Mohamed Nait Youssef * * * «Un peintre, c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous, avec un chiffon de lumière imbibé de silence.», Christian Bobin. Abdellah El Haitout est un peintre qui n'oublie rien. Chez l'artiste, tout a un sens: les signes, les textures, les surcouches, les traits, les lignes brassant les couleurs et les formes. Dans son œuvre, il y a tout un travail de mémoire, des mémoires. L'artiste questionne, interroge par le biais d'une peinture abstraite, latente, méditative et surtout poétique. C'est ce qui fait la singularité de son travail. Certes, la mémoire est ouverte, mais il faut y fouiller pour donner un sens aux signes, aux compositions, aux couleurs, à l'œuvre. Dans cet esprit, l'artiste peint, repeint des réminiscences, des écritures poétiques, des souvenirs lointains, enfantins, entre autres...Toute l'essence humaine y est dans la mémoire. Tout se dit et se révèle sur une toile qui n'est d'autre que ce tissu de rêves, d'icônes, de signes et de sens invisibles. «J'ai commencé à dessiner à l'école primaire. Au collègue, à Souk El Arbaa. On avait cette opportunité d'avoir une matière consacrée à l'éducation artistique. La chance! Après, je me suis inscrit dans la filière des arts plastiques à Rabat. Après avoir décroché mon baccalauréat, je me suis me suis inscrit par la suite au Centre Pédagogique Régional (CPR).», nous confie l'artiste. Actuellement professeur des arts plastiques, Abdellah El Haitout a fait également des études Philosophie et psychologie à l'université de Rabat. «Au début, j'avais surtout un penchant pour le cinéma, mais je me suis orienté vers la peinture.», a-t-il révélé. En effet, après une longue pause qui a duré 13 ans, l'artiste a repris la peinture. Cette période était un tournant dans son parcours où il a passé de la figuration à l'abstraction. Il fallait alors attendre les années de 2012 et 2013 pour que le peintre dévoile au public ses œuvres abstraites. «Dans ma peinture, il y a une étincelle qui mène vers la non figuration.», a-t-il affirmé. Dans son travail pictural et plastique, l'artiste intègre des chiffres et des signes ayant des connotations, mais qui ont un sens à la fois latent et patent, visible et invisible. Sur ses toiles, on y voit la surface, la couleur, l'effacement... On dirait un palimpseste ! On trouve également des surcouches de peinture. Peu importe alors le support de création, une purification commence ainsi... «J'aime bien le papier parce que mon premier rapport avec la création était sur ce support. Il faut dire que cette passion avec ce support est restée depuis. Pour moi, le papier est le paradis de l'artiste parce qu'il n'est pas comme la toile. En d'autres mots, la peinture sur le papier est une aventure qui me passionne et me séduit. En revanche, il faut que l'acte de la peinture soit à sa juste place.», a-t-il révélé. Et d'ajouter : «Le papier est un support fragile qui ressemble d'une manière ou d'une autre à notre vie parce que les êtres humains sont issus d'une réalité fragile.» Par ailleurs, il y a une inquiétude et intranquillité qui hantent les œuvres de l'artiste. Toutefois, l'art a cette faculté d'extérioriser les rêveries, les réminiscences, les émotions, les questionnements de l'âme créatrice. «L'art vient de ce désir du cri, d'agir... c'est un désir latent.», a-t-il révélé. Par le truchement de la peinture, Abdellah El Haitout essaie d'expliquer cela avec des souvenirs. «Les icônes qui sont ensommeillées depuis l'enfance nous accompagnent durant toute notre vie.», poursuit-il. Enfant, ses visites multiples et passionnantes à Moulay Bousselham, en compagnie de son père, ont marqué sa mémoire et son imaginaire. «J'étais fasciné par cet univers marin. Ainsi, les formes et les surcouches de couleurs des cabanes construites en planches m'ont toujours séduit. Dernièrement, je collais des brandes de papier ou de la toile. En ce moment là, je me suis rendu compte que c'est un souvenir qui remontait à mon enfance.», a-t-il fait savoir. Par ailleurs, cette trouvaille a donné une nouvelle piste de recherche dans la démarche de l'artiste. Ipso facto, la quête de nouveaux horizons demeure toujours perpétuelle. «Il y a des moments où la peinture pourrait vivre des crises suite à l'épuisement des idées. D'où l'importance d'explorer de nouveaux champs et domaines de la recherche artistique et picturale.», a-t-il précisé. En effet, des grands peintres allemands tels que Anselm Kiefer, Gerhard Richter ou encore Georg Baselitz essayent de trouver une solution en ce sens. Cy Twombly qui a apporté une nouvelle écriture est une référence importante dans la scène artistique mondiale. Ce peintre ayant fait un passage au Maroc, en compagnie de Rauschenberg, est l'une des signatures qui ont marqué Abdellah El Haitout. «Il y a toujours une couleur préférée chez un artiste. Quant à moi, j'ai une tendance pour les couleurs soft. Il faut dire qu'il y a une tendance mondiale pour la couleur soft et la couleur grise, surtout dans un contexte déchiré par les guerres.», a-t-il expliqué. Dans ses œuvres abstraites, l'artiste y souffle un air spirituel et poétique. Pourtant, il faut sentir une toile avant d'essayer de la comprendre, de l'expliquer. «Quand on est un artiste abstrait, on est automatiquement spirituel pace qu'on part aux profondeurs de la chose, des choses latentes. L'abstrait est une façon d'exprimer d'une manière indirecte et implicite.», a-t-il rappelé. La question du format est majeure. Elle est révélatrice. «Pour dire beaucoup de choses, on a besoin du grand format. Plus que le champ est vaste, l'artiste dit beaucoup de choses. Par ailleurs, les petits formats, c'est pour dire peu de choses. Or, les deux sont indispensables.», a-t-il souligné. Une poétique de l'effacement. La peinture de l'artiste s'adresse non seulement à l'esprit et aux âmes sensibles et intelligentes de celui qui médite la toile. L'artiste efface pour montrer l'invisible, pour se souvenir. «À un certain moment, je peignais avec mon esprit. On arrive avec le temps à une économie de la peinture. Une toile mûrit ainsi ; en peignant peu, mais en disant beaucoup de choses profondes.», a-t-il dit. Pour l'artiste, la peinture ouvre les fenêtres du rêve, du voyage.