Quand certains trouvent un confort créatif dans la constance, au risque de répéter et revisiter les mêmes données à vie, Abdellatif Lasri, dans son approche plasticienne, multiplie les prises de risques. D'aucuns pourraient y voir une recherche constante d'un style, nous penchons à croire que c'est un pari qu'il relève à chaque fois qu'il entame une toile. Présence du signe, jeux chormatiques, travail de nuance et mises en abyme de la forme, cette peinture révèle aussi un aspect plus ontologique. Les différentes déclinaisons sur la figure et le visage sont parmi les thèmes les plus importants de ce travail. Entre métaphysique et psychanalyse, le visage devient un terrain d'expérimentation, un laboratoire de l'âme, un creusement artistique pour scruter quelques profondeurs. Prise en gros plan, comme une multitude de portraits ou d'autoportraits, la figure chez Lasri est une narration en soi. Ceci nous renvoie à la cinématographie d'Eisenstein et son amour pour le gros plan qui fragmente son discours filmique. Ici dans cette peinture, le visage embraye la narration et la ponctue. Une série de plans en couleurs et en formes, ovales et angulaires, qui délivre une vision, parfois de face, souvent détournée, quelques fois fugace. Et là, la vision, qui résulte de cette activité organique, sensorielle et neurologique qu'est la vue, avec toute cette cohorte d'autres sens qui la sous-tendent, est pourtant considérée comme le moins réaliste, le moins objectif des sens et le plus théâtral. Et c'est là que la dimension métaphysique de ce travail nous touche. La vision offerte à celui qui regarde dépend des conventions du langage pour désigner ce qui est vu et suppose un espace de mise en scène dans lequel s'inscrit la relation du sujet avec son objet, du peintre et de son modèle, de l'amateur d'art et du tableau. Sauf que là, une interrogation demeure. Qui regarde? Qui est regardé? Et quel va-et-vient s'opère-t-il entre ces deux visions qui s'interpénètrent? Transcendances Quoi qu'il en soit, cette peinture permet de rendre directement présent un organe animé par une force vitale inconsciente. Comme chez Francis Bacon où le sens même de l'horreur se transmue en splendeur. Le peintre irlandais disait que «l'horreur de la vie devient vie très pure, intense. » Et le fait même de peindre «tend à une totale imbrication de l'image et de la peinture, de telle sorte que l'image soit la peinture et vice versa. Alors la touche ne remplit pas la forme mais la crée. Par conséquent, chaque mouvement du pinceau sur la toile modifie la forme et le sens de l'image.» C'est cette dimension qui traverse les toiles de Abdellatif Lasri, dans une synthèse de l'image et du sens qui fait que l'oeuvre devient une partition peinte.