ça fait longtemps que je voulais commettre un papier sérieux sur l'état de notre cinéma, mais comme je ne suis pas payé pour être sérieux, je me rétracte à chaque fois. On va me dire que j'ai déjà écrit ça et là des trucs sur ça, c'est vrai, mais je n'en suis pas très fier. D'abord, quand il m'arrive d'écrire sur le cinéma dans notre pays, souvent je ne dis rien, ou rien d'essentiel. En général, je me défends en prétendant que c'est le ton décalé et léger qui m'impose ces non-dits, mais en vérité, en réfléchissant un peu, je me rends compte que je suis tombé, moi aussi, comme pas mal d'autres, dans la facilité du «politiquement correct». En fait, je ne sais pas si on peut appeler ça comme ça, mais toujours est-il que depuis quelques années, les langues se sont progressivement liées, les plumes graduellement asséchées et les voix doucettement tues. Au fil du temps, plus personne ne disait ou n'écrivait quelque chose de peur de… Justement, me demanderiez-vous, de peur de quoi au juste ? Et bien, si je vous le disais, vous allez me rire au nez tellement c'est ridicule : ceux qui ne parlent plus ou juste en cachette, n'écrivent plus ou juste avec des pseudos, ont peur tout bêtement de ne plus être… bien vus. Alors, à force de se retenir et de se faire tout petits, tous ces gens-là finissent par perdre toute crédibilité. Ne me demandez pas de vous donner des noms car je ne suis pas un délateur, mais tout ce que je peux vous dire c'est qu'ild sont presque à tous les rayons du cinéma : ça va du producteur ou du réalisateur – c'est souvent le même – et qui a une peur bleue qu'on le prive de la prime tant convoitée, jusqu'au journaliste-critique qui ne critique que ce qu'on lui dit de critiquer, en passant par tous ceux, très nombreux, qui naviguent entre les deux et qui se reconnaîtront. Au fond, si je devais résumer sans caricaturer, je dirais qu'au fond, nous n'avons aucune raison de cacher la vérité ni aucun intérêt à la dissimuler derrière des boîtes de pellicules qui d'ailleurs vont bientôt disparaître pour être remplacées par le tout numérique, plus net et plus transparent. Nous sommes tous d'accord que ces dernières années le cinéma au Maroc a évolué puisque la moyenne atteint les 20 longs métrages et plus et des dizaines de courts métrages par an, alors qu'on produisait beaucoup moins avant ; que beaucoup de films marocains sont vus et certains même sont primés à travers plus d'une centaine de festivals à travers le monde; que des écoles de cinéma ouvrent un peu partout et attirent de plus en plus des jeunes et des moins jeunes. Tout ça, c'est très bien ! Oui, mais à côté de ça, il faut qu'on puisse dire et écrire - sans qu'on soit mis à l'index ou à l'écart - qu'il arrive parfois qu'on encourage la médiocrité en accordant des fonds à certains qui ne le méritent pas, que la gestion de la production laisse souvent à désirer, qu'il y a un vrai problème de scénarios, et que tant qu'on se montre indulgents envers la piraterie, on ne risque pas de ramener le public déserteur vers les salles de cinéma qui ferment les unes après les autres. Voilà, je l'ai dit et je vais être «mal vu». Tant pis. Je sais que tout ça a été dit par ailleurs et même transcrit sur le fameux livre blanc, mais pourquoi alors on nous a obligés à voir parfois du n'importe quoi lors du dernier Festival National du Film de Tanger, sous prétexte que «le cinéma marocain doit donner la chance à tout le monde». Je n'irais pas jusqu'à affirmer, comme certains, qu'aucun court métrage en compétition ne méritait d'avoir un prix, mais par contre je vais dire - même si c'est politiquement très incorrect de le dire - que ce n'est pas en accordant le «Prix Spécial du Jury» à un truc qui ne ressemble à rien qu'on va faire avancer notre cinéma ni encore moins la cause de notre Sahara. Comprenne qui pourra. En attendant, je salue tous les vrais cinéphiles et je leur souhaite un très bon week-end. Quant aux autres… Un dernier mot pour rigoler un peu : Quand on va au Salon du Livre, on s'adresse à des lecteurs, pas à des électeurs.