Même si les informations étaient déjà connues par le grand public et fréquemment commentées par les grands médias, leur diffusion à travers un rapport parlementaire fit l'effet d'une bombe. Marine Le Pen et son parti, le rassemblement National (RN), sont accusés d'être une courroie de transmission de Vladimir Poutine en France, voire un instrument d'influence de la propagande russe à Paris. Ce constat fait par une commission d'enquête parlementaire fut à la fois ressenti par l'extrême droite comme une glaciale douche froide et pour l'opposition, de gauche comme de droite, comme comme un sentiment de soulagement. En cause de ce qui peut ressembler à un scandale politique de basse intensité, un gigantesque prêt accordé par une banque Russe en 2014 à Marine Le Pen pour pouvoir financer sa campagne électorale. Marine Le Pen avait beau crier au cours de ses nombreux interviews ainsi que lors de son audition parlementaire qu'il n'y avait aucun ascenseur politique à renvoyer à Vladimir Poutine en échange de ce prêt bancaire, mais elle prêchait dans le désert. Son discours n'était pas crédible. Tout le monde savait que Vladimir Poutine n'était pas homme à pratiquer le bénévolat humanitaire ni le mécénat politique. S'il avait donné son feu vert et sa bénédiction à la stratégie d'aider financièrement ce qui s'appelait encore le Front National, c'est qu'il attendait forcément un retour sur investissement. Et jusqu'à présent, il n'a pas été déçu. Alors que la guerre entre l'Ukraine et la Russie faisait rage, et que la communauté internationale, États Unies et Union Européenne s'échinait à aider militairement l'armée ukrainienne et à imaginer l'arsenal de sanctions le plus dure contre la machine de guerre russe, seule l'extrême droite en France montrait un faible enthousiasme à dénoncer cette offensive russe en territoire ukrainien, condamné par le droit international. L'extrême droite, et dans une moindre mesure l'extrême gauche, trainaient des pieds à s'associer à cette condamnation presque unanime de l'opération russe, provoquant des fissures internes et rendant les décisions des institutions de l'Etat en la matière, contestables. Aussi bien pour les observateurs politiques avisés que pour l'opinion française, il était quasi impossible de ne pas faire le lien entre la dépendance financière de l'extrême droite à l'égard de Vladimir Poutine et cette compréhension politique à l'encontre de sa stratégie militaire. Certaines icônes de l'extrême droite sont allées jusqu'à afficher leur admiration ostentatoire du style et de la personnalité du président russe. Ce scandale ne manquera pas d'avoir des conséquences politiques. En l'absence d'Emmanuel Macron qui ne peut, pour cause de règle constitutionnelle, prétendre à un troisième mandat, en l'absence pour le moment d'un candidat de droite ou de gauche capable de relever le défi de la succession de Macron, Marine Le Pen paraissait assurée de décrocher l'Elysée en 2027. Comme un fruit mûr et par manque de compétiteur sérieux, le pouvoir allait tomber dans son escarcelle. Pour elle, il s'agissait de tenir la cadence de la dédiabolisation jusqu'à son terme. Or la bombe du financement russe vient de l'éclabousser et de la marquer à jamais et de manière institutionnelle. Non seulement, ça sera un argument électoral que ses adversaires ne manqueront pas d'utiliser contre elle, mais aux yeux à la fois de l'opinion française et de son Etat profond, se posera cette lancinante interrogation : Comment confier le pourvoir à un parti qui risque demain d'être un obligé, voire un jouet, aux mains d'une puissance étrangère connue pour son agressivité militaire et sa pyromanie politique ? Sauf miracle, Marine Le Pen aura du mal à se débarrasser de ces accusations et de ces suspicions. La malédiction russe sera tenace et constituera du pain béni pour l'opposition, trop contente de clouer au sol ses ambitions présidentielles. Tout ce que dira dorénavant Marine Le Pen sera entaché par sa dangereuse intimité financière et politique avec le pouvoir russe. La jouissance avec laquelle aussi bien la majorité présidentielle que l'opposition se sont délectées de ce rapport parlementaire, réquisitoire contre Marine Le Pen, montre à quel point l'extrême droite a reçu une quantité non négligeable, voire paralysante, de plomb dans les ailes. Ces nouvelles donnes politiques et médiatiques sont de nature à éloigner le scénario-cauchemar de Marine Le Pen à l'Élysée.