Monsieur, vous qui êtes réputé être mon représentant local, je m'adresse à vous depuis la salle de réanimation, à peine sortie de la salle d'opération pour cause de fracture du col de fémur droit, la 2ème opération du genre que je subis en moins de deux ans...A demi consciente, je ne retrouve pas mes forces habituelles, faites de pudeur et de contrition ancestrales, pour empêcher que ma colère et ma rage vous éclatent au visage et au visage de vos semblables et acolytes qui sévissent parmi nous! Monsieur l'élu local, vous qui rêvez certainement- et maladivement- de devenir député, je doute que vous soyez étonné par mes propos car j'ai toujours espoir que toute créature humaine garde en elle une étincelle de conscience qui pousse à reconnaître ses torts et sa responsabilité, quel que soit le niveau de reniement ou de déviance auquel on serait arrivé ou auquel on aurait succombé ici-bas parmi ses semblables. Le Miséricordieux ne nous donne-t-il pas l'exemple en ne cessant de nous assurer de son pardon pour les repentis et pour tous ceux qui reconnaissent leurs faiblesses, défaillances et pêchés?! Le pardon, je l'ai déjà accordé, bien volontiers, aux deux jeunes, victimes insouciantes des « pilules rouges » (« Al Bola Al Hamra »), qui, il y a près de deux ans, me fracassèrent mon col de fémur gauche...En ce jour de décembre, j'étais confiante en la liberté et en la sécurité dont je pouvais jouir, comme vieille citoyenne, arrière grand-mère en ce pays, afin de me rendre à ma pharmacie habituelle pour chercher mes habituelles pilules si indispensables pour atténuer quelque peu les douleurs de mon arthrose qui tord depuis des années mes doigts et mes mains trop longtemps tendues et endoloris par des heures et des heures passées, près de six décennies durant, sur mes ouvrages de couture et de broderie pour garantir à mes trois orphelins, trop tôt, le gîte, le couvert et surtout le banc de l'école...Quand soudain, sur le seuil de l'officine, je fus renversée violemment sous le poids d'un des deux jeunes énergumènes, poussé par son congénère, aussi patibulaire et titubant que lui...Agression imprévisible (ou prévisible, vu l'état quasi tragique de nombre de nos jeunes?) qui allait me valoir six mois de suivi médical, au lendemain d'une intervention pour cause de fracture de mon col de fémur, gauche donc, ce qui, vous vous en doutez, diminua ma motricité déjà fort réduite par l'âge et par une vie de dur labeur... Certes, vous pouvez vous défendre par l'évidence même, en trouvant, avec d'autres, que je vous fais un mauvais procès en vous rendant responsable de l'oisiveté, du chômage et de la déchéance si propice à la délinquance, malédictions qui, réunies - tragique déveine! - lobotomisent la jeunesse de notre - de Votre quartier !- dont vous êtes le «représentant-tuteur», en principe comptable de sa quiétude et de la civilité et respect requises entre ses habitants, jeunes et vieux, valides et invalides... Cela revient au mot magique, lancinant leitmotiv dans la bouche de mes trois garçons : la «gouvernance»... A vous de la décliner en responsabilités comme vous pouvez ou le voulez, vous la «conscience» responsable de la collectivité locale qui fait de vous son élu...Mais, auriez-vous le même aplomb, voire l'outrecuidance, pour décliner toute responsabilité dans mon deuxième drame, la fracture de mon autre col de fémur, le droit cette fois?! Pourriez-vous, en toute conscience, nier votre responsabilité dans l'état des rues, chaussées et trottoirs qui constituent, à Casablanca, mon périmètre de vie autour du marché de « Ben Jdia?»... Un maquis de nids de poules, de traquenards, de crevasses, de fatals précipices même, et de fiefs d'occupations illégales et anarchiques...N'êtes-vous pas responsable, Monsieur le responsable de « ma » collectivité locale, de ce carrelage fatidique, qui craquèle et fendille dès le lendemain de sa pose sur la mince et exigüe bande que vous nous concédez comme «trottoirs», nous les piétons qui devrions, dans ce cas, vous élire par nos pieds plutôt que par nos mains et nos méninges?! Comment marcher sur cette bande «non passante» sans lever les yeux, le moindre moment d'inattention, le moindre regard détaché de vos carrelages, au rouge sale, et le drame peut arriver...C'est ce qui fût mon sort ce vendredi matin alors que je m'acheminais, avec extrême prudence, vers ce marché que je ne peux appeler par son nom originel, du temps de l'occupation coloniale : «marché de la liberté »! J'ai pu éviter, en slalomant comme j'ai pu, deux ou trois carreaux, soit décollés, soit fendillés, mais un traître quatrième, au dénivellement insoupçonnable, eût raison de mon extrême vigilance et ma chute fût inévitable devant une échoppe dont le tenancier m'apprendra plus tard que j'étais la énième victime de ce traquenard, en moins de quelques mois, depuis que ce champ de «mines personnelles» (33 cm sur 33 cm) a été installé! Quand l'aîné de mes enfants me rapporte que ce piégé carrelage des trottoirs, friable et cramoisi de par sa couleur pas nette comme son origine, pave les rues de Rabat où il réside; quand mon cadet me confirme que le même revêtement sévit à Marrakech et que des proches à Oujda, à Tanger et dans d'autres villes se plaignent du même «ornement» qui donne de l'ouvrage, si profitable, à tous les traumatologues du Royaume, je me pose la question, je vous pose la question : sous l'emprise, ou l'intérêt (partagé?) de quel entrepreneur/empereur, accordez-vous, vous, tous les élus locaux de nos villes et centres à trottoirs, l'exclusivité de ce revêtement conçu et posé, avec un génie tel de prévoyance d'autres intérêts et profits, qu'il nécessite périodiquement, de par des défaillances et tricheries programmées, de nouveaux «appels d'offres» («offres» de pièges à sous!) pour cause de diverses malfaçons, récompenses, sans doute à nos votes qui vous permettent, vous, «nos» élus, de faire tourner à longueur d'exercices budgétaires, cette manne en...béton...qui profite...à qui? Dites le moi? A vous? Aux cliniques réparatrices des fractures des électeurs et électrices, lesquels d'ailleurs, ne sont pas à une fracture près dans leur dignité et leur citoyenneté! En tout cas, cette vraie conjuration profite, à coup sûr, aux maîtres de ces «ouvrages» factices et assassines qui poussent de manière prolifique sur tout champ ou espace de la chose publique dont vous êtes un des premiers dépositaires, Monsieur «mon» élu local pour lequel je n'ai pas voté, gréviste de vote que je suis, et je le resterais à jamais! D'ailleurs je ne peux plus, même physiquement, me rendre à un bureau de vote combien même je le voudrais, au moins pour appeler à une citoyenneté digne et souveraine, rêve qui anima et poussa à moult sacrifices, dont le suprême, nombre de figures illustres dont les noms estampillent pour l'éternité, je l'espère, les ruelles de ce quartier que vous ravagez par vos décisions et pratiques douteuses et trouées : Mohamed Zerktouni, Rahal El Meskini, Haj Ammar (et non Omar) Errifi, Jacques Lemaigre Dubreuil... Ô Résistance, qui, de nos jours, honorera tes rêves de la chose publique dans un pays indépendant avec de tels élus qui broutent du trottoir?! Moi, Monsieur le prétendu dépositaire de la chose publique dans mon quartier, j'ai résisté et résisterai encore pour vous contester, plus que jamais, le droit de me représenter ici-bas. Quant à l'au-delà, malheureusement pour vous : il n'y a pas de trottoirs qui bordent le «droit chemin» qui sépare le paradis de l'enfer...
