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La folle destinée du Major Terhzaz
Publié dans Le temps le 05 - 01 - 2010

Il y a un an, l'un des 12 aviateurs de la mythique escadrille Mohammed V a été condamné à 12 ans de prison. Pour une lettre au roi.
Bakchich, L'Express, El Pais, peut-être demain Le Canard enchaîné et Le Monde… La presse internationale s'entiche de l'affaire du Major Terhzaz, l'aviateur septuagénaire qui a osé défier la grande muette et le Makhzen. Samedi 8 novembre 2008, à 22 heures, des gendarmes sonnent à sa porte, rue Prince Sidi Mohammed, anciennement Allée des Princesses, à Rabat. Ils demandent à voir le Colonel Major pour une déposition. L'officier leur répond : «C'est urgent ? Cela attendra bien demain…». Il referme la porte et entend du dehors : «Vous le regretterez mon Colonel Major». Et pour cause, il sera arrêté le lendemain… Une dépêche de la MAP, datée du 11 novembre, le condamnait avant l'heure pour «divulgation d'informations militaires et atteinte à la sûreté externe de l'Etat» (chef d'inculpation qui sera retenu lors de son jugement le 28 du même mois) et pour «détérioration de domaine et de matériel militaire». Ce dernier chef d'accusation ne figurera même pas dans un procès expéditif.
Une affaire «abracadabrantesque»
L'histoire de Kaddour Terhzaz, franco-marocain de 72 ans, retraité de l'Armée de l'air (condamné plus tard à douze ans de réclusion pour avoir adressé en… 2006 une supplique au roi), est pour le moins «abracabrantesque», pour reprendre l'expression de la journaliste Dominique Lagarde qui lui a consacré un billet dévastateur dans son blog de L'Express. À moins qu'il ne s'agisse d'un règlement de compte ourdi par certains généraux influents, comme le laisse entendre la rumeur. Celle-ci fait état d'anciennes inimitiés de Kaddour Terhzaz avec quelques uns de ses pairs, du temps où il était Commandant en second de l'Armée de l'air. Sous Hassan II, le souverain l'appelait quotidiennement pendant les escarmouches contre les troupes du Polisario. Il faut dire qu'il a souvent eu la dent dure contre Abdelaziz Bennani et Hosni Benslimane, piliers à casquette du régime…
Trois ans avant l'affaire, la famille Terhzaz occupait un logement de fonction. Elle a reçu une injonction la sommant de quitter les lieux dans un délai de trois mois… parce que le quartier allait être rasé pour des raisons obscures. Le Major avait écrit une lettre à sa hiérarchie pour protester contre cette décision. Finalement, son intervention permit aux expulsés (des familles de prisonniers de guerre pour la plupart) d'obtenir un délai d'un an. Mais cela lui avait valu des rancunes manifestement durables…
Pourtant, cet officier supérieur, héros de la guerre du Sahara, marié à une Française – d'où sa double nationalité – faisait partie en 1959 des 12 aviateurs de la première promotion de l'aviation chérifienne formée à l'Ecole de l'air de Salon en Provence. Terhzaz avait eu, sous sa responsabilité directe, dans les années 70 et 80, les pilotes chargés de bombarder, aux confins du Sud, les colonnes du Polisario. Certains d'entre eux ont été faits prisonniers. À l'époque, Hassan II ne voulait pas entendre parler de ces hommes. Ils étaient, à ses yeux, des «disparus» : reconnaître qu'ils étaient prisonniers, c'était, déjà, admettre l'existence de la guérilla séparatiste… Le défunt monarque et sa diplomatie leur demandaient le sacrifice suprême en cas de capture, à l'image de l'empereur nippon Hiro Hito avec ses pilotes de Zéro, kamikazes de la guerre du Pacifique en 1945.
Rayés des tablettes des FAR
En septembre 2003 cependant, grâce à l'activisme de la Croix Rouge, et des témoignages publiés par la presse indépendante, plusieurs d'entre eux ont été libérés. Parmi eux, Ali Najab qui a passé un quart de siècle dans les camps de Tindouf, après que son chasseur Northrop F-5 a été abattu en 1978, lors d'un vol de reconnaissance en zone ennemie. À son retour, Najab est scandalisé pas le climat de défiance qui règne autour des prisonniers libérés, et encore plus par le règlement militaire qui veut (au Maroc, mais pas seulement) qu'un prisonnier de guerre soit rayé des tablettes de l'armée avec le grade qu'il avait le jour de sa prise. Et comme nous sommes au début du règne de Mohammed VI, dans un Maroc qui vit son printemps politique, il crée avec d'autres rescapés une association pour défendre la cause de anciens prisonniers de guerre. Il prend ainsi attache avec Kaddour Terhzaz, dont il connaît le franc parler et, surtout, la carrière qui l'avait menée au firmament de la hiérarchie des galonnés. Du temps de Hassan II, Terhzaz avait déjà été mis hors cadre en 1988 : il avait été accusé d'avoir mis sur écoute Mohamed Kabbaj, son compagnon d'armes mais surtout le sauveur du roi lors du putsch de 1972. Cela dit, les faits n'ont jamais été prouvés, et il a pris sa retraite de manière normale en 1995 en même temps que d'autres officiers. Toutefois, la fameuse dépêche de la MAP, du 11 novembre 2008 , annonçant sa mise aux arrêts, affirmait qu'il avait été mis à la retraite suite à «une mesure disciplinaire». Terhzaz décide alors d'écrire au roi. Sa lettre, très respectueuse, reprend l'argumentation d'Ali Najab, défendant la solidarité dans la chaine de commandement. Il souligne surtout le caractère particulièrement dangereux des missions des pilotes dont les appareils n'étaient pas à l'époque équipés de protections anti-missiles, avant d'en appeler à la «sollicitude» du souverain et de plaider pour des reconstitutions de carrière. La lettre dit aussi que le traitement des ralliés du Polisario à la mère patrie est sans commune mesure avec ceux qui ont défendu le drapeau. Un paragraphe qui le perdra sans doute… Toujours est-il qu'il envoie sa missive au Palais après en avoir remis une copie non finalisée à Najab.
Un secret de polichinelle
Nous sommes en 2005. Kaddour Terhzaz ne recevra jamais de réponse à sa lettre. Mais, trois ans plus tard, il est arrêté. Jugé par un tribunal militaire, accusé d'avoir «divulgué des secrets de la défense nationale», il est condamné le 28 novembre 2008 pour «atteinte à la sûreté externe de l'Etat». Le juge avait invoqué, au terme de deux heures d'un procès sans témoins, l'article 192 du Code pénal qui condamne l'acte en temps de guerre. L'unique témoin à décharge, Ali Najab, ne fut pas autorisé à déposer devant le tribunal militaire, car il a été considéré dans ce procès… comme un civil, parce que retraité. «Dans ce cas, Kaddour aussi devrait être considéré comme civil, parce que lui aussi était retraité», estime sa défense.
En fait, la hiérarchie militaire est entrée en possession, sans que l'on sache vraiment comment, du double de la fameuse lettre. L'inspecteur général des Forces armées royales, le général Abdelaziz Bennani, décide alors de porter plainte contre Kaddour Terhzaz. Avec, en guise d'argument, l'allusion faite par l'officier, dans sa lettre, à l'absence de protection anti-missiles. Ce serait donc cela le «secret» militaire «divulgué» par Terhzaz ? Or, non seulement ce dernier n'a rien divulgué (il n'a jamais rendu publique sa lettre au roi), mais ce «secret» n'en a jamais été un. «Nos avions n'étaient pas équipés de moyens électroniques anti-missiles. Nous le savions et nous sommes quand même allés au combat», déclarait notamment Ali Najab dans une interview publiée le 21 avril 2006 par l'hebdomadaire Maroc Hebdo. Des propos qui ne lui avaient pas valu à l'époque le moindre ennui… «Dans cette lettre, Terhzaz était tout à son honneur, en sa qualité de chef hiérarchique, d'essayer d'aider et de défendre ses anciens officiers, prisonniers du Polisario pendant 25 ans et rentrés au Maroc sans ajustement de carrière ni distinction particulière» argumentent ses proches.
Le caractère expéditif et cinglant de l'accusation (et de la condamnation) est telle que, dans un premier temps, la famille de Kaddour Terhzaz se laisse facilement persuader que les choses vont très vite s'arranger, que le roi, dès qu'il sera mis au courant, interviendra pour faire libérer le prisonnier. Elle se tait donc, pendant plusieurs mois. Mais il n'en sera rien. Son épouse Annie, sa fille Sonia et son fils Selim, accompagné de son épouse et de son petit garçon de six mois, se sont présentés le 3 août 2009 devant le palais royal de Tétouan dans le fol espoir d'être reçus par le roi. En vain. Les enfants de Terhzaz ont même fait le pied de grue devant le domicile du général Bennani 3 jours durant. Finalement, celui-ci a convoqué sa femme et ses enfants de manière très solennelle à l'Etat-major pour leur signifier qu'il ne peut rien faire et que les choses ne dépendent pas de lui… Un cas qui rappelle celui de ce gradé de la Marine royale, condamné lui aussi à la réclusion pour avoir transmis des «informations sensibles» à des tiers.
La France se tait
«Dans un premier temps, jusqu'à cet été passé, nous étions tous persuadés que la vérité allait éclater au grand jour, et que cette arrestation était simplement une mesure d'intimidation. Nous pensions que Sa Majesté Mohammed VI allait le gracier. Il a donc patiemment attendu, devant le caractère invraisemblable de son arrestation, que son dossier fasse partie des différentes grâces officielles rendues par le roi», déclare son épouse. Prenant acte du caractère irréversible de la situation au plan juridique, la famille a entrepris de multiples démarches afin d'attirer l'attention des autorités marocaines et françaises, puis des ONG, sur la situation du prisonnier. Des interventions, au plus haut niveau, jusqu'à l'Elysée, ont été faites. Annie Terhzaz a même formulé officiellement des demandes d'audience auprès de Mohammed VI.
En désespoir de cause, la famille décide alors de contacter certaines personnalités influentes en France. De Jacques Chirac à Carla Bruni, des dizaines de suppliques seront expédiées par la famille du militaire. À Rabat, le Consul de France, qui dépose une requête pour pouvoir rendre visite à Kaddour Terhzaz (qui entre-temps aurait vu ses conditions de détention se durcir) essuie une fin de non recevoir. «Kaddour subit désormais un régime de détention d'une rigueur absolue : isolement sans restriction, privation de nourriture et de couchage, interdiction de communiquer. La situation s'aggrave considérablement. Compte tenu de son âge, de ses problèmes cardiaques, nous avons peur qu'il ne survive pas à cette terrible épreuve», se plaint sa famille.
À Paris, la garde des Sceaux finit par répondre qu'elle ne peut rien faire. Depuis, un site de soutien a été créé sur Internet. Une manifestation est prévue pour le 22 décembre, sur le Parvis des droits de l'homme à Paris, à 300 mètres de l'ambassade du Maroc. «Kaddour a 72 ans, il est à la retraite depuis 14 ans. Cette peine de 12 ans d'emprisonnement équivaut à une peine de mort», se lamentent aujourd'hui ses proches. Depuis sa condamnation en 2008, la retraite de Terhzaz continuait à être versée à son épouse de manière normale… jusqu'à il y deux mois. Elle a été annulée sans la moindre forme de justification.
Mohamed Yazidi
et Hanae Sabri (de Paris)


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