En dépit du bon sens, le président américain et son secrétaire d'État vont de nouveau essayer de relancer le processus de paix au Moyen-Orient. En ce début d'année 2016, qui est aussi la dernière année dun mandat Obama, les observateurs du Moyen-Orient sont sans doute persuadés que l'administration américaine a abandonné tout espoir de relancer le processus de paix israélo-palestinien. Comment ne pas partager ce point de vue? Le fossé qui sépare les valeurs des deux camps –et la méfiance qui règne entre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et le président palestinien, Mahmoud Abbas– sont plus vastes que le Grand Canyon. À l'évidence, le président américain et son ancien secrétaire d'État n'avaient aucune intention de se lancer dans cette cause perdue. Les chances de faire véritablement progresser le processus de paix israélo-palestinien sont minces; au mieux, c'est une entreprise presque impossible; au pire, c'est une cause sans espoir. Pour autant je gage que cette administration ne pourra s'empêcher de «faire quelque chose» pour relancer le processus de paix –ou ce qu'il en reste Il s'agit clairement d'une décision paradoxale. Les raisons de s'abstenir de «faire quelque chose» ne manquent pas: forte probabilité d'échec, tensions avec Netanyahou, risque de compliquer les nombreuses opérations en cours au Moyen-Orient (arrêter l'État islamique, réunifier la Syrie, organiser une opération pour reprendre Mossoul)... Mais Obama désire laisser son empreinte sur le problème palestinien; c'est là sa dernière tentation en matière de politique étrangère. Ces efforts n'auront peut-être pas pour objectif l'organisation de véritables négociations, ou l'obtention d'une avancée d'importance; mais ils auront pour but de mettre en place un cadre (ou un ensemble de paramètres) américain ou international d'ici la fin de l'année, afin d'exposer la solution potentielle envisagée par l'actuelle administration. Voici pourquoi. «Besoin de faire quelque chose» On pense tout d'abord aux projets inachevés. En 2009, deux jours après son inauguration, le président (accompagnée de sa secrétaire d'État d'alors, Hillary Clinton) a nommé George Mitchell envoyé spécial chargé du processus de paix. Plus tard, au détour de divers commentaires et remarques, Obama s'est laissé aller à quelques promesses insensées (l'obtention d'un accord israélo-palestinien dans les deux ans) ainsi qu'à un engagement tout aussi imprudent (gel complet des colonies). Il va sans dire qu'aucun de ces projets n'a vu le jour et Netanyahou l'a dominé dans la plupart des situations diplomatiques; sa crédibilité quant a ses promesses a donc finalement été réduite à néant. Certes, l'accord sur le nucléaire iranien a montré que le président était prêt à se battre et à l'emporter contre Bibi lorsque l'enjeu lui tenait à cœur –mais j'estime qu'il aimerait également obtenir un résultat de nature à prouver qu'il n'a pas perdu la main en tant que négociateur du processus de paix. Et, si Obama a prouvé une chose –presque à l'excès–, c'est qu'il est capable d'agir unilatéralement si nécessaire Second point: John Kerry l'encouragera en ce sens. Le premier diplomate de la nation s'intéresse fortement à cette question et estime être capable d'obtenir un résultat positif –et il a en ce sens peu d'égaux parmi ses prédécesseurs (voire aucun, si j'en crois mon expérience professionnelle auprès d'une demi-douzaine d'entre eux). Précisons que ce n'est pas forcément une bonne chose: cette attitude renforce le vieil adage –convaincant, mais destructeur– selon lequel il est préférable d'essayer et d'échouer que de ne rien tenter du tout. Et quelle qu'ait été la nature de ses intentions, force est d'admettre qu'il a échoué sur presque toute la ligne. Toutefois, comme l'a démontré sa malheureuse initiative menée tout au long de l'année 2013, Kerry estime qu'il s'agit d'un problème-clé pour l'Amérique et Israël –pour leur crédibilité et leurs futurs intérêts respectifs au Moyen-Orient. Dans un discours prononcé en décembre 2015 au Saban Forum, il a minimisé le rôle de coordinateur principal des États-Unis mais –comme il l'a fait maintes et maintes fois– a mis en garde Palestiniens et Israéliens contre la catastrophe qui pourrait s'abattre sur Israël si les deux partis (autrement dit, principalement Israël) prenaient les mauvaises décisions dans le cadre des négociations pour la paix. Cette fois-ci, l'apocalypse en question prendrait la forme d'un effondrement du gouvernement de l'Autorité palestinienne, qui plongerait la région dans le chaos –ou qui permettrait au Hamas de gagner en influence. Dernier facteur: au fur et à mesure que la fin du mandat se rapproche, le syndrome du«besoin de faire quelque chose» se fait de plus en plus sentir. Si j'en crois ma propre expérience professionnelle du processus de paix, ce besoin peut se faire particulièrement pressant, et ce, quelles que soient les probabilités de réussite. Si la situation israélo-palestinienne devient véritablement incontrôlable sur le terrain, l'action urgente apparaîtra d'autant plus nécessaire et sera appuyée par d'autant plus de justifications. D'ici un an, le Moyen-Orient de la fin du mandat du président Obama sera dans un état bien pire que celui dont il avait hérité au début de sa présidence. Et cet échec lui sera attribué –à tort ou à raison. L'état actuel du processus de paix est un signe qui ne trompe pas: qualité exécrable des relations avec Israël; aucune crédibilité chez les Palestiniens; augmentation des initiatives de colonisation; vague d'actes terroristes rudimentaires perpétrés par de jeunes Palestiniens; échec d'une initiative de paix. De fait, Obama ne sera visiblement pas en mesure de confier le moindre projet couronné de succès aux bons soins de la prochaine administration. D'après Slate.fr