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En toutes lettres : Pour une seule littérature et une critique nouvelle
Publié dans L'opinion le 24 - 10 - 2016

Je voudrais revenir et insister sur une question qui me tiens à cœur et que je crois importante. Je pense, en effet, qu'il est temps d'en finir avec une situation qui fait que la littérature marocaine de langue française est reléguée dans une espèce de ghetto et qu'il s'en suit un ensemble de malentendus, de polémiques interminables. Qu'il soit bien clair cependant que, dans mon esprit, il ne s'agit pas de réveiller ces vieux démons à l'œuvre dont les accusations et les justifications qu'entraîne le fait d'écrire en français.
On l'a encore vu récemment dans différents articles et prises de position on fait un procès aux écrivains marocains de langue française : ils ne feraient rien d'autre que de la littérature française, une littérature française écrite par des Marocains et donc ils seraient étrangers à leur propre littérature. Mauvais procès en vérité, parce que d'abord il n'y a rien d'infâmant à écrire en français et que, par ailleurs, le plurilinguisme est chose à sauvegarder. Mauvais procès parce que partant des considérations idéologiques elles-mêmes contestables, on prétend parler de littérature, lui assigner des qualifications, dire ce qu'elle est, doit être ou ne pas être, le tout pour aboutir en fin de compte à cette démonstration involontaire: les tenants de ce procès stérile apportent la preuve qu'ils n'entendent rien à la littérature, qu'ils ne se sont pas interrogés sur l'essence de la chose littéraire. Ceci ne signifie pas, bien entendu, que cette littérature soit hors de toute critique, que tel ou tel écrivain réfugié dans le sanctuaire de la langue et de la culture française soit intouchable. Ce serait là le comble de l'absurdité, et encore une fois, dans un cas comme dans l'autre, on tomberait platement à côté de la chose littéraire.
Il est temps d'en finir avec cette sorte d'apartheid informe, où le pire se dit implicitement dans le marécage des arrière-pensées. Il est temps d'en finir avec une pratique qui fait que tout se passe comme s'il y avait deux littératures, l'une écrite en arabe, l'autre en français, chacune ayant un territoire propre où se déploie une activité critique spécifique, une rhétorique particulière; un territoire, des conflits frontaliers, des revendications de légitimité de valeurs esthétiques, de hiérarchie dans l'ordre de la création littéraire. Une pratique qui se traduit dans les faits par la tenue de colloques, séminaires, congrès qui à ma connaissance, ne prennent jamais en considération la globalité de la production littéraire marocaine se cantonnant dans un séparatisme jaloux de ses prérogatives. Si bien qu'on peut dire que les écrivains des deux côtés de ce nouveau mur de la honte s'ignorent, se surveillent et n'en pensent pas moins, se réfugiant dans le non dit, laissant la rumeur courir ou sortant du silence pour la guerre à ciel ouvert. Qui ne voit que cette situation est éminemment préjudiciable pour l'avenir de la littérature marocaine et qui n'est pas exagéré de dire que si elle se perpétuait, c'est tout le travail de création littéraire qui risquerait d'être frappé de stérilité. Il est commode et admis jusqu'à présent de considérer que cet état de choses se justifierait par le problème de la langue. Fausse justification à mon sens: on ne veut pas aller plus loin dans la réflexion: c'est le statu-quo ou les querelles byzantines, la défensive contre le sempiternel reproche: pourquoi écrivez-vous en français. Ultime argument, on dit il y a une situation de fait: les œuvres écrites en arabe d'un côté, celles écrites en français de l'autre, la ligne de démarcation serait donc là. Sans doute faut-il en tenir compte, mais précisément cela repose le problème dans sa totalité. Les œuvres littéraires devraient circuler dans les deux langues, la tâche de la traduction doit être prioritaire, et il n'est pas admissible que des ouvrages écrits en français, poésie, romans, nouvelles, essais, ne soient pas connus en dehors de chez nous faute d'avoir été traduits en français, si bien qu'à l'étranger on n'a qu'une vue partielle et restreinte de notre littérature. Fausse justification, car s'il est vrai que la langue fait obstacle en une mesure relative, la question de la langue n'a pas été posée dans toute l'ampleur de sa complexité, même si de nombreuses interrogations à ce sujet se font jour en diverses circonstances. Poser le problème de la langue avec toute la pertinence requise, c'est du même coup soulever celui de la littérature, de l'écriture
et désigner l'espace prioritaire d'une critique authentiquement conforme à sa vocation. Il est clair qu'ici rien n'est donné à l'avance, qu'il n'est pas de réponse toute faite et que c'est vers une perspective d'exploration critique qu'il nous faudrait nous acheminer. Encore faut-il veiller encore une fois à dissiper les équivoques habituelles. Il ne s'agit pas de choisir entre plusieurs langues, il n'est pas question de mettre en cause l'arabe comme fondement de notre culture ni non plus le plurilinguisme particulier à notre culture et qui lui confère son originalité, ni par conséquent de prohiber le français sous couleur que l'usage serait entaché de calculs idéologiques. A propos de cet usage, il faut prendre soin de préciser que la libre disposition du français comme langue de culture complémentaire est absolument indépendante de la stratégie politique impliquée par le concept éminemment équivoque de francophonie.
Je voudrais aussi prévenir un autre danger à ce propos et cela me donne l'occasion d'ouvrir une parenthèse. Nous souffrons d'une espèce d'hypertrophie théorique. Nous voyons aujourd'hui se développer un impressionnant appareil critique centré autour de la linguistique, de la sémiologie et les disciplines annexes qui s'en réclament, avec les variations introduites par tel ou tel professeur d'université française, parisienne en premier lieu et qui fait école, en attendant de tomber dans un oubli, une fois passée la fureur de la mode, de là est née toute une rhétorique bien définie avec son vocabulaire, ses rites et ses codes secrets, initiatiques, et, quand on est profane en la matière, on ne manque pas d'éprouver une certaine frayeur au moment de franchir le seuil d'un tel sanctuaire. Frayeur, crainte d'autant plus grande quand s'y ajoute le regard et le dévoilement de la psychanalyse. Ne voyez pas dans ces propos quelque peu frivoles et irrespectueux, l'indice d'un jugement péjoratif à l'endroit de ces disciplines en faveur ici et souvent bien maîtrisées par ceux qui ont la charge de les enseigner et de les mettre en pratique. On comprend que l'on soit impatient de les appliquer à l'objet littéraire pour en éprouver la pertinence avec en plus le sentiment que la critique littéraire va y trouver les fondements d'une objectivité scientifique. Tel est le mirage des sciences humaines dont le philosophe Merlau-Ponty a pu dire qu'elles ont contribué à la décadence de l'Europe. Il y a certes là matière à débats et il faut assurément s'interroger, se demander si la critique doit s'orienter dans cette voie qui serait celle de sa vocation authentique. Cette question est cruciale et c'est pourquoi j'ai ouvert cette parenthèse concernant uniment et l'avenir de la critique et celui prioritaire de la langue. On pourrait penser, selon une logique quasi évidente que la solution théorique jusqu'ici qu'il s'agisse de la langue, de l'écriture et la critique, un ensemble inséparable, serait du ressort exclusif de la linguistique et de ses disciplines annexes que je prends soin de distinguer de la philosophie du langage. Ce serait là la juridiction suprême et naturelle en quelque manière. Il y a toujours péril à penser qu'on a trouvé une solution là où il ne saurait y avoir, parce que précisément il n'y a pas d'objet littéraire et que par suite des disciplines factuelles, positives, à prétention scientifique ne pourraient s'en saisir avec quelque pertinence. On ne peut se servir d'un instrument sans en faire l'examen et il est indispensable d'entreprendre la critique des armes de la critique, ce qui conduit à une réflexion lucide et sur la nature de la chose littéraire et sur l'être du langage qui lui est consubstantiellement lié. La notion d'objet en littérature est un fantasme habillé de séduisante et trompeuse scientificité: sous couleur d'objectivité c'est en fait, pour le critique en exercice, une écriture implicite imprégnée de part en part par un désir, bien naturellement de nature subjective, de maîtriser le texte offert au scalpel de l'analyse, de lui faire avouer ce qu'il dissimule, de tenter de le réduire à néant, le mettre à plat pour se débarrasser, échapper à la hantise, cette écriture, prenant à bras le corps le texte, vient elle-même masquée en protocole scientifique, un alibi, une manière d'effacer les traces du crime: le triomphe de la critique ou l'assassinat du texte considéré comme un des beaux arts, paré ici de l'auréole souveraine de la science. C'est un drame qu'il faudrait songer à mettre en scène. Disons les choses tout à fait prosaïquement: je crois que tout se joue à l'intérieur du texte pris comme un tout indépendant, unique dans sa totalité et son autonomie. Cela peut paraître bien évident mais c'est une évidence bien vite révoquée et vouée à l'abandon aussitôt qu'on met en œuvre ces grilles d'interprétation élaborées par les disciplines prétendant instaurer une critique moderne. Le texte donc constituant son propre univers, édictant ses propres lois, c'est là la réalité première irréductible qu'il faut entreprendre d'explorer. J'ai souvent pensé qu'en voyage à l'intérieur d'un texte comme on le ferait dans un pays et ce n'est pas la simple façon de parler, tant il est vrai que tout est à découvrir au cours de ces pérégrinations. Il convient de se défier de l'apparente facilité. Vous savez sans doute comme moi que la lecture, une fois qu'on a appris à lire devient à bien y réfléchir un acte plein de mystères: on s'est mis à fréquenter les mots, séduits par leur familiarité, leur bonne mine confiante, leur dévouement à l'égard de nos pensées, on en arrive à oublier la traîtrise de leur nature, leur propension à se révéler soudain en étranges étrangers cruels, perfides prêt à dévorer l'imprudent confiant en leur apparence soumise. L'avertissement est salutaire, le périple de la lecture est imprévisible, le voyage ne suit pas le tracé d'une ligne droite assurée de vous conduire à bon port. Ceci n'induit pas la fameuse pluralité des lectures qui repose le problème parce qu'abordant le texte de l'extérieur elle accréditerait l'idée qu'on possède des clés à l'avance et que le tout est affaire de choix. Je demeure convaincu qu'il n'y a pas de théorie selon le modèle mathématique ou expérimental propre à assurer la pertinence d'une critique littéraire. La lecture et ce rapport vivant au sens plein du mot et non pas matière inerte fragmentaire sur laquelle on pourrait opérer. Vivant, parce que le texte à sa vie qui ne cesse de se modifier, de croître ou de soudain mourir, de parler ou brusquement ne plus rien dire, vivant parce que celui qui lit l'est aussi, il vit de sa propre vie, toute bruissante corps et âme dans la lecture: il y a une lecture du corps, la vie avec le texte, ce moment particulier, cette intimité, sauf si on passe à côté, si on est rejeté à l'extérieur, intimité qui est le signe que quelque chose s'est nouée entre la lecture et le texte, mais c'est une grâce qui n'est pas toujours accordée. Je crois bien que c'est Blanchot qui a dit qu'il faut tenter de s'installer au cœur du texte, c'est-à-dire là d'où il parle, là où on peut entendre sa parole vraie. Rien de plus complexe assurément, rien de plus exposé à cette subjectivité si redoutée parce qu'on continue à croire qu'elle ne saurait être porteuse de vérité.
Pourquoi tant insister sur la lecture sinon parce qu'elle conduit à l'écriture dont elle est consubstantielle: lecture - écriture; un mouvement continué. C'est l'expérience de l'écriture qui est, à mon sens, décisive et pour l'exercice de la critique et pour aborder, dans une perspective nouvelle, les questions soulevées au cours de cette intervention. C'est elle et elle seule qui puisse offrir des chances de surmonter cette sorte d'antinomie, de contradiction fondamentale qui surgissent quand on pose comme préalable au travail de création littéraire, le choix entre les deux langues, l'arabe et le français, comme l'être de ces deux langues et leur rapport avec notre culture étaient transparents. Choix imposé, arbitraire qui entraîne un critère implicite d'authenticité reconnue ou non selon la langue retenue au détriment de toute autre reconnaissance de valeurs littéraires. Un choix qui se meut entre des entités prises comme blocs massifs inamovibles, comme si écrire revenait à accomplir une fonction de conformité à certains impératifs, ou plus noblement si l'on veut comme si l'écrivain avait, par la grâce le privilège du destin, une mission à remplir dans le message pour l'essentiel. Antinomies, contradictions en apparence insurmontables quand cette fois en termes techniques on se demande comment les structures d'une langue définie, ici le français, peuvent-elles accueillir et transmettre une réalité qui leur est étrangère, ce tout qu'on désigne sous l'étiquette générale de culture marocaine. Situation inextricable, problème insoluble si on en reste à une formulation abstraite et si on s'enferme dans des considérations plus ou moins théoriques, il en va peut-être autrement si on passe de l'autre côté, précisément du côté de l'écriture, de son expérience irréductible pour voir ce qui se passe dans un texte. Chaque texte, comme l'ont montré les formalistes russes, porte en lui-même sa théorie. Voilà qui confirme la vanité de toute théorisation abstraite. Chaque texte est à considérer comme une monade et c'est dans cette perspective qu'il faut s'interroger sur ce qui se passe, ce qui advient de la langue, de la situation de l'écrivain par rapport à elle. C'est Walter Benjamin qui, tout au long d'une œuvre d'une densité et d'une profondeur exceptionnelles, nous conduit à l'éveil face à l'être du langage et de son irréductible mystère :
"Le langage représente ... le milieu où les choses se rencontrent, non plus comme autrefois dans l'esprit du voyant ou du prêtre mais dans leurs essences, leurs substances les plus fugitives et les plus subtiles, dans leurs parfums, et entrent en relation les uns avec les autres. Bref, c'est à l'écriture et à la langue que la voyance a abandonné au cours de l'histoire ses anciens pouvoirs.
Le tempo, la rapidité de l'écriture ou de la lecture -élément qu'on ne peut dissocier d'elles présenterait alors en quelque sorte la capacité déployée pour faire participer l'esprit du rythme selon lequel les ressemblances jaillissent fugitivement du cours des choses, étincellent un instant et disparaissent. ("Théorie de la ressemblance")
Il convient de s'attarder à ce texte, d'en méditer le sens non pour en faire un argument, une citation à l'appui, mais pour en continuer le mouvement sans se soucier d'en assurer une interprétation quelconque. Un homme écrit, le terme d'écrivain ne signifiant rien. Il a recours au langage, à la langue non comme moyen d'expression ou de communication - on voit ici l'équivoque créée par ce terme d'expression française accolée à la littérature - il n'a pas recours à un instrument pour formuler une pensée, des impressions, des sensations, des sentiments préexistants attendant leur devenir à l'avant- scène, par suite cette dichotomie, on écrit en français on pense français, on écrit en arabe on pense arabe, perd singulièrement de sa pertinence. L'homme qui écrit est au-delà ou peut-être mieux: nulle part. Plus sûrement il est dans le langage, l'écriture et la langue. Ce milieu où les choses se rencontrent, où se dit la capacité pour faire participer l'esprit au rythme selon lequel les ressemblances jaillissent du fleuve des choses, étincellent un instant et disparaissent. On saisit là l'éphémère, la fragilité de l'écriture, sa croissance organique le rythme selon lequel elle se tisse, portant en elle sa vie et sa mort, irriguée, nourrie de la sève des choses, cette terre où elle prend racine. Expérience unique, le monde vient à l'existence, à l'être par le jeu infini, on dira la combinatoire des lettres, par le pouvoir de la lettre. Expérience unique: le poète Jose Angel Valente, reprenant la pensée de Novalis, écrit que l'écrivain n'est pas celui qui utilise le langage mais celui qui laisse parler le langage en lui. Il faut être à l'écoute de la rumeur du langage, dit-il encore. Expérience unique qu'on la désigne de poétique ou non, peu importe, elle vient à proximité immédiate de l'expérience mystique des Soufis, des Kabbalistes leurs frères en mystique et cela sans prétendre en usurper la place. Et ceci encore qui nous importe tant pour le débat qui nous occupe: la parole poétique est une descente dans la mémoire du vécu, on se remémore tout ce que le langage rappelle, on se remémore sans le vouloir, on lance un filet comme un pêcheur, on attrape des mots et de ces mots il tombe quelque chose comme de la pluie, souligne Jose Angel Valente, qui pour notre bonheur, nous donne l'appui, l'exemple d'une très belle et rare poésie. Est-il besoin d'insister davantage de souligner tout ce qui se dévoile ici des liens charnels rattachant le poète, l'écrivain à son indicible itinéraire, solitaire, libre de son défi, cette déchirure tragique entre le silence et la parole cherchant à naître. Liens charnels avec ce qu'il est, ce qu'il porte en sa chair de ses origines de la transmission qui le fait être ce qu'il est. L'identité, ce mot abominable de consonance policière que viendrait-il faire sinon pour rejeter dans l'anonymat la parole du vivant, sinon pour dresser le mur de l'opacité là où une vision aspire à la lumière, sinon encore pour faire obstacle à la réception de l'Autre, tant il est vrai que pour recevoir l'Autre, il faut transcender sa propre identité. On peut mesurer l'ampleur et la complexité de tout ce débat. On ne peut brutalement d'une manière arbitraire mettre fin à une interrogation qui se creuse de plus en plus profondément au fur et à mesure qu'on avance, tâtonnant dans un labyrinthe que ce mouvement d'interrogation fait naître à chaque pas avancé. Interrogation au-delà de la pellicule des mots qui d'étrangers deviennent étranges messagers de l'énigme. Que faire, où trouver une oasis d'accueil et de salut en ce désert ? Continuer de marcher jusqu'à l'épuisement jusqu'au dernier souffle d'énergie, le regard rivé à cette clarté qui vient du soleil.


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