Il y a 40 ans, le film algérien "Chronique des années de braise"(1975) obtint le grand prix du festival international du film de Cannes. Une consécration bien méritée à l'honneur de l'Algérie indépendante, à son cinéma spécifique de l'époque, et à son cinéaste militant et engagé Mohamed Lakhdar Hamina. Depuis, aucun film arabe ni africain n'a pu décrocher la palme d'or malgré de vaines tentatives. Ces "Chroniques" s'articulent autour d'une construction simple en six tableaux expliquant les causes de la révolution et le processus de la décolonisation. Elles s'ouvrent sur des images craquelées du désert saharien pour finir dans les massifs enneigés de Kabylie. La sécheresse de 1939 a ruiné les terres. L'eau reste allouée aux domaines coloniaux. Premier tableau – « Les années de cendres » – Mohamed Lakhdar filme une famille de paysans réduite à la survie. Ahmed part tenter sa chance à la ville où il rencontre Miloud, le prophète. Mais une terrible épidémie de typhus y fait des ravages. Les Français sont évacués et les Arabes restent consignés. Le fils d'Ahmed, Smaïl, sera le seul survivant de la famille à l'épidémie. Deuxième tableau – « Les années de charrette » – lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Ahmed est mobilisé dans l'armée française pour ne rentrer qu'en 1945 en Algérie. Il assiste à la répression violente suscitée par les espoirs d'indépendance. Troisième tableau – « Les années de braise » – en 1946, les élections vont cristalliser de nouveaux affrontements entre mouvements légalistes et partisans de l'action armée. Quatrième tableau – « Les années de charge » – Ahmed rejoint dans les montagnes la résistance des clandestins. Cinquième tableau – « Les années de feu » – Ahmed sera tué mais son fils reprendra le flambeau lors de l'insurrection de la Toussaint 1954 annonçant la guerre d'Algérie. Sixième tableau – « Le 11 novembre 1954 » – La vision politique cède progressivement le pas au conte autour d'un personnage fou et prophétique incarné par le réalisateur. Ce dernier commente ces séquences d'un souffle vivant, accompagnant la libération progressive du peuple algérien du joug de la colonisation. Ce film doit se comprendre comme l'aboutissement d'un long parcours, le passage de la résignation à la révolte, dévoilant la destinée collective d'un peuple à travers un destin individuel. Ahmed, pauvre paysan du Sud, cristallise toutes les épreuves de l'Algérie. Ces "Chroniques", sous la forme d'un conte dans une tradition de transmission orale, réhabilitent une histoire jusqu'ici confisquée par les colonisateurs. La mise en scène reste essentiellement narrative. La figure de Miloud, le sage prophète, symbole de la mémoire populaire, fonctionne à la manière d'un personnage de la tragédie grecque. Elle s'adresse aux morts comme aux vivants sous la forme de paraboles philosophiques. Au début du film, sur un rythme lent, se déroule le quotidien des paysans luttant contre les éléments naturels et l'assèchement de leurs terres (troupeaux de moutons décimés dans le désert aride). L'eau constitue le thème central et récurrent du récit. Puis le rythme s'accélère peu à peu avec le mouvement des révoltes contre l'occupant colonial. L'image exprime alors davantage la violence humaine. À sa manière, Mohamed Lakhdar réécrit l'histoire nationale, sans toujours parvenir à montrer les complexités de la période. Il utilise les plans larges et horizontaux dans des cadrages très photogéniques (orages, crues, charges à cheval...). Le cinéaste revendique d'ailleurs sa filiation avec le cinéma soviétique d'Alexandre Dovjenko (1894-1956) "Le dit des années de feu" (1961), achevé par Youlia Solntseva. "Chronique des années de braise" sera critiqué à sa sortie pour son lyrisme flamboyant. Le quotidien gouvernemental "El Moujahid" le jugera même réactionnaire : « Le metteur en scène s'ingénie à nous montrer que l'ennemi principal des masses paysannes reste la sécheresse... ». Cependant ce film permet enfin à l'Algérie de mettre en scène sa propre histoire. Dans le contexte d'une relance de la production du cinéma algérien des années 70, ce film, commande de l'État pour le vingtième anniversaire de l'insurrection, est devenu une des œuvres phares du Tiers Monde. Malgré un budget décrié de 900 millions de francs, un goût pour le spectaculaire et une dramatisation digne d'une superproduction. Derrière les frontières confrontant colonisés et colonisateurs (ces derniers, d'ailleurs peu visibles à l'écran) et au-delà d'un hommage à l'Algérie indépendante, Mohamed Lakhdar dresse un portrait en profondeur des destinées humaines. L'anticolonialisme se fait ici vecteur d'une dimension humaniste. À travers une évocation avant tout lyrique, ce film demeure l'épopée personnelle de personnages ordinaires dont les regards réfléchissent le poids d'un passé susceptible de contribuer à dessiner un avenir.