Portés aux nues lors de leur nomination, les hauts commis de l'Etat vivent une véritable descente aux enfers après leur limogeage. Nommés par dahir royal, leur mise sur la touche peut signer parfois la fin de leur carrière. Il faut alors songer à se reconvertir ou vivre à l'étranger. C'est l'énigme de l'été. Le limogeage de Mustapha Bakkoury, ex-patron de la CDG, continue d'alimenter les conversations des salons. Ce n'est pas tant le départ en lui-même que la manière par laquelle celui-ci s'est opéré qui retient l'attention. Le communiqué du cabinet royal, repris par la MAP, a été sec, omettant délibérément de citer Bakkoury et se contenant d'annoncer son remplaçant, Anas Alami, en quelques mots. Le Makhzen économique a ainsi son propre style pour signifier sa “rancune” et son “désaveu”. Dans le landerneau du monde des affaires et des hauts fonctionnaires, ces petits détails ne passent pas inaperçus. Après une séance formelle de passation avec son remplaçant, Mustapha Bakkoury a disparu de la circulation, devenant injoignable, s'inscrivant ainsi dans une longue tradition des patrons déchus du secteur public ou semi-public. Dans des circonstances pareilles, le silence est d'or et souvent, il vaut mieux disparaître en prenant “quelques jours de vacances à l'étranger” que de rester sur place. D'autant que dès l'annonce du limogeage, l'écosystème des relations professionnelles et sociales s'adapte à la donne. Un SMS assassin Les faux amis disparaissent, les invitations deviennent rares, les fréquentations limitées et les journalistes passent à d'autres sujets. Ne restent plus que le cercle familial et les “vrais amis d'enfance”. Ce retour à l'anonymat est vécu différemment selon “le mental de la personne” et l'épaisseur de sa personnalité. Il faut alors revoir le film des événements, oublier l'aigreur vis-à-vis de ceux qui “ont arrangé le coup en haut lieu” et tourner la page. Certains y arrivent, d'autres non. Le limogeage makhzénien peut prendre plusieurs formes. Il peut être pressenti quelques semaines sinon quelques jours avant, sur la foi de “conversations rapportées en haut lieu”. Dans ce cas-là, le haut commis peut contrecarrer à son tour à travers des “contacts bien placés” pour sauver sa tête, augmenter son “show of” via un peu de RP (événements, lobbyings, inaugurations, articles de presse…). Sinon, si la fureur des maîtres du makhzen économique est vraiment à son summum, le limogeage peut être brutal : annoncé la veille pour le lendemain à travers un coup de fil ou pire, le jour même par un SMS froid et assassin alors que la personne est en plein exercice de ses fonctions. Descente aux enfers La MAP achève alors l'exécution à travers une dépêche dont la nature du style rédactionnel renseigne également sur l'intensité du limogeage voulu par ses initiateurs. Il arrive aussi que ce soit le conseil d'administration qui traduit la volonté exprimée de se séparer d'un haut commis devenu encombrant, comme ce fut le cas de Mustapha Benali à 2M ou tout récemment de Khalid Alioua au CIH. Quand il est perfide, le limogeage peut intervenir alors que la personne est en vacances ou à l'étranger. “Dans ce monde restreint, dès leur nomination, les hauts commis savent qu'ils ont franchi un point de non-retour. Rien ne sera plus jamais comme avant y compris leur limogeage un jour donné”, explique un connaisseur des arcanes du pouvoir. Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas. Mustapha Bakkoury a appris son éviction par SMS alors qu'il se trouvait en réunion à l'Université Al Akhawayn à Ifrane. Younes Maâmar, l'ex-DG de l'ONE, la pressentait depuis qu'il était entré en conflit ouvert avec sa tutelle et les parlementaires sur le dossier énergétique et Dounia Taarji, certes demandeuse, a appris son remplacement alors qu'elle était aux Etats-Unis. Plus anecdotique encore : la destitution en mai 2005 de l'ancien directeur général de l'ODEP, Mustapha Barroug, dont personne ne se rappelle évidemment le nom aujourd'hui. C'est le ministre istiqlalien Karim Ghellab, himself, qui a signifié à l'intéressé son limogeage à 8 heures du matin et lui a intimé l'ordre de quitter les lieux avant 10 heures. Si les damnés du makhzen économique sont voués aux affres de la disgrâce, les heureux élus remportent en revanche le gros lot. Ainsi, aux plus brillants et chanceux d'entre eux, le makhzen économique peut confier plusieurs responsabilités en même temps. Ainsi, Ali Fassi Fihri, homme aux compétences avérées et indiscutables, gère à la fois l'eau (ONEP) et l'électricité (ONE). Ce qui un cas rare dans le monde. Et encore plus rare si l'on rajoute le football. Aujourd'hui, Anas Alami dirige à la fois Poste Maroc et la CDG. On annonce dans les milieux informés que c'est une situation provisoire, le temps de trouver un bon profil pour le remplacer à Poste Maroc. Candidats intéressés et courtisans bien introduits, à vous de jouer ! Youssef Chmirou