Des milliers de scientifiques, 15.364 exactement, issus de 184 pays, ont publié, lundi 13 novembre dans la revue BioScience, un véritable cri d'alarme sur l'état de la planète, appelant l'humanité à changer radicalement de mode de vie en adoptant une alternative plus durable écologiquement si elle veut vraiment éviter "une misère généralisée" et une perte catastrophique de biodiversité. C'est la deuxième fois que des scientifiques du monde entier adressent une telle mise en garde "avant qu'il ne soit trop tard", mais l'avertissement cette fois-ci est particulièrement alarmant au regard du ton utilisé et de l'angoisse qu'inspire la solennité de la mise en garde. D'où le grand intérêt médiatique accordé à l'événement à l'instar du journal "Le Monde" qui lui a consacré sa Une du mardi 14 novembre en publiant l'intégralité de l'appel. Certes, des astronomes, physiciens, biologistes, chimistes, zoologistes, agronomes, climatologues, océanologues..., au nombre de 1700, s'étaient déjà unis à l'issue du Sommet de la Terre à Rio en 1992 à l'initiative du Prix Nobel de physique, Henry Kendall, avec le soutien de l'association Union of Concerned Scientists, pour alerter les gouvernements et les citoyens sur la destruction rapide du monde naturel. Mais leur appel n'a pratiquement pas eu d'effet puisque, 25 ans plus tard, tous les indicateurs montrent une dégradation grave et continue de l'environnement sous la pression de l'Homme. Cette fois-ci, l'alarme prend une ampleur plus importante par le nombre des scientifiques signataires multiplié pratiquement par 10 et par les dégâts relevés qui virent aux drames écologiques. "Toutes les tendances discernables en 1992 se sont aggravées et le pire est que l'on ne voit pas le bout du tunnel", expliquent les auteurs du nouveau cri d'alarme. Si les signataires de la déclaration de 1992 craignaient que l'humanité ne pousse les écosystèmes "au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie" et soulignaient qu'elle se rapprochait rapidement des limites de ce que la biosphère est capable de tolérer sans dommages graves et irréversibles, le constat établi aujourd'hui est encore plus angoissant devant l'échec manifeste à accomplir des progrès suffisants pour résoudre les défis environnementaux annoncés et qui se sont par ailleurs considérablement aggravés. Particulièrement troublante est en effet la trajectoire actuelle d'un changement climatique potentiellement catastrophique, dû à l'augmentation du volume de gaz à effet de serre dégagés par le brûlage de combustibles fossiles, la déforestation et la production agricole -notamment les émissions dégagées par l'élevage des ruminants de boucherie. Pour le scientifiques :"Nous avons déclenché un phénomène d'extinction de masse, le sixième en 540 millions d'années environ, au terme duquel de nombreuses formes de vie pourraient disparaître totalement, ou en tout cas se trouver au bord de l'extinction d'ici à la fin du siècle". Le bilan qu'ils dressent est glaçant : les forêts disparaissent massivement au profit de l'agriculture, la biodiversité disparaît à un rythme sans précédent et à une cadence toujours croissante (la moitié des animaux sauvages ont disparu de la planète en 40 ans), les ressources hydriques se raréfient à une vitesse vertigineuse, les gaz à effet de serre et les températures continuent à croître avec des pics révélateurs d'une tendance toujours plus prononcée... La solution selon les scientifiques réside dans l'Homme, c'est à dire nous tous, gouvernements, entreprises, sociétés civiles et individus, qui devons prendre réellement conscience de la gravité de la situation et procéder à une révision conséquente de notre comportement. Ce sont nous qui mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense mais géographiquement et démographiquement inégale, et de prendre conscience que la croissance démographique rapide et continue est l'un des principaux facteurs des menaces environnementales et même sociétales. "En échouant à limiter adéquatement la croissance de la population, à réévaluer le rôle d'une économie fondée sur la croissance, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à encourager le recours aux énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la «défaunation» et à limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes, l'humanité omet de prendre les mesures urgentes indispensables pour préserver notre biosphère en danger", lit-on dans le texte de l'appel. Un appel qui se veut aussi mobilisateur en incitant les scientifiques, les personnalités médiatiques et les citoyens ordinaires à "exiger de leurs gouvernements qu'ils prennent des mesures immédiates" car il s'agit là d'un impératif moral vis-à-vis des générations actuelles et futures des êtres humains et des autres formes de vie. "Grâce à un raz-de-marée d'initiatives organisées à la base, suggèrent les signataires, il est possible de vaincre n'importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d'obliger les dirigeants politiques à agir". Il est clair que devant l'inertie des responsables politiques de par le monde et leur indifférence désarmante aux appels antérieurs, les auteurs du présent cri d'alarme ont choisi de mettre l'humanité devant ses responsabilités et de l'inciter à une indignation soutenue, permanente et organisée dans l'objectif d'imposer le sauvetage de la planète par la base. Jamal HAJJAM