Majid Bekkas, vous êtes directeur artistique pour le Maroc dans ce festival depuis le début de sa création, il y a dix huit ans. Pourriez-vous nous parler des nouveautés pour cette édition ? Jazz au Chellah, dont le concept est la rencontre du jazz européen avec la musique marocaine, propose chaque année une programmation différente qui apporte de nouvelles expériences de nouvelles sonorités, des rencontres toujours inédites. L'invité d'honneur de cette année est la République Tchèque qui nous fera découvrir une vision différente du jazz qui, aujourd'hui se conjugue au pluriel. Autre nouveauté, que ce soit du côté Marocain ou Européen, c'est le fait que la programmation est très féminine. Comment choisissez-vous vos artistes à chaque édition ? Nous sommes deux à le faire, Jean Pierre Bissot qui est producteur de jazz et organisateur d'un grand festival de jazz en France, et moi du côté marocain vue ma connaissance des artistes marocains et les différents styles de notre patrimoine. Notre travail se fait dans la concertation et nous réfléchissons à deux des possibilités de rencontres entre les styles les plus inhabituels. Après tant d'années de collaboration nous avons développé une complicité positive pour offrir à notre public des choses nouvelles chaque année. Justement ce concept de rencontre est au cœur de la programmation de jazz au Chellah, avez–vous des critères précis pour faire votre choix à ce niveau ? Nous tenons d'abord à rencontrer de bons musiciens, créatifs, avec un esprit ouvert, capable d'aller à la rencontre d'autres écoles musicales. Nous donnons une importance particulière aux capacités d'improvisation. Il faut dire qu'on peut être un bon musicien sans avoir ses aptitudes d'adaptation à la culture de l'autre, de dialogue artistique entre deux mondes musicaux très différents. Ensuite ce sont les sonorités de chaque style qui déterminent le choix de ses rencontres. Le jazz permettant ce genre d'expériences, nous faisons du mieux possible pour avoir des fusions réussies. Si vous deviez décrire votre collaboration avec votre co-directeur artistique que diriez-vous ? Au fil des éditions, nous sommes devenus amis, nous multiplions les échanges d'idées, de concepts nouveaux, discutons des détails les plus petits dans la programmation de Chellah, et il nous arrive aussi de nous rencontrer dans d'autres meetings de jazz en Europe ou ailleurs. Nous sommes à l'écoute l'un de l'autre. Nous avons aussi travaillé ensemble sur plusieurs projets musicaux. Je peux dire que c'est une excellente relation d'amitié et de collaboration fructueuse entre nous. Ce choix de clore le festival sur une fusion entre Bnat Alhouaryate et un Sextet Jazz finlandais paraît très fantaisiste et risqué comment vous est venue cette idée ? C'est une vraie rencontre Nord Sud ! (rire) C'est vrai qu'il y a de l'aventure dans ce choix. Moi j'ai parié sur cette rencontre car je connais les Bnat Alhouaryate qui maîtrisent parfaitement leurs répertoires et qui sont très ouvertes d'esprit. Elles ont l'expérience de ce genre de rencontres en plus. Le jazz nordique est un peu « froid », c'est vrai, mais les musiciens jazz ont la réputation d'avoir une grande capacité d'adaptation et cette soirée va être inoubliable. Après dix huit ans de festival vous n'avez pas une impression de répétition, de déjà vu, de déjà vécu ? Non, jusqu'à preuve du contraire, il n'y a pas de répétition à Chellah, c'est à chaque fois différent. Il y a des musiciens qui reviennent mais avec des projets différents comme c'est le cas de Driss El Maloumi qui se produit avec des membres de sa famille pour la première fois. Il y a aussi Rachid Zeroual qui présente son nouvel ensemble pour la première fois. Karim Kadiri qui nous revient des USA avec son nouveau projet jazz swing. Le concept du festival lui-même ne permet pas la monotonie. Quelle anecdote vous a le plus marquée dans cette longue aventure ? Comme vous savez, la pluie fait fuir les gens ici au Maroc. Une fois, il y a quelque années, il a plu en plein concert (en plein-air NDLR) et les gens sont restés jusqu'à la fin du concert, sous la pluie, sans perdre une seule note. C'est un moment que je n'oublierai jamais car on voit la puissance de la musique qui vous emporte même dans des conditions inconfortables. Mais cette année on ne vous voit pas au programme pourtant vous nous avez habitué à un concert de vous durant les éditions précédentes ? Je suis présent à travers ma programmation (rire), ensuite j'ai des projet nouveaux en cours de finalisation avec plusieurs musiciens en Allemagne et en Belgique, et je ne voulais pas monter sur la scène du Chellah avant de les avoir finaliser. Je suis d'ailleurs sur le point de sortir un nouvel album avec le grand pianiste allemand Joachim Kuhn, et le grand Jazzman américain Archy Chepp qui sort dans les quelques mois à venir. Jazz au Chellah c'est aussi cela, la possibilité de faire des rencontres qui impliquent des projets artistiques très intéressants.