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Répétition et singularité
Publié dans Albayane le 25 - 08 - 2017


Cinéma d'auteur et critique cinématographique (2)
Globalement on peut dire que l'auteur dans la littérature théorique du cinéma est une catégorie historiquement datée : elle relève d'un contexte précis aussi bien politique, économique, sociologique, qu'institutionnel.
Elle est portée par une tradition, favorisée par un environnement : c'est une catégorie qui a émergé par rapport à une autre réalité : le cinéma hollywoodien classique pour les auteurs américains de Lang à Hitchcock en passant par Orson Welles et Ford, le cinéma de la qualité française pour les cinéastes de la Nouvelle vague ; le cinéma des téléphones roses pour le néoréalisme italien. Elle s'est déterminée alors comme une réalité économique et comme un choix esthétique.
La question se présente autrement quand il s'agit d'aborder les cinémas dits du sud. Transposer la notion du cinéma d'auteur ne va pas sans grands risques théoriques. Nous sommes en effet dans une logique de transfert qui en rappelle d'autres : le transfert technologique, notamment qui ne cesse de susciter des interrogations culturelles. Parler d'auteur dans notre contexte spécifique soulève non seulement des questions où se croisent l'économique, le technique mais aussi l'anthropologique et le culturel : comment parler d'auteur, donc de sujet dans des contextes prohibitifs pour l'éclosion de l'individu. Le «je» est écrasé par le « nous ». L'individuel est souvent noyé dans le collectif, le communautaire.
Dans le cadre de société traditionnelle, fermée où le sujet, l'individu, la femme, l'enfant sont réduits à des catégories anonymes, je peux dire que le cinéma a joué un rôle de catalyseur. Non seulement il a accompagné le bouleversement des structures ancestrales, figées et dogmatiques mais il les a favorisées et parfois galvanisées. C'est une figure dynamique de la modernité : le cinéma alors est né comme un cinéma d'auteur. Je parle du Maghreb : les premiers cinéastes, comme les premiers peintres ont réhabilité la création individuelle (la collaboration entre Mostafa Derkaoui et Belkahya). L'Egypte offre un autre cas de figure : la littérature, le roman notamment, et le théâtre ont relativement balisé le terrain. Au Maghreb, le désir du cinéma a été en partie l'expression du désir de modernité et d'urbanité.
L'auteur maghrébin a été d'emblée porteur d'un projet : inscrire le cinéma dans une légitimité sociale et culturelle en racontant des histoires locales et nationales et en même temps, en inventant un langage authentique qui ne reproduit pas les canons de l'esthétique dominante, consommés à travers le cinéma de l'autre : américain et égyptien.
C'est ce que je qualifiais, dans le contexte de l'expérience marocaine, par le syntagme, l'esthétique des années 70 : le désir d'émancipation (projet politique) passe par un cinéma émancipé (projet esthétique). Le désir artistique et créatif (la singularité), face au système commercial (la répétition).
Mais ce projet ambitieux butait sur une réalité, l'absence de production. L'ambition des auteurs fut souvent un vœu pieux. Une construction idéologique. L'absence d'une profession structurée transforme en simple velléité les intentions rhétoriques du départ.
L'Egypte offre, encore, une autre fois, un contre-exemple : là, une production florissante a permis l'émergence d'un cinéma d'auteur original ayant forgé sa figure emblématique, et de l'ensemble du cinéma du monde arabe : avec notamment Youssef Chahine et Tawfik Salah.
Aujourd'hui, le Maroc offre un cas typique et original. Son expérience se caractérise par une dynamique au niveau de la production nationale et une nouvelle rotation des films pratiquement inédite : ce sont des films marocains qui occupent les premières places du box office! Et aussi une distribution variée et ouverte sur le cinéma international : une nouvelle réalité dopée par l'arrivée du premier multiplexe (16 salles dans la banlieue casablancaise) avec comme principale conséquence la réception de certains films simultanément avec les grandes capitales européennes (même si le schéma reste dominé par les grosses sociétés de production occidentales avec absence de diversité géographique).
C'est pour dire que le critique marocain est sorti de sa période de conscience malheureuse quand elle se contentait soit de théoriser sur un hypothétique cinéma national en l'absence d'objets concrets, soit de parler des films des autres qui arrivaient au compte goutte et accentuait son sentiment de frustration.
La critique a désormais une raison d'être. Elle est au cœur du débat : comment accompagner la nouvelle réalité économique et sociale du cinéma marocain. D'autant plus que certains films ont institué un véritable mode d'emploi, au niveau thématique et narratif leur assurant un succès commercial indéniable les mettant en tête du box office. Le risque est grand de céder aux sirènes et de voir se reproduire le schéma décrit jadis par feu Christian Metz : Il y a une critique semblable à ces sociologues aliénés qui répètent sans le savoir le propos de leur société; elle prolonge l'objet, elle l'idéalise au lieu de se retourner sur lui. Elle porte à l'état explicite la rumeur muette du film qui nous dit « Aimez-moi». Je postule pour ma part que la démarche aimante n'est pas prohibée : aimer oui, mais aimer le cinéma dans le film.
C'est ce qui donne à notre débat une dimension passionnante : dans chaque film nous partons à la quête de ce qui fait son appartenance au cinéma; ce qui fait sa singularité : «Un film qui ne présente aucune singularité, c'est-à-dire un film qui se contente de répéter est un film académique, un film qui ne se soutient que d'un système. Car c'est le propre du système de (se) répéter, et le propre de l'art de (se) singulariser».

***
Il y a cinquante ans, Bonnie and Clyde d'Arthur Penn
L'Amérique en crise et son cinéma
Pendant la «Grande crise» provoquée par la dépression boursière de 1929 et qui amène Roosevelt à la présidence, dans une rue d'un petit village du Texas, Bonnie Parker (une serveuse de bar/Faye Dunaway) fait la connaissance de Clyde Barrow (un repris de justice / Warren Beatty) : c'est le « coup de foudre » d'abord platonique. C'est aussi le début d'une odyssée meurtrière qui les entraîne à travers le Sud-ouest des Etats-Unis, aux côtés de C.W. Moss (un jeune garagiste recruté comme chauffeur/Michael J. Pollard), de Buck Barrow (le frère de Clyde/Gene Hackman) et de son épouse Blanche (Estelle Parson). Le gang, après avoir ridiculisé le shérif Hamer (Denver Pyle) est harcelé puis décimé par la police. Le couple lui-même tombe dans un piège organisé par le shérif Hamer et finit haché par les balles des mitraillettes Thompson M1928.
ANALYSE ET CRITIQUE
Le film d'Arthur Penn remporta plusieurs oscars et est l'un des plus célèbres de la seconde moitié du siècle dernier. Du point de vue plastique, c'est, avec The Miracle Worker [Miracle en Alabama] USA 1962 (son chef-d'œuvre le plus authentique) et The Chase (La poursuite impitoyable] USA 1965 (inégal mais passionnant) son troisième grand film, le plus équilibré et le plus harmonieux des trois peut-être. Sa quête de la pureté morale, son éloge de la marginalité rédemptrice et romantique, son souci de l'humain se dissoudront quelque peu par la suite en effets formels toujours aussi brillants, certes, mais devenus glacés et pesants (Night Move [La fugue] USA 1975 et The Missouri Breaks [ibid.], USA 1976).
Le film de Penn ouvre la voie, stylistique celle-là, à Bloody Mama [Bloody Mama] de Roger Corman, USA 1970 auquel les critiques américains de l'époque, contrairement à ce que pense Stéphane Bourgoin (Roger Corman, éd. Edilig, coll. filmo Paris 1983, p.97), ont eu pleinement raison de le comparer – à The Grissom Gang [Pas d'orchidée pour Miss Blandish] de Robert Aldrich, USA 1971 – à The Godfather [Le parrain] de Francis Ford Coppola, USA 1972 dont, soit dit en passant, Dean Tavoularis fut aussi le directeur artistique. Dans les trois cas (et on pourrait en citer d'autres dans les années 70-75), même volonté de dépeindre en profondeur les abysses au moyen des recherches formelles les plus raffinées. Même insistance des scénaristes à peindre la sexualité des personnages directement (aspect déjà présent dans la version de Witney qui insistait sur la liberté de Bonnie dépeinte comme une mante religieuse supérieure à ses partenaires mais en faisait ainsi la « star » incontestable du récit, rompant l'équilibre novateur recherché par Penn), enfin même violence graphique exacerbée.
Bonnie & Clyde est à la croisée des chemins : son scénario a été revu par un « script-doctor » (Robert Towne effectivement crédité au générique, contrairement à ce qu'on peut lire parfois) qui fut l'idole d'Hollywood jusque tard dans les années 80 et qui a la caractéristique de gérer au mieux l'accord précis de la réalité et du fantasme (cf. : la scène où Gene Wilder et Evans Evans sont enlevés par le gang et contraints de partager brièvement sa vie constitue une rupture de tonalité surprenante – le traitement onirique de la rencontre avec la mère de Bonnie, etc.). La photo « siegelienne » de Guffey est dynamitée par l'incroyable travail de montage qui procure les morceaux de bravoure les plus inattendus (morceaux de bravoure aujourd'hui intégrés par le moindre téléfilm qui se respecte, tel ce travelling qui passe sur des natures mortes de panneaux publicitaires et de coins de décors avant de révéler le père de Moss dans sa fonction de Juda, en train de discuter avec le Texas Ranger). Le responsable des effets spéciaux, Danny Lee, fut, nous rappelle Bookbinder (op. cit. supra), le créateur de la technique des impacts (télécommandés à distance au moyen de fils cachés reliés à de petits pétards dissimulés eux-mêmes sous les vêtements) pour la scène ahurissante du massacre final : technique sans cesse reprise par la suite (cf. : la mort de Sony dans The Godfather [Le parrain] par exemple, déchiré par le même calibre 45 ACP (11,43mm) et le même pistolet-mitrailleur Thompson M1928, dont la destination militaire initiale était appréciée des gangsters et de la police), mais qui provoqua la stupeur des spectateurs de l'époque par son effroyable réalisme. Les dialogues enfin sont éblouissants de vérité et révèlent fonctionnellement autant qu'ils en disent strictement.
Bonnie & Clyde n'est pas seulement annonciateur de styles et de temps futurs. Il est aussi bien enraciné dans son présent. Conçu en pleine effervescence « hippie », il rend hommage à cette culture aujourd'hui bien morte : critique de la société de consommation (l'épicier prêt à tuer pour éviter qu'on lui vole un « panier de la ménagère »), du système financier capitaliste (la première banque qu'attaque Clyde est en faillite et n'a plus d'argent), et de la désorganisation sociale qu'il engendre (les pauvres croisés sans cesse par le gang semblent être retournés à une sorte d'âge primitif qui évoque les pires nouvelles de Jack London), apologie du plaisir sexuel et de la jouissance hic et nunc, rejet d'une civilisation puritaine (c'est la fille d'un pasteur qui, une fois blessée aux yeux et donc aveugle, donne le renseignement permettant de monter le piège mortel au Ranger qui est une sorte de surmoi vengeur archaïque puis franchement diabolique) mentalement incohérente (le père de Moss). Hommage que l'on pourra juger tout de même atténué par le fait que les héros qui incarnent l'esprit du temps soient des criminels. Mais en 1967, la jeunesse américaine savait qu'elle pouvait éventuellement mourir au Viêt-Nam peu de temps après avoir fait l'amour pour la première fois : cette angoisse-là est présente dans la thématique originale de l'impuissance et de la révélation de l'amour physique in extremis. Impuissance d'ailleurs pas seulement sexuelle mais encore à se projeter même socialement dans un avenir aussi chargé de possibilité de mort. L'érotisation de l'arme à feu (cf. : séquence d'ouverture) est une sorte de défense gratifiante, dans un tel contexte...
Le film de Penn constitue enfin une critique du passé de Hollywood lui-même : le cinéma où se réfugient les trois premiers membres du gang, épuisés, apeurés et affamés, projette une comédie musicale de Busby Berkeley des années 30 où l'on montre des enfilades de figurantes danser artistiquement au pied d'une effigie monumentale du dollar – Moss s'intéresse à un magazine car il suppose qu'on doit y parler de la dernière coiffure de Mirna Loy : la marginalité totale et tragique du gang n'est pas atténuée par cette sous-culture qu'elle croise : elle s'en nourrit, semble nous dire Penn. Bien d'autres enfonceront le clou, avec d'ailleurs la même ambiguïté fascinée. Car en niant le romantisme de l'époque et du milieu pour le transférer au couple (quasi adamique même s'il est en rupture de religion) de Bonnie et Clyde, Penn quitte un romantisme qu'il juge artificiel (le Hollywood des années 30 dans son autoreprésentation) pour y substituer le sien, celui de son temps. Mais cette démarche qui peut paraître non fondée intellectuellement est portée par l'interprétation jusqu'à son point d'aboutissement le plus charnel.
C'est la force essentielle du film. Jamais Faye Dunaway ne retrouvera par la suite un rôle semblable (elle est sincère et sophistiquée, au sommet de sa beauté et de sa technique), ni Beatty, supérieur ici à ce qu'il était déjà dans Splendor in the Grass [La fièvre dans le sang] d'Elia Kazan, USA 1961. La direction d'acteurs est extraordinaire d'un bout à l'autre pour le moindre rôle. La moindre scène est ainsi inoubliable et gravée définitivement dans la mémoire de celui qui n'a vu le film ne serait-ce qu'une fois. En réalité, on peut douter que les personnages aient été tels qu'ils sont montrés (ils furent probablement plus proches de ceux rudement dépeints par Witney en 1958) mais la performance des acteurs est telle qu'on comprend qu'en Amérique comme en France (la chanson de Gainsbarre en témoigne), elle ait engendré un tel amour du public et une telle identification ponctuelle.


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