Abderrafii Jouahri, tête de liste USFP à Marrakech/Menara Dans la “République” de Platon, les poètes sont conduits aux frontières, avec tous le respect qu'on leur doit, chants et lauriers à l'appui. On les chasse, car pour le philosophe grec, il n'y a pas de place au sein de la géopolitique pour la poésie. Chefs d'inculpation : le rêve, les mots, la métaphore… Abderrafii Jouahri est un poète, pourtant il rêve de bâtir la cité vertueuse, à travers un parti politique, l'USFP, où les idéaux et les mots ont toujours été la substance de la politique. S'il n'est pas le seul poète, son compagnon de métier et du Bureau politique, Mohamed Achaâri l'est également, il n'en demeure pas moins le seul parolier au sein de la classe politique. Son nom est intimement lié aux chansons dont la musique a été composée par Feu Abdessalem Ameur. Tout marocain mélomane, aimera nécessairement “Rahila” et “Al Qamar Al Ahmar”, la première interprétée par le grand disparu Mohamed Al Hayani, la seconde par le géant Abdelhadi Belkhayat. Elles en sont devenues de ce fait des jalons sur les sentiers, encore vierges de la chanson marocaine. Du haut de ses 58 ans, A. Jouahri se remémore la lame de fond qu'ont provoquée ses paroles. Sereine, romantique, elle n'a rien à voir avec la vague qu'a faite sa chronique hebdomadaire publiée sur les colonnes de l'organe de son parti, l'USFP. Au début des années 90, on s'en souvient, son collègue et ami, Mohamed Labrini, qui sera par la suite son co-actionnaire dans “Al Ahdath Al Maghribia”, était encore directeur responsable d' “Al Ittihad”. Assidu, Jouahri, jetait par sa “fenêtre” (Nafida, en arabe) son regard très regardant, très critique à l'égard de la vie politique, aussi bien au Maroc que dans le monde arabe. Nombreux étaient ceux qui disaient qu'il a fait de la dernière page, la “une” du journal. Ses écrits, cependant, n'ont pas toujours connu la même fortune dans les hautes sphères du pouvoir. Ces mêmes brûlots seront, par la suite, réédités sous un titre éloquent “leur excellence” par les éditions “Chirâa” dont le directeur n'est autre que Khalid Mischbal. Né à Fès en 1944, le langage a incessamment été pour A. Jouahri une matrice, une métaphore. Mais aussi une identité dans l'enceinte des “écoles libres” initiées par le Mouvement national. De l'autre rive de la langue, justement, l'autre était droit dans ses bottes. Sa langue à lui, est et sera tout au long de sa vie, le naturel de son identité. A l'âge de 16 ans, il rejoint la RTM. Sept ans après la défaite de 1967. Son onde de choc a ébranlé toute une génération, des socialistes se convertissent au panarabisme, d'autres embrassent le maxisme-léninisme. C'est à cette époque qu'il fréquente l'université de Marrakech, creuset bouillonnant de la rébellion et d'une génération utopique et hirsute. Licencié en droit, il devient avocat et il l'est jusqu'à nos jours… Encore une fois, la langue. Plaidoiries, plaidoyers… La langue, paraît-il, est l'ombre du politique. Le poète, lui, s'enfonce dans son identité. Parfois, il partage les chaises, mais nullement le précipice. Sa première responsabilité culturelle remonte à 1996, au cours d'une phase transitoire. L'autre poète du Bureau politique, Mohamed Achaâri, avait quitté la présidence de l'Union des écrivains du Maroc, l'Association des écrivains et des intellectuels, avait réalisé pour sa part l'un de ses grands rêves : l'utilité publique. Il a fallu donc trouver l'homme de la situation, celui qui réconcilie la métaphore et la réalité, l'image et la loi. Pour enfin donner corps au rêve… La même année, se préparait l'alternance consensuelle, le poète, lui, logeait dans ses poèmes. “La promesse des violettes”, en est un. Commentaire : il est des fois où la poésie devient une religion sans espoir. Voir Jean Cocteau. Vus sous cet angle, ses écrits étaient à la limite des circonstances. Comme ce fût le cas en 1981, l'année de la parution de son recueil “Tatouage sur la paume de la main”, la prose du monde primera sur le lyrisme des circonstances. Son parcours n'a pas toujours été un long fleuve tranquille, même s'il n'a pas toujours été très médiatisé. Parfois, en effet, le “bon Homère s'endort”, et le poète cède à ses petites faiblesses. Il claque la porte… Et si le langage s'éloigne, emportant avec lui son auteur, il lui sert également de tremplin. Très souvent, la politique devient une application de certaines propriétés du langage: séduction, insinuation… Jouahri y retrouvera son rythme et sa musique. Sa prestation sur la chaîne satellitaire Al Jazira, en décembre 2000, sera l'occasion pour lui pour que la parole se venge de l'anonymat politique. De son face-à-face avec un opposant, le dernier peut-être, le putchiste fugitif Ahmed Rami en l'occurrence, il fera l'occasion rêvée pour se faire l'avocat de la nouvelle ère. Mariant le style de l'avocat et les allusions du poète, il défend sa cause. Résultat : l'image de Jouahri, l'homme politique, devient plus visible, plus nette. La suite est connue : tous ses articles, devenus des éditoriaux signés, sont un engagement farouche. Résultat, encore : le poète, revenant des frontières de la Cité de Platon, regagne l'arène politique… Au cœur de cette mutation, le 6ème Congrès de l'USFP tient ses assises en mars 2001. “Incontestablement, la grande surprise concernant A. Jouahri, était le score de voix qu'il a pu recueillir”, se souvient un congressiste. “Plus que d'autres militants, plus anciens et plus chevronnés” laisse-t-il tomber. En clair : il a été classé quatrième. Abderrafii Jouahri est également sa “dualité cohérente” : poète politique, politique poète. Il est de même le Fassi de Marrakech, le Marrakchi de Fès. Marrakech, d'avant le 27 septembre dernier, était une fortesse istiqlalienne. Jusqu'au jour où il part, en compagnie de Mohamed Lkhsassi et Driss Abou Al Fadl, à son assaut. De ses remparts, il s'est envolé vers le Parlement. Aujourd'hui, il doit faire front aux descendants d'Allal El Fassi qui tentent de récupérer leur fief. Dans ce duel, lui et son parti, ont un atout : pousser le vote-sanction à l'encontre de leurs alliés de l'Istiqlal jusqu'au bout. Donc, sceller la victoire. Point faible : la volonté des sortants de récupérer leurs positions. La lutte promet d'être rude. L'Istiqlal n'y sera peut-être pas seul, le PJD peut effectivement l'épauler. rien que pour donner du mauvais sang à “Al Ahdath”. Le poète, quand il se tait, rend perplexe : s'enfonce-t-il dans son poème, ou s'incline-t-il devant la discipline ? Dans un cas comme dans l'autre, Abderrafii est un homme politique de la génération d'après-les géants. Celle des nationalistes de la première heure, les premiers architectes du Maroc, nés des luttes et des grandes utopies.