Peu importe qu'on les appelle «réfugiés climatiques», «éco-réfugiés» ou «déplacés de l'environnement» L'importance numérique des populations que le réchauffement climatique et la dégradation de l'environnement forceront à migrer donne le vertige. Selon un rapport publié en octobre 2009 par l'Université des Nations Unies (ISEH, Bonn), 50 millions de personnes pourraient être contraintes à quitter leurs lieux d'habitation d'ici à 2010 et 200 millions d'ici à 2050. On compterait déjà 20 millions de ces déplacés, même si les chiffres restent sujets à caution en raison de la difficulté à établir un lien direct entre dégradation environnementale et migrations. 100 millions de personnes menacées par la montée des mers L'Afrique sub-saharienne, les grands deltas de l'Asie du sud-est et les états insulaires du Pacifique demeurent les plus menacés. Mais, alors que l'Afrique s'assèche ou que le désert de Gobi avance de 3 km par an en Chine, les îles du Pacifique, particulièrement Tuvalu, courent le danger inverse : c'est la montée des eaux qui risque de les engloutir (au total, 100 millions de personnes dans le monde seraient menacées par l'élévation du niveau de la mer). Ce danger est si réel que le gouvernement des Maldives a voulu frapper les esprits avant le sommet de Copenhague. Histoire de rappeler que l'existence même de l'archipel était menacée par la montée du niveau des océans, il a tenu un conseil des ministres sous l'eau! Quant aux 12.000 habitants de Tuvalu, qui pourraient être les premiers «réfugiés» d'un pays englouti par les eaux si les prévisions pessimistes se confirment, ils cherchent à s'établir ailleurs. Mais les accords négociés par Tuvalu avec la Nouvelle Zélande n'auraient permis jusqu'ici qu'à 75 de ses ressortissants de prétendre à une migration temporaire de travail. En réalité, les réfugiés climatiques ne sont pas reconnus internationalement même si l'ONU les a défini dès 1985 comme des individus «forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d'une dégradation nette de leur environnement qui met gravement en péril leur existence ou leurs conditions de vie». Pas de consensus pour un nouveau statut Pour autant, ils ne disposent d'aucun statut juridique et donc d'aucune protection, les pays s'en tenant à la définition de réfugié adoptée par la convention de Genève de 1951. Or celle-ci n'accorde ce statut qu'à celui qui «craint avec raison d'être persécuté dans son pays d'origine( )». L'enjeu est donc de savoir si les «éco-réfugiés» seront reconnus comme une nouvelle catégorie de réfugiés. Le débat fait rage entre Etats, ONG, responsables politiques, climatologues, avocats. Mais aucune proposition ne fait consensus. Une telle reconnaissance pose en effet de nombreux problèmes. Le premier, c'est que la très grande majorité de ces migrants sont des «déplacés internes». Et dès lors qu'ils demeurent à l'intérieur de leur propre pays, «leur prise en charge relève des États souverains», estime l'organisation mondiale pour la migration. La situation est d'autant plus compliquée que le réchauffement provoque une dégradation lente de l'environnement et des conditions de vie. Dés lors, il est difficile de déterminer si le migrant part contraint par la perte de ses moyens de subsistance ou volontairement pour trouver de meilleures conditions de vie. La responsabilité directe du réchauffement est en outre difficile à prouver, avancent les adversaires d'un statut juridique pour ces migrants. L'argument n'est pas faux. Mais il cache mal que la plupart des pays du nord refusent une modification de la convention de Genève allant dans le sens d'un élargissement de la définition des réfugiés. Ne pas dédouaner les Etats du sud Officiellement, le nord met en avant la crainte que cet élargissement fragilise encore plus le statut de réfugié politique au moment où les institutions internationales sont déjà débordées par les demandes d'asile politique. Plusieurs spécialistes craignent en outre que la création d'un statut d'«éco-réfugiés» permette aux pires dictateurs d'attribuer toutes les famines au réchauffement. Une manière d'occulter leurs responsabilités économiques et politiques qui sont aussi à l'origine des déplacements de population. Une chose est sûre: en ces temps de fortes tensions sur les migrations, la perspective du déplacement de millions de personnes inquiète et (re)suscite des peurs irrépressibles. On ne pourra cependant les laisser errer sur les routes sans aucun statut et sans aucune protection. D'autant que le Sud pourrait en être la première victime. Car ces nouveaux réfugiés se dirigeront d'abord vers les pays limitrophes. Au Nord, cela risque de favoriser des comportements de rejets violents pouvant créer des situations incontrôlables. Surtout en ces temps de fortes tensions sur les migrations. On le voit, le temps presse pour éviter que de nouveaux parias sans droits soient jetés massivement sur les routes.