Politique étrangère La dernière péripétie engendrée par la position à rebours de l'Afrique du Sud sur la question du Sahara doit inciter la diplomatie marocaine à ne pas retomber dans ses crispations passées. Il importe de mieux cerner les causes des déficits cumulés et de renouveler l'action diplomatique en la rendant plus pérenne, moins isolée et plus diversifiée. Longtemps, la diplomatie était perçue, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur, comme étant le maillon faible de l'armure marocaine. A bon droit on s'étonnait du fait qu'avec un dossier de fond aussi solide sur la question du Sahara, cette diplomatie était restée le plus souvent si peu active et persuasive. A tel point que malgré les changements des ministres en charge des affaires étrangères, depuis les années 70, le même leitmotiv de critiques et de récriminations revenait invariablement. Ceci d'autant plus que la diplomatie apparaissait comme étant la principale arme utilisée à l'encontre du Maroc par le pouvoir algérien alors que la cause et les objectifs de celui-ci étaient des plus douteux. Cette situation, si paradoxale, avait été favorisée par le contexte de la guerre froide et l'ambiguïté des relations euro-maghrébines (notamment entre l'Espagne et le Maroc d'une part, la France et l'Algérie d'autre part). Or, depuis quelques années, l'ensemble du contexte régional et international connaît un profond bouleversement. Beaucoup d'éléments nouveaux entrent en ligne de compte. La diplomatie marocaine dispose désormais d'atouts nouveaux -à charge, pour elle, de savoir déployer l'énergie, les formes d'action et la pugnacité nécessaires. La dernière péripétie d'un jeu anachronique que l'Afrique du sud vient de ressortir, montre bien qu'il ne faut jamais baisser la garde ni s'imaginer que la partie peut être gagnée d'avance ou à moindre effort. Quelles que soient les motivations des dirigeants de Pretoria, mélange de vieilles rancœurs et de calculs intéressés, la diplomatie marocaine ne doit pas revenir à ses vieux réflexes d'isolement et de fixation sur les liens avec de rares partenaires privilégiés considérés comme “décisifs”. Plus que jamais, l'attitude de Pretoria doit servir à démontrer l'impasse où les clivages et les clans entretenus par Alger ont conduit la question du Sahara sur le plan diplomatique, alors que les réalités historiques et géopolitiques sur le terrain sont totalement ignorées et occultées. Trois constantes négatives La fiction diplomatique entretenue activement par Alger a certes été battue en brèche ces dernières années, mais elle peut encore être alimentée, notamment sur le continent africain grâce aux ressources pouvant encore être mobilisées, surtout en période de hausse des revenus des hydrocarbures. Cependant, un regard rétrospectif sur les constantes de la diplomatie marocaine depuis les années 70 devrait servir d'avertisseur et sensibiliser aux changements, voire au sursaut tant attendus. Trois aspects, assez rédhibitoires, semblent avoir prédominé. Tout d'abord, il y a le caractère intermittent, quasi-saisonnier de l'activité diplomatique. Elle connaît ainsi des phases d'hyperactivité avec l'improvisation et l'agitation coutumières. Tout semble polarisé par les impulsions et les initiatives venant du sommet de l'Etat. Le machine diplomatique est le plus souvent en veilleuse et lorsque ces impulsions se manifestent elle semble prise au dépourvu et se met à improviser en branle-bas de combat. Il est vrai que longtemps avec Hassan II, la diplomatie était fortement personnalisée et relevait du domaine réservé, la machine étant, quant à elle, vouée à un rôle plus formel et au mieux à assurer le suivi. L'essentiel était concentré entre les mains du Roi dont les rapports directs avec les autres chefs d'Etat étaient privilégiés et servaient de moteur. Le contexte de l'époque expliquait cela, car déterminé par la guerre froide et par la nature des régimes dans les pays arabes et d'Afrique subsaharienne. Toujours est-il que, avec le temps, la diplomatie marocaine avait intégré cette donnée comme un trait de son propre caractère : elle ne savait plus bouger et agir que lorsque l'impulsion venait de haut, le reste du temps elle végétait et ses fonctionnaires s'adonnaient à leurs activités annexes. Second trait marquant de notre diplomatie: sa tendance à l'isolement. En effet et malgré les compétences, les talents et les moyens dont elle a pu disposer, elle s'est rarement montrée entreprenante, agissante dans la durée dans toutes les instances et tous les milieux des Etats et des sociétés où elle était censée intervenir. Au lieu d'être offensive, elle s'est cantonnée le plus souvent dans une attitude défensive. A tel point que lorsqu'il y avait des moments de crise et d'intensité diplomatiques, l'Etat faisait appel aux partis politiques et à des militants de la société civile pour aller porter la bonne parole et défendre une cause qui ne manquait cependant pas d'arguments en sa faveur. Tendance à l'isolement La tendance à l'isolement est due au déficit de présence, de dialogue et de combativité. Tout se passait comme si nos diplomates étaient tellement persuadés de la justesse de la cause marocaine qu'ils ne comprenaient pas pourquoi on pouvait la contester et s'y opposer. Aussi face aux incessantes intrigues et au travail constant mené par la machine diplomatique algérienne en Afrique, en Europe et auprès des moindres instances internationales, notre diplomatie se contentait de son superbe isolement sur le piédestal de la légitimité de sa cause, ce qui, le plus souvent, était interprété comme une attitude hautaine. Combien de fois nos diplomates ont quitté les lieux ou estimé inutile d'affronter les campagnes anti-marocaines jugées absurdes et téléguidées par Alger. Or, à l'évidence, il ne suffit pas d'avoir raison et d'être dans son bon droit pour se croire dispensé du travail au quotidien, souvent pénible et ingrat, et d'aller au charbon partout où il faut être présent pour informer, démystifier, expliquer, convaincre. Nos diplomates se sont longtemps comportés comme s'il ne servait à rien d'affronter la mauvaise foi et les intrigues des adversaires. Cela s'est traduit par une absence d'action de longue haleine, patiente et persévérante, de nos représentations diplomatiques et consulaires auprès des sphères formant l'opinion publique dans les pays développés et au sein des instances internationales. On s'est contenté en général des contacts et des activités essentielles auprès de quelques milieux décideurs et de quelques lobbies. D'où les déficits enregistrés auprès des opinions publiques et des élites, là précisément où l'activisme algérien, a fait son beurre. Ce sont là autant de raisons qui ont fait que notre diplomatie a pu manquer de visibilité et de réactivité et que des erreurs d'appréciation ont pu se traduire par des positions erronées (avec l'ONU, les pays africains et même les USA). Troisième trait négatif découlant des deux premiers : le caractère monolithique et non pluriel de l'activité diplomatique. Celle-ci paraît, à l'extrême bureaucratique, formaliste et officielle, sans tenir assez compte de la diversité des interlocuteurs possibles. Aussi n'a-t-elle pas pu intégrer les instruments qu'elle pouvait puiser dans l'échiquier politique et la diversité culturelle du pays (sinon, comme on l'a évoqué, en de rares occasions et de façon improvisée). L'image du pays est essentielle dans tout combat diplomatique, elle est cependant restée un souci mineur pour nos diplomates. Le contexte régional et international actuel a, sur des aspects essentiels, changé. Le jeu de la diplomatie algérienne, malgré le cadeau que vient de lui offrir Pretoria, ne peut plus faire illusion comme auparavant. En Europe, comme l'illustre l'évolution de la position espagnole, la question du Sahara est perçue de façon plus réaliste. Aux USA et dans les instances internationales, les problèmes de sécurité et de stabilité sont devenus prioritaires. La marge de manœuvre et d'action de notre diplomatie est désormais plus grande. L'image du pays s'est nettement améliorée, malgré ce qu'en disent les quelques “néo-radicaux” autoproclamés pour qui il n'y a pas eu l'ombre d'un changement. Autant d'éléments favorables mais que notre diplomatie ne sait pas encore suffisamment investir et fructifier. Il faudrait sans doute pour cela qu'elle surmonte ses déficits devenus quasi-structurels si elle ne veut pas se tromper d'époque.