À travers trois décisions, le roi vient de reprendre en main le jeu politique. Abbas El Fassi est plus que jamais effacé. Réhabilitation de Mustapha Bakkoury, nomination de Omar Azziman à la tête de la commission de régionalisation et remodelage en profondeur des rapports de force au sein du gouvernement d'Abbas El Fassi : en trois actes éminemment politiques, le Palais a marqué de façon forte le début de l'année 2010. Le roi règne et gouverne. Et entend bien le démontrer, consacrant encore plus l'effacement -déjà acté et consommé- du Premier ministre en tant que patron de l'exécutif. La logique des trois derniers actes semble s'insérer dans une stratégie de « rectification du tir» après les couacs enregistrés durant l'année 2009. Elle apparaît aussi comme une volonté de donner à l'initiative politique publique une nouvelle impulsion par le haut. Impulser par le haut ! En cette année supposée être de post-crise, le premier signal a été émis envers la communauté des affaires, restée sous le choc du limogeage brutal de Mustapha Bakkoury de la tête de la CDG et toujours préoccupée par le sort judiciaire réservé à Khalid Oudghiri, l'ancien PDG d'Attijariwafa Bank. A travers la nomination de Bakkoury comme président du directoire de l'Agence marocaine de l'énergie solaire (Moroccan Agency for solar energy -MASEN-), le makhzen économique veut mettre fin au buzz négatif de ce limogeage et réhabiliter donc une personnalité économique de premier plan et un serviteur de l'Etat, ancien grand banquier et dont le bilan à la tête de la CDG est plus qu'honorable quelque que soit les motivations de la décision ayant précédé à son limogeage. Fait étonnant, l'agence officielle MAP s'est contentée de quelques lignes pour annoncer cette nomination, rappelant la sobriété avec laquelle elle avait aussi annoncé tout autant le remplacement du concerné par Anas Alami à la tête de la CDG. Recadrer le dossier du Sahara Deuxième signal fort : le dossier de la régionalisation, confié à un comité de grandes personnalités et d'experts et présidé par Omar Azziman, ambassadeur du Maroc en Espagne, un technicien du droit, ex-ministre de la Justice et des Droits de l'Homme, ex-président du CCDH et membre fondateur de l'OMDH. Après l'épisode Aminatou Haïdar et la fragilisation de l'initiative marocaine d'autonomie, le Palais entend reprendre les choses en main en refixant le cap de la réforme territoriale. Le Maroc commence d'ores et déjà à recueillir les dividendes politiques de l'amorçage de ce projet de régionalisation comme en atteste par exemple la déclaration du porte-parole du parti populaire traditionnellement, peu amène avec le Maroc, à la Commission des Affaires étrangères au Congrès des députés espagnols. Gustavo de Aristegui a ainsi salué «l'une des plus importantes feuilles de route politiques du Maroc des dernières années». Azziman et son équipe devront remettre leur copie dans six mois. Le troisième signal fort, le plus spectaculaire, est certainement le dernier remaniement ministériel qui porte la marque indéniable du Palais. En nommant Moulay Taïb Cherkaoui, ex-premier président à la Cour Suprême, à la tête de l'Intérieur et Me Mohamed Naciri, avocat proche du sérail, à la tête de la justice, le roi met fin à la double expérience des «ingénieurs» et des «politiques» dans le pré carré des ministères dit de souveraineté. Véritable star du monde judiciaire, homme des réseaux dont la notoriété et l'influence provoquent des réactions et commentaires contrastées chez ses partisans ou adversaires, Moulay Taïb Cherkaoui devra imprimer à l'Intérieur un «style régalien» loin de la technicité froide et discrète du polytechnicien Chakib Benmoussa. Homme de l'ombre, le nouveau ministre de l'Intérieur devra sortir désormais à la lumière et interagir avec un ensemble d'interlocuteurs (partis politiques, médias….). Quant au fonctionnement de la Maison de l'Intérieur, le Secrétaire d'Etat, Saâd Hassar, pur produit de Dar Al Makhzen, est toujours aux commandes. Pour la Justice, et malgré le soin apporté par le communiqué du Cabinet royal en évoquant l'action de Abdelouahed Radi, l'arrivée de Me Naciri sonne comme l'échec patent de l'USFP à mener la réforme de la Justice durant deux mandats successifs (celui de feu Mohamed Bouzoubaâ puis celui de Abdelouahed Radi). Moulay Taïb Cherkaoui étant désormais promu à l'Intérieur, Me Mohamed Naciri sera véritablement l'homme fort de l'appareil judiciaire, précédé d'une réputation de grand juriste. Il devra toutefois composer avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Les poches de résistance sont nombreuses au sein de l'appareil de la justice et la réforme est toujours au point mort malgré toute la détermination affichée par Mohammed VI. Cette fois-ci, l'homme idoine semble avoir été trouvé. Abdelkhalek Zyne