“J'ai vu tuer Ben Barka” sort dans les salles du Maroc Présenté en avant-première mardi 1 novembre au théâtre Mohamed V à Rabat, J'ai vu tuer Ben Barka n'est pas un film sur le personnage emblématique, mais une trame sur son enlèvement et ses assassins. Un film mené avec beaucoup de maîtrise par le duo de réalisateurs Serge Le Péron et Saïd Smihi. À la question est-ce que ce regard cinématographique qu'est le film «J'ai vu tuer Ben Barka» pourrait-il apporter comme éclairage sur le sujet politique ? Serge le Peron, le réalisateur du film est très clair : «Le film ne va pas révéler des choses. Il n'y aura pas de scoops. On ne va pas apprendre du nouveau ni savoir ce qui se cache derrière cet assassinat. Par contre, je crois qu'il va donner un éclairage politique. Parce que ce que nous avons travaillé ce sont les personnages du film. Les figures françaises et celles marocaines. L'histoire est racontée du point de vue du personnage du voyou Figon qui a été au centre de cette affaire à cause de ses relations avec les milieux intellectuels comme Duras et des milieux des voyous et des politiques, proches du SAC gaulliste. C'est plus l'éclairage d'une époque qu'autre chose. On va comprendre comment on pouvait vivre avec des espoirs, comment en face cela pouvait faire très peur, comment les Américains et les régimes en place à l'époque avaient peur de ces mouvements qui se mettaient en marche. C'est à travers la psychologie de ces personnages et leur réalité que l'on va mieux comprendre comment une affaire comme celle-là pouvait avoir lieu.» L'affaire remonte à l'année 1965. Un intellectuel marocain, marxiste de conviction et leader de l'opposition marocaine, est enlevé devant la Brasserie Lipp à Saint-Germain-des-Prés. Les ravisseurs sont des policiers français qui l'emmènent dans une villa de banlieue appartenant à Georges Boucheseiche, un habitué de la pègre, ancien collaborateur de la Gestapo, complice de Pierrot le Fou et de Jo Attia à la Libération, puis membre actif du SAC (le "service d'ordre" parallèle du parti gaulliste). Tenancier d'hôtels de passe à Paris et à Casablanca, Boucheseiche est proche du général Oufkir. Il livre Ben Barka aux services secrets du ministre de l'intérieur de l'époque. On voit les barbouzes qui le torturent à mort, mais le corps du leader marocain n'a jamais été retrouvé. D'emblée, nous sommes loin de la livraison 1972 avec le film d'Yves Boisset, L'Attentat sur Ben Barka avec Michel Piccoli. Serge Le Péron retrace l'histoire de ce guet-apens du point de vue de l'un des personnages-clés de l'affaire, Georges Figon. Et dévoile des aspects méconnus de l'affaire. C'est un projet de film qui a servi de piège pour attirer à Paris l'opposant marocain Mehdi Ben Barka et pour l'enlever le 29 octobre 1965, en plein Paris. Cette trame est au coeur de la narration du film de Serge Le Péron, J'ai vu tuer Ben Barka. C'est le journaliste Philippe Bernier, sur les instances de Georges Figon, lui-même manipulé par les services secrets marocains, qui a présenté à Ben Barka, lors d'un voyage au Caire, l'idée d'un film sur la décolonisation ; intitulé Basta, ce dernier devait être projeté lors de la conférence Tricontinentale prévue en janvier 1966 à Cuba. Avec Georges Franju à la réalisation et Marguerite Duras à l'écriture du commentaire, l'affaire est tentante. Ben Barka accepte de rédiger un synopsis et de venir à Paris pour en discuter avec Franju, Figon et Bernier. Rendez-vous est pris à la Brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain. Ben Barka fut enlevé alors qu'il allait chez Lipp rencontrer Franju et les autres, eux aussi manipulés et qui ne savaient pas qu'oils allaient participer à un crime abominable comme le dira plus tard Marguerite Duras à Figon. Au-delà de l'intérêt de l'intrigue et du travail de recherche que l'on sent de bout en bout du film, c'est aussi le casting qui fait merveille dans ce film. Outre Josiane Balasco, très convaincante dans son rôle de Marguerite Duras et Léaud dans celui de Franju, un coup de chapeau pour Charles Berling qui compose un rôle sublime à mi-chemin entre le rêve et le suicide. Avec “J'ai vu tuer Ben Barka”, Serge Le Péron livre un film fort où le politique est disséqué et où les frontières du mal sont déchiquetées. Avec cette lenteur toute de finesse propre aux grands films noirs des années 70.