Il y a des scènes qui, même dans l'austérité d'un Sénat feutré, claquent comme des gifles pour la simple raison qu'elles disent tout haut ce que tant de gens pensent tout bas. Le mercredi 10 juillet 2025, au cœur du Palais du Luxembourg, c'est une femme, Rachida Dati, qui a osé dire, qui a osé réagir. Et qui, par sa seule parole, a rappelé à une institution compassée que la République n'appartient à personne, surtout pas à ceux qui confondent posture et légitimité. Elle ne parle pas pour séduire, ni pour plaire à un auditoire. Elle parle parce qu'elle connaît ce qu'elle défend. Elle venait défendre une réforme de l'audiovisuel public. Un chantier important, technique, légitime à débattre. Mais dans ce débat-là, ce soir-là, ce n'est pas le fond qui a fait trembler les murs. C'est la forme, l'attitude, le petit geste de trop, celui de Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice socialiste, rompue aux codes de la maison. Un geste de la main d'un air supérieur, supposé ironique, pour inviter Rachida Dati à « réfléchir ». Ce geste-là, anodin pour certains, condescendant pour d'autres, a cristallisé une réalité bien plus profonde : le mépris de classe. Et là, Rachida Dati n'a pas fui, elle n'a pas arrondi les angles. Elle a fait ce que font les femmes qui en ont vu d'autres parce que parfois, les gestes blessent plus que les mots. Elle a répondu, sans trembler, sans détour et avec cette dignité rugueuse des gens qui ont grandi dans la vraie vie. Face à une opposition sénatoriale bien rodée, et une salle qui sait jouer la comédie parlementaire, Dati est restée fidèle à elle-même : tranchante, directe, sans vernis. Elle a pris les mots comme d'autres prennent le fer : pour tailler dans le mépris. Rachida Dati s'est levée. Pas de sa chaise, mais dans ses mots : « Un peu de respect, madame de La Gontrie. Je ne suis pas fille de sénateur, certes, mais le "comme ça" [gestes autour de la tête], vous vous l'appliquez, vous ne me l'appliquez pas. » LIRE AUSSI : Le ministère français de la Culture salue l'essor culturel du Maroc La salle se fige. Et elle continue : « S'il vous plaît, vous me respectez, y compris dans votre gestuelle. Je ne suis pas votre femme de ménage. Je vous le rappelle : je ne suis pas votre femme de ménage. Peut-être que mon père ouvrier travaillait pour votre père, mais pas aujourd'hui. C'est fini cette époque. » Ce n'était pas du théâtre, pas une colère. C'était du vécu, une mémoire. Une parole taillée à même la biographie. Celle d'une enfant d'immigrés marocains, qui a grimpé à la force de l'effort, du mérite, du travail. Pas avec un réseau, pas avec un nom à particule, mais avec la rage d'être là où on ne l'attendait pas. Une parole d'une fille d'ouvrier, devenue ministre, et qui n'a pas oublié le regard qu'on pose sur celles et ceux qui viennent d'en bas. Ce n'était pas un règlement de comptes, c'était une mise au point. Une salve de vérité contre les réflexes de classe. Et quand elle ajoute, plus tard, calmement : « Madame de La Gontrie, vos conseils sur le travail et la vie... je pense qu'il y a une vraie différence entre vous et moi, s'agissant du travail et de la connaissance des classes populaires notamment », elle ne parle pas seulement d'elle. Elle parle de toutes celles et ceux qui savent ce qu'est un salaire au SMIC, une mère épuisée, un père ouvrier invisible, une vie où le luxe, c'est un mois sans facture impayée. La réplique de la sénatrice Laurence Rossignol, dénonçant un « délit de patronyme », tombe à plat. Comme souvent lorsqu'on confond l'égalité républicaine avec le privilège qu'on refuse de nommer. Elle a rappelé que Marie-Pierre de La Gontrie est élue du 13e arrondissement, un quartier populaire, contrairement au très bourgeois 7e dont Rachida Dati est maire. Argument habile en surface, mais creux en profondeur. Car la vraie fracture n'est pas celle du code postal. Elle est dans les regards, dans les réflexes, dans la façon dont certaines femmes sont autorisées à prendre la parole… et d'autres doivent encore, même ministre, prouver qu'elles en ont le droit. Oui, Rachida Dati parle haut. Mais elle parle juste. Et ce jour-là, elle a rappelé à la République qu'elle n'était pas faite pour une caste, mais pour tous. Qu'on ne peut pas vouloir des médias « pour tous » en les pensant « par et pour » une minorité socioculturelle fermée sur elle-même. Sa réforme peut être discutée. Son ton peut déranger. Mais son courage, lui, ne trompe pas. Et si cette scène a fait tant parler, ce n'est pas seulement parce qu'elle a été vive. C'est parce qu'elle a exposé à nu ce que l'élite aime enfouir : l'entre-soi, les codes implicites, le vernis de respect qui cache si mal les relents de condescendance sociale. Une forme d'aristocratie républicaine qui tolère la diversité tant qu'elle ne dérange pas. Tant qu'elle reste polie. Tant qu'elle ne répond pas. Mais Rachida Dati ne s'excuse pas d'être ce qu'elle est. Elle n'est pas là pour se faire adopter. Elle est là pour agir. Et si ses mots tranchent, c'est parce qu'ils sont vrais. Elle connaît les classes populaires, elle en vient. Elle parle à celles et ceux qu'on n'écoute pas dans les salons feutrés. Quand elle dit vouloir réformer France Info pour qu'elle parle aux gens « là où ils sont », ce n'est pas un slogan. C'est un diagnostic lucide sur un service public parfois déconnecté. Alors, oui, elle dérange. Et tant mieux. Parce qu'en politique, il y a des discours qui rassurent, et d'autres qui réveillent. Et ce soir-là, au Sénat, Rachida Dati n'a pas seulement défendu une réforme. Elle a rappelé à toute la classe politique qu'il y a encore des territoires, des visages, des voix qu'on ne veut pas voir. Et qu'elle, précisément, les incarne. Elle n'a pas élevé la voix. Elle a élevé le débat. Parce qu'au fond, ce qu'elle a dit au Sénat, ce n'est pas seulement « je veux réformer l'audiovisuel ». Ce qu'elle a dit, c'est : « Je suis là. Je suis fille d'ouvrier. Je suis ministre. Et je ne baisserai ni la tête, ni la voix. » Et elle l'a fait comme seules les femmes debout savent le faire : sans demander la permission.