Ils sont près de 95 millions d'enfants africains sans extrait de naissance. L'extrême pauvreté, le déficit d'informations, le poids des traditions, les conflits armés ou encore la pandémie actuelle en sont autant de causes. Abdoulaye Harissou, Co-fondateur et Président du Comité de gestion du fonds Urgence Identité Afrique (UIAfrica), placé sous les auspices de la Fondation Roi Baudouin (Bruxelles), aborde ce sujet dans toutes ses dimensions. - Actualité oblige, l'Afrique, à l'instar des autres continents, a fêté le 20 novembre la « Journée internationale des Droits de l'Enfant ». Quels sont les enjeux de cette célébration ? Le 20 novembre a été décrété par les Nations Unies comme étant la Journée internationale des Droits de l'Enfant. Pour nous, Urgence Identité Afrique, c'est une célébration de grande portée car nous voulons tout simplement mettre en lumière ce drame qui se joue en silence : le faible taux d'enregistrement de naissance à l'état civil. Ce problème a des conséquences sur plusieurs aspects: économique, culturel, sécuritaire et social. En effet, il y a beaucoup d'enfants qui naissent sur notre continent mais qui n'existent pas civilement. Ils sont à la merci de tous les abus. A l'instar des autres organisations qui œuvrent pour la protection de l'enfant, le fonds UIAfrica est concerné au plus haut degré. Qu'en est-il de ces droits en Afrique aujourd'hui ? Malheureusement, les droits des enfants sont brimés dans beaucoup de pays africains. Certains enfants ne vont pas à l'école, ils sont employés dans des mines, assignés à des travaux champêtres, et certains d'entre eux sont victimes d'abus sexuels. D'où l'importance d'une journée comme le 20 novembre pour sensibiliser, informer, et interpeller les parents, le grand public et les gouvernements sur la nécessité de préserver les droits des enfants pour qu'ils puissent assurer la relève de demain. En plus de leurs droits bafoués, des millions d'enfants africains sont sans existence légale. Comment expliquez-vous cette situation ? Nous sommes dans une situation de déni et une absence de conscience chez certains parents, ainsi que chez les chefs de famille qui ne savent pas que l'état civil est très important, je dirais même indispensable pour qu'un enfant jouisse des droits fondamentaux. Ils ne se rendent pas compte que le monde a changé et qu'il est nécessaire de donner une identité à l'enfant en l'inscrivant à l'état civil. Il y a aussi le manque de volonté politique des Etats qui ne considèrent pas ce sujet comme une priorité. Résultat : dans beaucoup de pays africains, les enfants ne sont pas déclarés et ce nombre est encore plus élevé dans les zones rurales, et les zones enclavées. Pour nous, le sujet est fondamental à bien des égards. Non seulement parce que cette situation est moralement inacceptable pour des dizaines, voire des centaines de millions d'enfants à naître, mais aussi parce qu'elle constitue un facteur de risque majeur sur les plans politique, économique, social et sécuritaire. La fondation Urgence Identité Afrique travaille pour qu'aucune personne ne reste « invisible » ou sans extrait de naissance. Quel est l'état des lieux sur le continent ? La situation est vraiment déplorable. Le problème existe principalement en Afrique subsaharienne contrairement à l'Afrique du Nord où l'établissement de l'Etat Civil a été un réel progrès. On compte actuellement, sur le continent, plus de 95 millions d'enfants qui ne sont pas enregistrés, donc qui n'ont pas d'acte de naissance. D'ailleurs, j'ai co-écrit, avec Laurent Dejoie, un livre dans ce sens sous le titre « Enfants fantômes », paru en 2014. Ce sont des enfants invisibles car ils n'existent pas légalement. Ce sont eux que l'on voit peupler les rues à Dakar, Yaoundé, Lagos, etc. Ce sont eux aussi qui sortent des écoles coraniques pour mendier. Ils sont fragiles et donc à la merci de toutes sortes de vicissitudes. En Somalie, par exemple, 8 % seulement d'enfants ont un état civil. Le phénomène est exacerbé dans les pays qui ont connu la guerre ou qui connaissent des conflits. A l'échelle mondiale, ils sont plus de 230 millions d'enfants sans identité. D'où l'importance pour les Etats et les organisations internationales de prendre conscience de la nécessité de faire du combat pour l'identité juridique une priorité absolue. La Covid-19 a-t-il aggravé la situation ? Dans une certaine mesure, on peut répondre par l'affirmative. Déjà que les structures n'existent pas partout, si l'on ajoute à ce manque les confinements, on peut comprendre aisément la montée en flèche du nombre d'enfants n'ayant pas de jugements supplétifs. D'où la nécessité et l'importance d'instaurer la culture de l'état civil dans nos pays afin que pareille pandémie ne puisse interrompre ni affecter l'enregistrement des enfants à leur naissance. Le Covid-19 a empêché les ONG de travailler sur le terrain pour aider les associations locales à faire face à ce problème, sans oublier que de nombreuses administrations travaillaient au ralenti tandis que d'autres ont complètement cessé de fonctionner. Enfin, et pour être concret sur le terrain, nous avons pris le Sénégal et le Togo comme des pays pilotes.
Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE Encadré Indice Mo Ibrahim Les progrès de la bonne gouvernance en Afrique ralentissent Les progrès de gouvernance en Afrique ralentissent, selon l'indice de la fondation Mo Ibrahim publié récemment à Londres, sur fond de craintes liées à la pandémie du nouveau Coronavirus. Dans son édition 2020, l'index, qui a été revu en améliorant et en complétant ses indicateurs, montre que la bonne gouvernance en Afrique s'est améliorée sur la décennie 2010-2019, plus de 60% (61,2 %) de la population africaine vivant dans un pays où des progrès ont été recensés. Mais le rapport souligne un ralentissement des progrès ces cinq dernières années, et « de manière préoccupante », le score moyen en 2019 pour l'Afrique a enregistré un recul pour la première fois depuis 2010, tandis qu'il avait progressé ou stagné jusqu'alors. La période couverte s'arrête à la fin 2019, juste avant que l'Afrique ne soit frappée par la pandémie du nouveau Coronavirus. Mais le rapport souligne qu'en « termes de droits, d'espace pour la société civile et de participation, le continent était bien avant engagé sur un chemin qui se dégrade et la pandémie a aggravé la trajectoire négative ». « A l'inverse, les opportunités économiques étaient sur une trajectoire positive de progrès constant, et l'impact du Covid-19 menace à présent ce qui a été accompli de haute lutte dans ce domaine », déplore le rapport. Il note que des pays bien placés, comme la Mauritanie, le Botswana ou l'Afrique du Sud, classés respectivement en 1ère, 5ème et 6ème place, suivent « un chemin qui se détériore depuis 2015 ». A l'inverse, d'autres comme la Gambie (16ème), la Côte d'Ivoire (18ème) et le Zimbabwe (33ème), figurent parmi les meilleures progressions de la décennie. En 54ème et dernière place, la Somalie est sur le chemin de l'amélioration. Riche homme d'affaires, Mo Ibrahim avait revendu en 2005 son entreprise de téléphonie mobile, Celtel, avant de créer en 2006 sa fondation, dont le siège est à Londres et qui se donne pour mission de promouvoir la bonne gouvernance en Afrique.