Absentéisme dans l'hémicycle Scandaleux. Des lois de grande importance sont votées par moins du tiers des députés. Aussi importants que soient les projets, des milliers de Marocains et Marocaines ne sont pas, de ce fait, représentés lors de leur adoption. L'absentéisme sévit de longue date dans l'hémicycle, cependant rien pour l'enrayer n'a été fait. Ni par les partis, ni par l'Etat. Oui, l'Etat. Car il y va de la légitimité de la démocratie et de celle du parlementarisme. Qui lui en est l'institution emblématique. Déjà l'absentéisme des électeurs pose un problème très grave, lourd de conséquences. Y ajouter l'absentéisme des élus c'est porter le coup de grâce à une tradition qui, tout le monde en convient, est encore en cours d'enracinement. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont les élus qui alimentent le populisme antiparlementaire. Pas les seuls, certes, mais eux sont la preuve par l'absurde. Il est temps donc d'instituer la loi qui sera à même d'enrayer ce fléau. L'invalidation du mandat des parlementaires qui ont brillé par leur absence ne sera que justice. La démocratie, c'est l'honneur conjugué au devoir. Si elle a un prix, elle a aussi des droits. Traveling. Un jour pas comme les autres : la commission ad hoc statue sur un projet lui aussi pas comme les autres. Tant attendue, la loi relative au statut de l'artiste marocain est au menu. Normal, les artistes, cinéastes et autres dramaturges se sont déplacés pour assister au débat. Arrêt sur image; on se croit au théâtre Mohammed V à Rabat. C'est qu'il y a quelque chose… d'anormal. Excepté quelques membres de la commission apparemment obligés d'assister, aucun des députés n'est présent. Changement de théâtre : loi de finances. Presque le même spectacle, avec les artistes en moins. Scandaleux. Une loi de portée nationale est votée par presque le sixième de la chambre. C'est inadmissible, mais c'est purement marocain. L'enjeu est cependant très périlleux. Il y va d'abord de la légitimité de la représentation populaire. Cet état de fait présente ensuite l'inconvénient d'affecter la continuité démocratique. Pour rendre irréversible le processus démocratique, le rendement du parlement faut-il le mentionner, est primordial. La représentation nationale, disons-le crûment, n'aura aucune raison d'être si des millions de Marocains et Marocaines n'ont pas à travers leurs représentants manquant à l'appel, droit de cité au parlement. Constat très inquiétant, d'autant plus qu'aucune loi n'aura de valeur si la grande majorité des électeurs n'est pas représentée par ceux qui sont censés le faire. L'absentéisme c'est d'abord et encore un coup fort asséné à la démocratie représentative. Il n'y a de pire danger que cette propension suicidaire d'élus coupés de la base électorale. Donc, des citoyens. Leur démobilisation fait, depuis longtemps, l'unanimité. Les taux de participation est plus qu'alarmant. Là-dessus, les analyses, essais et approches vont bon train. Souvent, c'est le sens civique, ou son manque plutôt, qui est pointé de l'index. Ce n'est qu'en partie vrai. Il faut, démocratie oblige, chercher des raisons moins avouables : les élus, pas tous heureusement, n'inspirent plus confiance. L'embourgeoisement, la rupture et les chèques en blanc ne sont pas les seuls griefs retenus par le peuple électeur. On ne peut parler de la responsabilité civique de l'électeur si l'élu est le premier à la bafouer. Or, là où le bât blesse, il y a une corrélation établie entre la consolidation du pouvoir législatif, le garant d'une démocratie et l'assiduité des élus. Le parlement lui est moins fonctionnel, il n'y a qu'à énumérer les textes de loi qui ont été adoptés. Inversement de rôle donc et c'est l'exécutif qui mène le bal. Un bon point, peut-être, pour l'équipe aux commandes mais, c'est indéniablement l'équilibre des pouvoirs qui est mis en jeu. Grave. Fait aggravant encore : la transhumance. Certains députés trompent leurs électeurs deux fois. Au moins ! La première, en faisant “l'école buissonnière”. La seconde en changeant d'étiquette. Pour un élu transhumant, rien si ce n'est quelque prétendue notoriété et certains avantages ne vaut le détour. Sans foi, ni loi, il se prend pour un “élu à temps partiel”. Ce qui est aux antipodes de la morale politique et de la culture démocratique. Ajouter à cela : l'élu vagabond n'est soumis à aucune clause déontologique ou idéologique qui le contraint à honorer son élection. Là, seuls les partis sont incriminés. Si l'abstentionnisme de citoyens les met à mal, l'absentéisme des élus et la transhumance conjuguent leur force au conditionnel. En clair, la valse des représentants, ou présumés l'être, de la nation risque de faire des formations de politiques de simples hôtels, des relais dans un périple qui, en fin de voyage, porte le coup de grâce à la politique. La métaphore n'est, ici, pas de trop. Car la discipline est politique. Quand on accepte les indisciplinés, certains ont depuis longtemps décroché la médaille de l'absentéisme, d'autres s'absentant une session durant il n'y a pas lieu de se plaindre quand les citoyens en font autant. Il y a aussi le cumul. Certains députés sont démobilisés dès le départ. Car on les trouve partout. Des sphères de décision jusqu'aux communes. Outre bien sûr, les affaires. Par les temps qui courent, aucune loi, aucune règle morale ou politique n'est instituée pour mettre un terme à ce phénomène. Déduction logique : il faut avoir le don d'ubiquité pour être partout à tous les moments. Nos élus et hommes politiques sont sur ce registre, très modestes. Ils ne le prétendent pas. Alors ? Alors le mieux serait de n'être nulle part. Beaucoup parmi eux décomptent les mois restant au scrutin prochain. La date des élections communales est fixée pour le mois de juin prochain. Une grande majorité des élus garde l'œil sur les communes. Déjà, on compte des présidents de commune parmi les élus. D'autres ne répriment pas ce rêve. Avec le conseil de la ville, la convoitise n'en sera que plus grande. On voit mal comment les supers députés-présidents peuvent prendre part aux scrutins dans l'hémicycle sur les projets de lois. Encore moins aux débats ou à l'élaboration de ces projets. Pour palier la carence, l'iniquité. Pour garder un minimum de fonctionnement de l'institution parlementaire, force est effectivement de charger, les plus persévérants des élus du travail des autres. Les absents, bien sûr. Ce n'est pas une solution, non plus. Avec la moyenne d'âge qu'on a au parlement, on songe plutôt au repos. Ou à la retraite. Et là, les assidus comme les absents sont très inspirés. En fait, il y a fort à parier que les seules fois où l'affluence s'accroît, c'est quand il s'agit du dispositif indemnitaire au profit de nos représentants. La question devient alors particulièrement cruciale, que toute la nation est invitée à y participer. Les contribuables, ceux-là mêmes qui doivent être représentés, avant les autres. Enfin, l'antiparlementarisme est bien irrigué. Résultat, et non des moindres, le citoyen est jeté en pâture au populisme de tout poil. Enrayer le fléau Manque de loi, rien ne contraint les élus à siéger lors des débats qui intéressent les électeurs. Le vide ne se limite pas, donc au siège, il affecte la législation. On voit mal comment messieurs les parlementaires vont s'anathémiser, se pointer de l'index. Les lois ce sont eux qui les font. Le grand dilemme de la démocratie ou le prix à payer. Mais le peuple doit s'y faire représenter, faute de quoi il a droit qu'on lui rende compte. Tout le monde en convient, ou presque. Car, après le discours, rien ne se passe. Or, plus que jamais une loi obligeant les députés à siéger est nécessaire. A maintes reprises, la presse et la société civile se sont inquiétées de l'absence permanente des élus de la nation. Mais rien ne semble les perturber. Il est grand temps pour ceux parmi eux qui font fi de leur mandat d'être sanctionnés. Un code disciplinaire qui institue des amendes ou des privations des avantages - et ils sont légion - dont bénéficient les élus. Pour ce qui concerne les récidivistes, il ne serait que démocratique de les démettre de leur mandat. D'ailleurs, il n'y a pas de démission aussi flagrante, aussi médiatisée qu'une désertion continue de l'hémicyle. On peut même songer à une radiation à vie de l'élu qui, sans excuse aucune, récidive incessamment. Ceci n'est pas pour plaire à la “crème” du pays, mais l'invalidation d'un mandat ne sera que bénéfique pour tous les mandats. Sinon… sinon l'insoutenable légèreté dont fait preuve l'élu minera les fondements mêmes de la démocratie. Elle, elle a élu domicile et ce, depuis des siècles, au parlement.