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“Je veux parler d'un frère”
Publié dans La Gazette du Maroc le 03 - 11 - 2003


Mohamed Kacimi, un peintre de l'éternel
Mohamed Kacimi a peint une vie durant l'éclat, l'amour,la passion, l'oubli,la mémoire, le pardon et la colère. Il était l'une des voix picturales les plus fortes, l'une des voix poétiques les plus oraclesques aussi . C'était un homme simple, généreux, discret, qui a laissé le temps imprimer sur son œuvre une teinte d'éternité. Il vient de nous quitter lundi 27 octobre au petit matin, pour un voyage dans l'immensité de l'être.
Ce matin d'octobre avait tout d'une belle journée d'automne. Un ciel gris, mais pas bas, qui n'a pas cédé un pouce de sa légèreté à la lourdeur habituelle de la saison. Quand j'ai pris le train, je savais vers qui j'allais. Je savais quel ami j'avais de l'autre côté de la voie ferrée en train d'attendre que l'on prenne un petit déjeuner ensemble. C'était il y a un an exactement. Mohamed Kacimi est devenu mon ami le premier jour où il m'a ouvert sa porte à Témara, par une autre journée pluvieuse. Un visage rayonnant de générosité m'a accueilli en serrant doucement ma main et en m'invitant à partager un thé noir dans son salon. C'était il y a des années que le temps n'a pas pu altérer. Alentour, les livres, les coupures de presse, les esquisses donnaient à l'espace un air de déjà vu. Un aspect familier qui m'a fait sentir que j'étais aussi chez moi. Avec le temps, j'ai appris que ce n'étaient pas seulement les choses et leur appropriation de l'espace qui donnaient cette belle impression, mais l'homme qui habitait ces objets.
L'iconoclaste, comme je l'avais appelé ce jour-là, n'a cessé de grandir dans mon imaginaire. Kacimi est de ceux qui traversent nos vies et nous laissent une gerbe de miel qui distille ses volutes innocentes dans notre sang. On avait échangé des mots sur la simplicité de l'être, sur l'amour des autres, le sens de la liberté. Kacimi avait laissé échapper une phrase qui m'a rappelé un autre grand peintre à qui je l'avais toujours associé dans mon cœur, Georges Braque : “nous traversons le monde à la fois en silence et avec un grand éclat”. Je n'avais pas saisi le sens sinueux d'une telle phrase. Ce matin d'octobre, des années plus tard, Kacimi m'a laissé entendre les mêmes propos sans les dire. Un geste posé qui parcourt l'air comme au ralenti, un port de tête d'une extrême humilité, un regard d'une douceur d'un autre âge.
C'était sa présence qui disait ces mots. Un corps et une allure s'étaient substitués aux phrases. Silence et éclat de vie. L'automne, ce mois d'octobre posait les dernières retouches sur la toile de notre amitié. J'ai d'abord connu puis aimé le peintre. L'homme qui célèbre son semblable, l'homme toujours debout, en permanence, refusant de plier l'échine. J'ai été saisi très jeune par un trait solide mais fragile autour d'un corps d'homme friable mais comme une saxifrage capable de faire scinder en deux le calcaire. Un paysage où se tissent des vies humaines, des révoltes, des soumissions, des exagérations, des coups, des éraflures, des blessures, des scalps qui portent en tribut toute la vulnérabilité humaine. Jamais chez Kacimi l'homme n'a été saisi dans un moment de faiblesse négative. Jamais chez lui la tension qui préside aux rapports de l'Etre et de son espace de vie ne sont réduits aux contingences résiduelles. Il prend la signification du chemin de la vie dans son sens le plus présocratique. Souvent ses grands formats, avec ses silhouettes ancrées dans l'âge du temps, m'ont rappelé tel ou tel fragment d'Héraclite d'Ephèse, qui se fait l'écho de cette prophétie de Hölderlin : “l'homme doit habiter poétiquement la terre”. Kacimi ne le trace pas en lignes de braises sur le fond tumultueux de ses toiles ni sur les pages chargées de ses poèmes, mais il le vit. Ou du moins, s'achemine vers cet état de grande connivence avec l'être du monde… Ce moment de grand vide (ou plénitude) où l'on fait Un avec ce qui est.
Une image me revient à cet instant sur cette unité tant voulue dans l'ouvre de Kacimi, un jour que des tissus colorés par l'azur des jours, avaient épousé les parois des falaises de la Harhoura. Elles ont raconté à la mer ce qu'elles savaient sur les jours passés, elles ont badigeonné la surface du futur par une teinte d'espoir. Elles ont laissé le vent parler aux vagues d'un homme qui va.
C'est cette universalité, à la fois poétique, métaphysique et philosophique, qui rend le travail de Kacimi si enraciné dans nos vies. Si sa peinture est un haut témoignage de la force de l'Etre, elle est aussi une rage qui ne dit pas sa colère. Mais on sent que cette courbe humaine qui va au-delà des contours de la toile restera à jamais en colère, jusqu'au bout de la nuit. Elle déversera sa bile en la transmuant en art, en beauté. Comme ses teintes rougeâtres qui viennent délimiter sans le couper l'espace où l'homme de Kacimi décide de faire un pas.
Comment est-il possible de rester cloué à un endroit sans faire partir le monde en mille éclats ? Mais c'est fait, rétorque le poète. Et à chaque instant, l'un de nous fait un pas de géant dans ce monde où la lumière n'est qu'intérieure. Mais est-ce suffisant de mener une course dans les tripes, de garder son haleine de marathonien ajournée pour des temps immémoriaux ? Non, elle est déployée dans le grand large des instants comme une rose dans un désert de sable noir…
Kacimi me tend une datte et se sert un autre thé noir. Le jour qui pointait laissait planer un pan de ciel d'un bleu pur sur le jardin fourni du peintre. Devant moi, des sculptures prenaient part au festin de l'amitié et nous disaient, les lèvres closes, que l'on était tous bien. Impossible de ne pas me rappeler un mois auparavant sur la plage de Briech, près d'Assilah, cet homme qui venait marchant sur les galets, nous parler sur la communauté des hommes en faisant allusion à Omar Khalil , le Soudanais de New York, à Diego Moya, l'Espagnol d'Assilah, à Tapiès, lui, les amis, l'art et l'amour qui donnaient un sens aux vagues. Je ne pouvais oublier pourquoi j'avais titré un jour “Kacimi l'iconoclaste” en montrant ce corps momifié avec des livres dans un cercueil ouvert.
Il y avait Nietzsche dans le tas. C'était grâce à cet homme parti avec la naissance d'un autre millénaire que Kacimi et moi sommes devenus amis. Plus tard, l'âge cassant de ses poèmes m'a donné raison et surtout au père de Zarathoustra.
Kacimi, au fil des ans, n'a pas changé. Son corps s'est affiné refusant la pesanteur qui encercle l'esprit aiguisé. Il s'est fait, comme le dit un ami commun, René Char, “une santé du malheur” pour “une sérénité crispée”.
L'odeur du miel se mélangeait à celle d'une huile d'olive première pression. Le lait et le pain venaient rendre ce festin du matin plus épique. Et la voix de Kacimi, qui semble psalmodier des oracles de Delphes, me rassure sur l'avenir des hommes. Le temps s'était arrêté sur ce voile de ciel, dans ce jardin, près de cet homme. Je n'ai pas été dans l'atelier voir ce qu'il faisait, sur quoi il travaillait. Je ne lui ai posé aucune question sur ce qui viendra. Je savais qu'il allait encore voyager, toujours en partance pour ne jamais jeter aucune ancre.
J'ai laissé l'intimité du peintre grandir dans ce geste d'un homme qui donne une datte à un frère. Puis le temps a installé entre nous encore une gerbe d'amitié.
Mohamed Kacimi expose ses toiles à la Galerie Al Manar au moment de la guerre contre l'Irak. Le peintre couche des couleurs et des formes sur l'étendue de la nuit, celle qui frappe le monde. Ça et là des fragments, des particules humaines qui sont l'essence même de l'existence, déchiquetées. Il nous livre une humanité désemparée, des visages imaginaires passés à la chaux blanche de la haine, effacés par le meurtre et la cupidité. C'était là l'une des expositions du peintre les plus virulentes, les plus engagées, les plus humaines. L'homme y était disloqué, hagard, fou.
L'humanité y paraissait sous des haillons de vieilles reliques que l'on abandonne sur la route pour que le charnier prenne corps et que la folie festoie. Kacimi avait peint ce jour-là le sang de l'humain sur la surface plane d'un mur que rien ne pourra faire tomber. Le peintre avait jeté sur le monde un autre regard, encore un, toujours le même, plein d'amour, gorgé de passion… Un regard d'oracle.


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