maturité, l'oisiveté, le travail, le divorce et ainsi de suite (rien que des thèmes à la Raymond Carver, remarquai-je) : d'une certaine manière, c'est lui qui aurait dû écrire l'histoire d'Henri Paul ». H.P le dernier chauffeur de Lady Diana « où la petite histoire devient plus romanesque qu'un roman », selon l'expression d'Umberto Eco, ce n'est pas du Carver mais bel et bien du Sebaste. Un récit profondément européen mais dont l'auteur a placé en épigraphe ce dialogue imaginé par le Japonais Akira Kurosawa dans Rashomon : « Tous mentent, et je crois à leurs mensonges comme s'ils étaient vrais ». « Quelle importance que ce soient des mensonges, si l'histoire est palpitante ? ». Beppe Sebaste, dont je n'avais lu jusque- là qu'un amusant reportage sur un fabricant italien de ballons multicolores (ou de cerfs-volants ?) a mis toute son âme dans son récit. Le 28 novembre 1997, il écrivit à un certain Claude Garrec : « Dès le début de septembre, lecteur de journaux, j'ai senti une très forte empathie envers votre ami M. Henri Paul (…) Peu à peu cette sympathie est devenue en moi le désir de connaître Henri Paul, de raconter sa vie « ordinaire » non pas comme le pivot d'un récit judiciaire, mais pour elle-même, (…) de soustraire sa vie du fond spectaculaire dans lequel sa mort l'a précipité. » Et de citer à son correspondant le poète Paul Celan qui écrivit : « Personne / ne témoigne / pour les témoins. » Beppe Sebaste a-t-il été le premier écrivain à relever que l'accident qui s'était produit à Paris dans le tunnel de l'Alma s'était donc produit dans le tunnel de l'Ame, si l'on pratique une traduction fidèle ? On présentera Henri Paul comme « un ivrogne bourré de psychotropes, un irresponsable an volant de la Mercedes… A lire H.P le dernier chauffeur de Lady Diana, on constate que Beppe Sebaste ne ment pas lorsqu'il écrit : « Ainsi, je l'avoue, H.P a vraiment été pour moi un chauffeur, un conducteur, un « guide spirituel » : un virgile qui, comme dans une divine comédie ivre (la mienne) m'a pris par la main et m'a accompagné dans le tunnel de l'âme (la mienne). » Sebaste nous apprend que le mot paparrazi vient de la contraction des mots papataci (terme dialectal pour zanzare, moustiques) et razzi (fusées, à cause de l'éclair du film de Fellini La dolce vita. Est-il lui-même un paparazzo de l'âme ? Non, c'est un enquêteur qui s'identifie peu ou prou, sinon à tort et à travers, à l'objet de son enquête. Celle-ci porte en fait sur la question de savoir qui de nous est le sujet de sa propre vie. Henri Paul était responsable de la sécurité du Ritz. Mais qui peut partager la responsabilité de la sécurité affective d'autrui ? Qui peut raconter sa vie à quelqu'un ? Le premier venu ? Reste à savoir si le premier venu peut raconter la vie du premier venu. A sa manière grave et gaie, paternelle et légèrement ivre, Beppe Sebaste répond de la vie des mots, des choses et des gens. H.P le dernier chauffeur de Lady Diana est un récit d'une totale originalité, où l'érudition porte sur le vague-à-l'âme d'un homme ordinaire.