Par-delà les serres plastifiées de fraises et de framboises, un vent nouveau souffle sur Huelva. Pour la première fois, des travailleuses saisonnières marocaines ont fondé leur propre syndicat, bousculant un système migratoire aussi lucratif que déséquilibré. Leurs conditions de travail précaires ne sont plus un non-dit. Elles deviennent un combat collectif, porté par celles que l'on n'entendait jamais. Longtemps réduites à une main-d'œuvre invisible, soumise aux cadences effrénées des récoltes agricoles espagnoles, les travailleuses marocaines de Huelva ont décidé de ne plus courber l'échine. À l'occasion du 1er mai, symbole universel des luttes ouvrières, elles ont annoncé la création de leur propre syndicat. Une première dans l'histoire du travail saisonnier migratoire entre le Maroc et l'Espagne. Derrière cette initiative inédite se trouvent le collectif Jornaleras de Huelva en Lucha – littéralement, « les journalières de Huelva en lutte » – et le syndicat andalou SOA (Sindicato Obrero Andaluz). Mais la singularité du projet tient surtout à son ancrage : ce ne sont pas des structures syndicales traditionnelles qui ont orchestré ce réveil, mais les ouvrières elles-mêmes. Ce sont elles qui, après des années d'abus, de marginalisation linguistique et d'isolement social, ont pris l'initiative d'une auto-organisation structurée, autonome et revendicative. Lire aussi : Marocaines de Huelva : un nouveau concept est désormais envisageable Le contexte de ce réveil social s'inscrit dans le cadre du programme GECCO (Gestion collective des contrats en origine), un système de migration circulaire par lequel plusieurs milliers de femmes marocaines, principalement issues de milieux ruraux, sont recrutées chaque année pour les campagnes agricoles. En théorie, ce système leur garantit un contrat, un salaire et un retour organisé. En réalité, il a souvent servi de paravent à des pratiques opaques, oscillant entre non-respect des engagements contractuels, surexploitation et conditions de vie indignes. Ces dernières années, des enquêtes journalistiques, des rapports d'ONG et des témoignages anonymes ont révélé l'envers du décor : logements surpeuplés, heures supplémentaires impayées, licenciements abusifs, et parfois même des cas de harcèlement. Malgré cela, les réformes se sont fait attendre, et la voix des concernées n'a jamais trouvé de relais institutionnel durable. Jusqu'à aujourd'hui. La naissance de ce syndicat change la donne. Loin d'être symbolique, il est déjà en action. À peine constitué, il a porté une première plainte pour licenciement abusif, non pas en Espagne, mais au Maroc, où la travailleuse avait été renvoyée sans motif clair. Le geste est fort : il affirme que les droits ne s'éteignent pas avec le retour au pays, et que les liens entre les deux rives doivent désormais être rééquilibrés par des mécanismes de justice transfrontalière. Le nouveau syndicat assure le soutien juridique de cette démarche, esquissant les contours d'une solidarité durable et transnationale. L'initiative s'inscrit dans une séquence plus large de montée en puissance des revendications portées par les travailleuses agricoles. Le fait que cette impulsion vienne cette fois de l'intérieur, des premières concernées, donne à la démarche une portée politique et sociale inédite. Comme l'expliquent les militantes du collectif, il s'agit de sortir de la précarité par le haut, en imposant aux employeurs une négociation d'égal à égal, où les ouvrières ne sont plus de simples ressources humaines jetables mais des interlocutrices organisées et légitimes. Ce syndicat ne résoudra pas à lui seul les multiples injustices accumulées. Mais il fissure un modèle fondé sur le silence et la dépendance. Il installe une dynamique nouvelle : celle d'un rapport de force assumé, d'une prise de parole collective, d'une dignité retrouvée. Et surtout, il rappelle à l'Espagne et au Maroc que la question du travail saisonnier ne peut plus être traitée comme un simple échange de main-d'œuvre, mais comme un enjeu social, politique et humain de premier plan.