« Ghali Gate » ! Comme tous les grands scandales politiques et judiciaires, celui provoqué par le leader séparatiste aura trouvé son nom d'anthologie, puisque son entrée frauduleuse en Espagne et sa non moins infâme exfiltration, 44 jours plus tard vers l'Algérie, ont sapé les fondements des relations entre le Maroc et l'Espagne et ont provoqué une méfiance qui a balayé une grande partie des progrès réalisés par les deux pays. Les responsabilités sont en train d'être établies en Espagne, par la justice de l'Etat de droit et celle de l'Etat lui-même. Car en plus d'avoir dangereusement violé la loi, cette opération bizarre a aussi et surtout transgressé les minima de la lucidité politique et stratégique. Mais ce n'est pas l'épilogue de la pièce. Il existe un autre aspect que beaucoup de gens négligent, bien qu'il soit riche d'enseignements. Lorsqu'il n'a plus été possible de se cacher derrière des « raisons humanitaires », certains ont tenté d'être acquittés par les conclusions inhabituellement hâtives du pouvoir judiciaire, sur la base d'enquêtes pour le moins expéditives. En effet, nous sommes ponctuellement confrontés à des communiqués de presse nous informant que le Juzgado de Instrucción n°7 de Zaragoza a demandé, le 21 juillet 2021, une copie des dossiers administratifs relatifs à Brahim Ghali dans le cadre de l'enquête du juge Rafael Lasala, pour des délits non spécifiés et falsification de documents. Le Commissariat général à l'information de la police espagnole a annoncé, la main sur le cœur, qu'il avait « identifié de nombreux documents, tant espagnols qu'étrangers, liés à la personne en question et a effectué tous les contrôles habituels ». Selon la police espagnole, « le statut de résident étranger et de ressortissant espagnol de Ghali a été obtenu légalement, sans aucune preuve de fraude ou de tromperie ». En gros, il n'y a rien à voir ici ! Mais ce qui est important est passé inaperçu. Cette profusion de conclusions partielles souligne le manque d'examen par les enquêteurs espagnols des contradictions flagrantes entre les différents documents d'identité de Brahim Ghali. La multiplicité sans précédent de ces documents aurait dû être une première sonnette d'alarme. Un portefeuille de documents d'identité digne d'un agent clandestin : un DNI espagnol (2004), un passeport algérien (2003), ou une carte d'étranger délivrée en Espagne en 2009, sans oublier un passeport de la république qui n'existe que dans ses chimères. Les dates de validité suspectes de ces documents trahissent un laxisme déroutant dans le traitement du dossier. Une vérification élémentaire aurait révélé que Ghali a autant de dates et de lieux de naissance que de documents d'identité. Il change même la transcription de son nom d'un document à l'autre. Il change également de profession, mais cela est moins problématique lorsque vous n'avez pas de profession. Et alors que « la blessure était encore ouverte », Ghali s'est permis le luxe de quitter l'Espagne pour l'Algérie, depuis l'aéroport de Pampelune, « sans aucun document prouvant son identité ». Un rapport rendu public le 30 août 2021 tentera de justifier ce fait en indiquant que la police espagnole a expliqué au juge d'instruction que Brahim Ghali a été autorisé à quitter le territoire espagnol « parce qu'il s'agissait d'un départ volontaire conformément à la réglementation sur les étrangers, qui prévoit la possibilité de quitter le pays avec des documents défectueux ou même sans papiers, s'il n'existe aucune interdiction ou empêchement de quelque nature que ce soit ». Le ridicule ne tue pas. Dans le cadre de la procédure à Saragosse, le juge d'instruction a décidé, le 1er septembre, de convoquer l'ancien chef de cabinet de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Camilo Villarino, en tant que « personne mise en examen ». Il a été rendu public que, lors de sa comparution, M. Villarino a confirmé qu'Arancha Gonzalez Laya connaissait l'identité du patient qui était entré en Espagne depuis l'Algérie sans contrôle douanier, affirmant en substance que Laya lui avait notifié « qu'il avait été décidé d'admettre le Ghali en Espagne », mais niant qu'elle avait elle-même pris cette décision. En outre, le public a pu découvrir, par le biais des médias, une conversation Whatsapp entre Camilo Villarino et le deuxième chef d'état-major de l'armée de l'air, Francisco Javier Fernández Sánchez, dans laquelle des instructions sont données à ce dernier pour qu'il ne soumette Brahim Ghali à aucune procédure de contrôle des passeports à son arrivée. Le deuxième chef d'état-major de l'armée de l'air avait également été convoqué le même jour en tant que témoin. Cette convocation fait suite à la déclaration du général José Luis Ortiz-Cañavate, chef de la base aérienne de Saragosse, qui avait indiqué avoir reçu un ordre téléphonique du quartier général de l'armée de l'air pour que les passagers de l'avion algérien qui a atterri sur la base le 18 avril ne passent pas par le contrôle des passeports, une pratique qui viole de manière flagrante la procédure légale. La justice ne doit pas seulement être un idéal dont on se vante, mais un principe à appliquer. Pourquoi tant de contradictions, pourquoi tant de versions et tant d'incohérences, pourquoi tant de personnages pour incarner un seul cas, si ce n'est pour dissimuler des vérités embarrassantes à l'opinion publique et à la justice? Jusqu'à ce qu'elle révèle tous ses secrets, cette affaire nous rappellera la phrase de Victor Hugo : « Police partout, justice nulle part ». Entre-temps, il est difficile de tourner la page, et les véritables instigateurs de cette manipulation, qui a fait tant de dégâts, ont « pris leurs jambes à leur cou ». *Président du Club des Avocats du Maroc et Porte-parole de l'initiative Moustaqil