Pour Abbas El Fassi, ce n'est rien d'autre qu'une prise de contact. Pour les syndicats, les «négociations» sont inévitables. Les principales centrales ont appelé à la grève générale ce 13 février, alors même que leur crédibilité s'est effritée crescendo au fil des épisodes du fameux «dialogue social» inauguré par l'accord du 1er Août 1996 puis par d'autres accords comme celui du 30 avril 2003. De compromis en conciliabules, le syndicalisme marocain a fini son long parcours dans l'atonie revendicative et la sénilité de l'action. Chronique de ce qui ressemble fort à une lamentable faillite. Le 20 mars prochain, l'UMT fêtera son cinquante-troisième anniversaire. Elle est née d'une césarienne qui a exclu Taïeb Ben Bouazza, expédié dans une lointaine ambassade, au profit d'un profil d'appareil, Mahjoub Ben Seddik. Celui-ci pratiquera le centralisme durant plus d'un demi-siècle. Toutes les centrales qui arriveront plus tard copieront les méthodes UMTistes. L'UGTM en 1959, la CDT en 1978, la FDT en 2003, sans compter les syndicats marginaux comme celui que le vieux Amghar dût pondre à la marge du Mouvement Populaire, useront à profusion du pouvoir personnel du leader, du centralisme et des compromissions de toutes sortes avec les secteurs public et privé. Les congrès sont continuellement reportés en cinquante ans, l'UMT ne réunit que neuf congrès ! Les apparatchiks se sont goinfrés de privilèges les salariés sont manipulés au gré des compromissions des dirigeants avec les cercles gouvernementaux ou le patronat. Il est loin le temps où l'UMT pouvait mobiliser des centaines de milliers de Marocains en claquant les doigts. Moins d'un an après sa naissance dans une quasi-clandestinité, la centrale de Ben Seddik connut une expansion fulgurante dans tout le Maroc. On y a dénombré plus de 600.000 adhérents en 1956 ! En 2006, on ne peut y compter guère plus de quelques centaines, permanents compris. En 1981 et au début de la décennie 90 du siècle écoulé, les émeutes du pain avaient zappé l'encadrement syndical. De leurs bureaux feutrés, ils ont assisté aux débordements sanglants sans pouvoir agir sur les évènements. Le déficit céréalier du dernier trimestre de l'année dernière semble avoir rappelé les syndicats à leur devoir premier : la défense des couches populaires laborieuses abandonnées par le pouvoir d'achat. Les seules réactions réellement crédibles face aux hausses faramineuses des produits de base furent celles des coordinations sectorielles. Nées au cœur de la société civile, ces dernières ont fait montre d'un grand professionnalisme revendicatif allant jusqu'à acculer le gouvernement Jettou à reculer sur des fronts aussi stratégiques que les carburants ou le transport. Aujourd'hui, près de 70% des délégués du personnel au sein des entreprises sont sans appartenance syndicale aucune. En vérité, les syndicats se sont rendus responsables de nombre d'échecs spectaculaires dans des domaines aussi stratégiques que l'enseignement, par exemple. Micro-monarchies Les syndicats des enseignants ont longtemps bloqué toute remise en cause du système éducatif marocain. Le quantitatif s'est substitué au qualitatif au point que le monstre pléthorique qu'est aujourd'hui l'Education Nationale a fini par devenir le plus budgétivore de l'ensemble des départements ministériels. Le pléthorique semble décidément coller au système syndical marocain : sur les vingt-six centrales existant dans notre pays, seules quatre peuvent se prévaloir d'une visibilité, non pas populaire, mais formelle et institutionnelle. Tout comme les trente-trois partis politiques déclarés. En vérité, les gouvernements qui se sont succédés depuis trente ans ont constamment fermé les yeux sur certains syndicats qui ont des fiefs historiques dont ils tirent profit malgré les dysfonctionnements dans la gestion et les déséquilibres financiers qui ont été relatés par la presse. Par manque de courage ou parfois même par simple paresse politique, aucun de ces gouvernements n'a pris les décisions appropriées pour dénoncer cette situation. De plus, dans notre pays, le syndicalisme souffre des mêmes maux que le paysage partisan. A la tête de ces maux figure le leadership à vie?: A près d'un siècle d'âge, Mahjoubi Aherdane tient mordicus à son fauteuil de patron de la «mouvance populaire». Mahjoub Ben Seddik ne fait pas mieux. L'alternance est prohibée par ces «zaïms» dont certains ont tenté même d'instaurer des micro-monarchies, exigeant la «députation» forcée ou même la «ministration» de leurs rejetons. En cinquante-trois ans d'histoire syndicale, le seul exemple de retrait honorable demeure celui de Taïeb Mounchid. Ce fut la première fois qu'un dirigeant syndical a démissionné de son propre gré. Figure de proue du syndicalisme au Maroc, l'intéressé a quitté noblement son poste de secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT). Une exception dans un pays où les dirigeants syndicaux et politiques se cramponnent à des mandats, souvent obtenus dans des conditions douteuses, attendant que la mort les oblige à céder. D'ailleurs, la création même de la Fédération Démocratique du Travail est dûe essentiellement aux dérives jugées autocratiques du chef de la CDT, Noubir al Amaoui. Pour reprendre son souffle d'antan, le syndicalisme marocain doit se remettre profondément en question. Tout comme l'arc partisan qui a signé sa forfaiture électorale lors des dernières législatives. La refondation ou la mort !