Alors que nous dissertions, plutôt sagement, la semaine dernière sur la question de la liberté d'expression dans notre pays et de son corollaire qui est la nécessité d'installer chez nous, enfin, un code de la presse cohérent et libéral, il s'est passé un événement inquiétant à plus d'un titre. Nous ne pouvons laisser cela passer sans réagir, fermement et même vigoureusement, face à ce que les autorités - c'est par cet euphémisme que nous désignons un pouvoir autoritariste au comportement aberrant - a fait subir à un confrère éminent de qualité et dont le directeur était jusqu'alors secrétaire général de la «Fédération des éditeurs de presse». Nous parlons, bien entendu, de l'action entreprise avec des moyens hors de proportions avec la réalité de l'affaire - si vraiment cette affaire avait une quelconque réalité Les journalistes responsables, en l'occurrence Noureddine Miftah, directeur de l'hebdomadaire arabophone de qualité et de tirage honorable «Al-Ayyam» et la patronne de la rédaction de cette même publication Meryem Moukrim, ont été interpellés de manière musclée, la semaine passée, par une nombreuse formation de la fameuse équipe nationale d'élite de la police nationale judiciaire. Il y aurait eu au minimum plus d'une vingtaine d'agents de sécurité qui, sous la direction d'un hiérarque, a pris d'assaut les locaux de l'hebdomadaire casablancais pour opérer une perquisition musclée afin de rechercher fébrilement «une photographie princière» que l'on ne souhaitait pas voir publiée. Plusieurs heures ont été nécessaires pour finalement relâcher les deux journalistes interrogés après leur interpellation et que tout ce beau monde sécuritaire se disperse bredouille. On reste perplexe devant cet extravagant comportement de nos services de sécurité, d'autant que nous avons appris que «Al-Ayyam» avait écrit au cabinet de la plus haute autorité du pays pour demander l'autorisation de publier une photographie d'une proche du roi, anodine ou pas, nous ne savons ! Précaution prise par nos confrères, après que le quotidien «al-Jarida al-Oula», s'était vu, il y a quelques mois, vertement morigéné par les responsables du protocole royal - monsieur Abdelhadi Mrini, en l'occurrence - pour avoir «publié sans autorisation» des photographies bien sages de princesses. On a jugé pourtant que cette fois-ci, la demande introduite par la direction d'«Al-Ayyam», dissimulait peut-être une ruse pour extorquer une autorisation en vue de publier quelque exécrable abomination. Ce ne sont là, bien sûr, que des suppositions et des conjectures. Dans un Maroc où obtenir auprès de l'administration une simple information d'ordre technique ou même statistique, relève de l'exploit, il est bien évident que tout le remue-ménage suscité par l'intervention tonitruante du commando précité ne peut, en aucun cas, prédisposer à une clarification des choses. Climat délétère et finalement nocif qui n'aide en rien à assainir le climat politique nécessaire pour mener à bien et à terme le chantier de la liberté et de l'expression sans entraves. Pourtant, il faut persévérer et se montrer vigilant sans relâche. Se méfier toujours comme de la peste du dogme : «Il n'y a pas de fumée sans feu» comme du pleutre : «En haut, ils doivent avoir de bonnes raisons pour le faire» Nous avons discouru, avec quelque abondance, de ce regrettable accident de parcours, non pour pousser à la controverse, mais sur les écueils dangereux qui jalonnent à l'évidence notre itinéraire vers la démocratie et la nécessité vitale d'éviter des comportements qui ont leurs racines dans une culture ou d'antan. Celle que nous cru éradiquée, il y a maintenant une décennie et qui ne demande à l'évidence que de resurgir au nom du fallacieux principe de la raison d'Etat ou de la lutte incessante pour conforter l'autorité dans toutes ses nobles expressions. Croire que l'obstacle pour parvenir à l'état idéal de démocratie et de liberté, réside uniquement dans la seule propension naturelle de l'Etat souverain à asseoir son emprise sur le citoyen en particulier et le peuple en général, serait faire preuve de puérilité et d'ingénuité. Nombre de phénomènes concourent à contribuer à retarder plus ou moins l'avènement de l'Etat de droit. Toucher une enveloppe, bénéficier d'un privilège, être rémunéré de manière superfétatoire ou peu orthodoxe sont des pratiques usitées très largement au Maroc. Je connais personnellement, par exemple, des journalistes qui sont millionnaires (en dirhams), ayant reçu pratiquement de tous les walis des dons de terrains dans les banlieues proches des villes du royaume. Aussi, combien d'entre nous n'acceptent-ils pas (quand ils ne les suscitent pas) des agapes, des tournées de bière ou de pastis en échange de services qui, tout bonnement, pourraient être, peut-être, aimablement rendus - plus tard. Les variétés de la corruption active ou passive sont innombrables et il serait fastidieux de les énumérer dans ces colonnes. Il suffit de souligner que c'est là une pratique déshonorante et dégradante qui participe à l'étiolement des pouvoirs vertueux de la conscience. Mais les journalistes sont-ils les seuls coupables dans cette problématique, quand on pense que les patrons de presse payent souvent mal leurs subordonnées, qui se trouvent acculés à recourir à ces indignes expédients de survie. Les plus florissantes entreprises de presse et de médias, en refusant d'indemniser, en simple per diem, leurs employés reporters ou photographes en mission, selon les barèmes imposés par la profession parce qu'ils seraient «pris en charge», ne poussent-elles pas à la complaisance pour le moins ? Alors, pour clore cette petite kyrielle de réflexions désordonnées sur notre champ national de la presse et de la communication, j'ai envie de demander quand, enfin, nous allons commencer, à l'unisson si possible, à révolutionner nos murs pour faire aboutir nos légitimes aspirations à la liberté d'expression - clef de tout le reste pour la construction de l'Etat de droit démocratique ? Nous avons exprimé notre étonnement de voir les partis politiques et ce qui devrait être leur instrument d'action principal, le Parlement, être si peu actifs quand il s'agit de travailler à régénérer la vie institutionnelle du pays pour que de meilleures murs prévalent enfin. Pour conclure, sur une bonne (et conventionnelle) note, puis-je ajouter que très certainement le souverain actuel ne fera pas défaut à cette exaltante entreprise, lui qui a su mettre, depuis dix ans, sur les rails nombre d'uvres de première dimension : le statut de la femme, ne serait-ce. Expérience réussie à prendre pour parangon principalement.