L'apparition de la disparité des chances est la rançon de la politique d'arabisation et de «démocratisation». Pendant longtemps, les débats sur l'avenir de l'enseignement se sont enlisés car ils restaient dominés par un affrontement sans perspective entre les tenants de projets utilitaristes et des revendications idéologico-politiques portées alternativement par les partis politiques, le gouvernement ou certaines catégories d'enseignants. Un échec indéniable Aujourd'hui, et au terme d'un long débat, le constat mille fois réalisé est que l'enseignement, dans notre pays, oscille entre la crise latente et la crise ouverte. La perception et l'évidence d'une telle situation naissent aussi d'une dramatisation des enjeux et de la montée des urgences qui deviennent manifestes si on se rappelle les déclarations de certains responsables politiques. C'est ainsi que feu Meziane Belfkih conseiller du Roi, a admis (en 2008) : «Sur le plan du développement humain, nous sommes classés par le PNUD 126e sur 177 pays, et c'est la scolarité qui nous pénalise». En somme, l'échec du système éducatif est le seul point qui fait l'objet de consensus. L'opinion observe que l'effort financier global qu'elle consent n'est pas différent de celui des pays en développement qui ont réussi dans ce domaine et pourtant, les résultats sont loin d'être au rendez-vous. Le système éducatif tend à se replier sur lui-même et ne s'adapte pas à l'évolution économique et sociale, les réformes successives l'ont alourdi sans vraiment le réformer, enfin les objectifs affichés en termes de qualification et de valorisation du capital humain sont loin d'être atteints. Un enseignement à deux vitesses Outre, ces résultats peu glorieux, le système éducatif marocain véhicule aussi de grandes disparités sociales. Cette caractéristique s'est affirmée et s'est approfondie au fur et à mesure que le Maroc avance dans les réformes de son modèle d'éducation. Paradoxalement, l'apparition de la disparité des chances est la rançon de la politique d'arabisation et de «démocratisation» menée depuis trente ans. Depuis la mise en œuvre d'un enseignement à deux vitesses : un enseignement de qualité dans les missions étrangères et les écoles privées pour l'élite, et un enseignement au rabais dans les écoles publiques pour la masse, la fracture sociale ne fait qu'augmenter. Ce constat est plus préoccupant pour l'avenir du pays. Trop d'enfants de milieu modeste reçoivent aujourd'hui une formation qui ne les prédispose pas à une réelle intégration sociale. Ils sont livrés à eux-mêmes dans des milieux où abondent les handicaps liés aux origines et au contexte familial. Les premières décennies de L'indépendance, il n'y avait que 30 à 40 % d'une génération qui accédait à l'école, généralement les enfants issus de milieu urbain. Mais cette situation était finalement moins inégalitaire qu'aujourd'hui. Car, à l'époque, les 60% restants pouvaient progresser dans la vie en fonction de leurs performances sur le terrain et parfois d'une formation sur le tas. Les quelques milliers d'enfants d'origine modeste qui se retrouvaient au lycée bénéficiaient à plein de l'ascenseur social : ils étaient mêlés à des privilégiés et placés devant les meilleurs professeurs. Par ailleurs, ce système à plusieurs vitesses, surtout au niveau primaire et secondaire, pratique une pédagogie de sélection et d'exclusion alors qu'il faudrait développer une pédagogie d'intégration et d'adaptation. Conséquence : chez les couches les moins favorisées de la société, un apartheid de fait s'est créé. En fait, dans le Maroc d'aujourd'hui, un incapable scolairement garanti et un compétent scolairement démuni, sont séparés à vie tels le noble et le roturier. Il faut vraiment une chance exceptionnelle ou un coup du hasard pour rompre avec sa condition. Pour surmonter les problèmes auxquels est confronté le secteur de l'éducation, le gouvernement a entrepris une réforme générale du système de L'éducation et de la Formation. Cet effort est louable, mais il ne change pas l'équation de départ : le système éducatif au Maroc repose sur l'apartheid scolaire puisqu'il accentue les inégalités sociales et les pérennise. Une réforme profonde s'impose donc aujourd'hui. Celle-ci ne résultera pas spontanément d'aménagements marginaux successifs, mais d'une reconstruction d'ensemble dans une vision cohérente et adaptée à la société marocaine. L'enjeu est de valoriser le capital humain, de réactiver l'ascenseur social et de faire renaître le «rêve marocain», comme aux premières décennies de l'indépendance. Driss Benali Economist Consultant