Sur l'insistance de ses enfants résidents aux Etats-Unis, Hajja Latifa El Maroudi s'est installée au pays de l'Oncle Sam en 2006. Pour chasser l'ennui et la solitude, elle a travaillé dans le nettoyage dans une mosquée, puis a ouvert un petit restaurant, devenu un lieu de pèlerinage pour tous ceux qui souhaitent goûter à la cuisine marocaine au Texas. Une fois à l'intérieur de son restaurant, on oublie qu'on est aux Etats-Unis et on est téléporté au Maroc. Hajja Latifa El Maroudi tient à préserver le caractère marocain de son local, en prêtant attention aux moindres détails. Native de Marrakech et originaire de Tamgroute (province de Zagora), l'entrepreneuse estime que servir des repas du terroir à ses clients doit se faire dans une ambiance authentique, avec un décor importé du Maroc, de la poterie, des tajines, des épices, l'huile et d'autres matières de base connues dans la cuisine marocaine, qu'elle importe depuis la mère patrie. Son lien avec les Etats-Unis a commencé après l'immigration de son fils en 1987. Depuis, Hajja Latifa se rendait au pays de temps en temps, pour des visites familiales qui se sont multipliées après que ses deux filles ont également immigré en 2000. En 2006, ses trois enfants lui ont proposé de s'installer à San Antonio, dans l'Etat du Texas, ce qui n'a pas été facile pour la mère de famille, du haut de ses 74 ans. «Ils partaient au travail tandis que je restais seule à la maison, ce qui m'ennuyait beaucoup, surtout que j'aime être active», nous confie-t-elle. Un début pour lutter contre la monotonie Cette situation a poussé Hajja Latifa à fréquenter une des mosquées pour prier. Elle propose au responsable du lieu, un citoyen jordanien, de s'occuper bénévolement du nettoyage pendant son temps libre. L'homme a immédiatement accepté. La direction du lieu de culte a décidé toutefois de lui consacrer un salaire mensuel. Au bout d'un an, elle réussit à économiser une somme importante, qui lui permettra de lancer son propre projet. A partir de 2009, elle lance ainsi son restaurant Moroccan bites tagine. «J'ai rencontré une citoyenne musulmane jamaïcaine à la mosquée, elle parlait l'arabe classique et elle tenait un magasin de vêtements. En face de sa boutique, j'ai vu un petit magasin fermé et je n'ai pas compris ce qui était écrit sur le panneau accroché dessus, comme c'était en anglais. Elle m'a dit que c'était à louer. C'est à ce moment que j'ai décidé de lancer mon projet.» Mais Hajja Latifa se confronte à l'opposition de ses enfants. «J'ai donné à mon fils le choix entre me laisser faire ce que je voulais ou retourner au Maroc», nous confie la restauratrice. Au final, elle réussit à convaincre ses enfants. Comme elle est amatrice de cuisine et qu'elle a vu la rareté des restaurants marocains dans la ville, elle décide de lancer un petit restaurant, avec seulement quatre tables. Le début a été difficile pour Hajja Latifa, qui travaille seule, connaît peu l'anglais et a du mal à compter l'argent en devise. Avec le temps et sa bonne réputation auprès de ses clients, la situation a changé, ses deux filles ont quitté leurs emplois pour la rejoindre au restaurant et l'aider dans la gestion. Sa fille Nadia confie à Yabiladi quelques souvenirs, lorsque sa maman les appelait pendant leurs heures de travail en demandant de l'aide pour compter l'argent. De quatre tables à quarante La journée de Hajja Latifa commence à cinq heures du matin. Elle prépare les repas pour ouvrir les portes de son restaurant aux clients vers onze heures. «Je prépare tous les plats réputés de notre terroir marocain, comme le couscous, la harira, la pastilla, zaalouk, mais aussi le pain à la marocaine ; je prépare 60 pains par jour», nous confie la restauratrice. Comme le veut la coutume au Maroc, le vendredi est une journée spéciale couscous et le samedi, c'est le tajine de poisson qui est à l'affiche. Le succès du projet l'a incitée à louer deux locaux mitoyens. Le nombre de tables est passé de quatre à une quarantaine. La plupart des clients de Haja Latifa sont des américains, dont des célébrités telles que Mark Wahlberg, Jay Ramsay Fieri, l'acteur d'origine marocaine Saïd Taghmaoui et bien d'autres. Elle a reçu le prix de la meilleure mère lors de la fête des mères organisée par le maire de la ville, pour son dévouement au travail, sa réputation et son relationnel avec les clients. Rester au restaurant toute la journée lui a cependant causé une maladie de la jambe, qui a nécessité une opération. Mais malgré ce pépin de santé, la restauratrice n'a pas baissé les bras et est retournée à ses fourneaux, car elle tient à faire attention aux moindres détails. Elle reçoit aussi dans son restaurant des lycéens, qui viennent avec leurs professeurs, pour découvrir la cuisine marocaine. Hajja Latifa est même sollicitée par les universités pour préparer des plats marocains. A la fin de ce mois de janvier 2022, un magazine américain doit venir photographier les plats qu'elle préparera. En bonne stakhanoviste des fourneaux, la restauratrice propose aussi des services de traiteur pour cuisiner lors des occasions. Elle accueille égalemment ces clients désireux d'apprendre à cuisiner des mets marocains. De Tamgroute au Texas, Hajja Latifa est devenue une vraie ambassadrice de la gastronomie marocaine.