Après la manifestation du 11 juin 2017, à Rabat, en soutien au mouvement contestataire du Rif, j'avais demandé à mon entourage ce qu'ils en pensaient. Ces manifestants soutiennent des séparatistes, dirent-ils. En témoigne l'omniprésence du drapeau de la république du Rif et celui des Imazighen et la quasi-absence du drapeau national. Quel est l'histoire de ces deux drapeaux ? Ceux qui le brandissent versent-ils réellement dans le séparatisme ? Le Rif est une région connue pour son humeur frondeuse et rebelle, sa géographie enclavée, et par les plaies béantes des blessures du passé qui ont du mal à se refermer. Pierre Vermeren, spécialiste français du Maghreb, affirme dans une interview donnée au quotidien français « Libération » qu'au Maroc « le Palais surveille le Rif comme le lait sur le feu ». Cette région est en ébullition depuis plus de sept mois. La mort d'un jeune poissonnier, Mohsine Fikri, surnommé « le martyr de la dignité », la nuit du vendredi 28 octobre 2016, a eu l'effet d'une étincelle sur du bois surchauffé. Mohsine Fikri fut happé par une benne à ordure , dans laquelle il a trouvé la mort dans des conditions obscures.. Un mouvement de protestation était né : Le « Hirak » du Rif. Un mouvement social qui exige que le voile soit levé sur les circonstances réelles de la mort de Fikri et que la justice soit sans merci avec les auteurs de ce crime abject. Depuis, la protestation s'est répandue comme une traînée de poudre et a largement dépassé le cadre de la ville d'Al Hoceima. Du coup, le cahier revendicatif a pris de l'ampleur, avec la dignité d'abord et les revendications sociales et économiques ensuite : l'emploi, les infrastructures sociales (hôpital, université, etc.). Cependant, l'Etat persiste à faire la sourde oreille. Le Makhzen préfère décrédibiliser un mouvement social authentique en l'accusant d'être au service d'un agenda politique étranger et de verser dans le séparatisme et prête l'oreille à des élus qui ne représentent qu'eux-mêmes et à des partis atteints d'obsolescence. Les manifestations à Al-Hoceima, et dans le nord du Maroc, sont devenues quotidiennes dès l'arrestation de Nasser Zefzafi, porte-parole du mouvement. Depuis, les arrestations se comptent par dizaines parmi les leaders de la protestation. Elles touchent également des artistes et des journalistes de la presse écrite et électronique. Le portrait de Nasser Zefzafi côtoie ceux de Mohsine Fikri et d'Abdelkrim Khattabi dans les manifestations. Colorant les manifestations, deux drapeaux : celui de la république du Rif et celui des Imazighen sont devenus des emblèmes brandis avec fierté par les protestataires. Le premier est un étendard rouge, avec en son centre un losange comportant un croissant et une étoile verte à six branches. Ce drapeau remonte à la république du Rif (1921-1926) de Abdelkrim Khattabi, surnommé le « Che marocain », héros victorieux de la bataille d'Anoual. D'ailleurs, Che Guevara aurait rencontré Abdelkrim alors qu'il était en exil au Caire en 1959. La revue « Zamane » raconte que lors de cette rencontre : « Che Guevara avait pris un petit calepin (...) notant minutieusement tout ce que lui racontait Abdelkrim ». Certains considèrent ce drapeau comme un symbole de séparatisme. En vérité, il en est tout autrement. Ce drapeau rappelle une épopée glorieuse du Rif face au colonialisme espagnol. Zakya Daoud, ancienne journaliste, a noté qu'Abdelkrim « voulu le [sultan] concurrencer ni sur le plan religieux ni sur le plan politique ». Il conclut qu'il n'est qu'un « patriote qui désire que son pays ne soit plus sous le joug des étrangers ». Nasser Zefzafi se demande pourquoi les manifestants seraient-ils obligés de hisser le drapeau national à leurs manifestations. Il estime « qu'ils ne sont pas dans une guerre de drapeaux » et que le patriotisme « ne se résume pas dans le drapeau national ». Il conclut que si l'Etat n'avait pas occulté l'Histoire du Rif, nos concitoyens n'auraient aucun problème à ce que les manifestants brandissent le drapeau du Rif ou celui des Imazighen.
De plus, si les Rifains brandissent le drapeau de la république du Rif au lieu du drapeau national c'est pour montrer qu'il y a une différence entre eux et le reste du Maroc. Ils ressentent la « Hogra » qu'on peut traduire par l'injustice, voire l'humiliation sociale. Les Rifains considèrent qu'ils ont été abandonnés à leur sort depuis la révolte du Rif (1958-1959) écrasée dans le sang. N'oublions pas que lors des émeutes de 1984, feu Hassan II les avait alors qualifiés de « awbache » littéralement « déchets de la société ». Le second emblème est un drapeau amazigh. Composé de trois bandes horizontales bleue, verte et jaune. Avec en son centre la lettre (ⵣ) de l'alphabet Tifinagh qui signifie l'homme libre. La couleur bleue fait référence à la mer. Le couleur verte représente les plaines et les montagnes. Quant à la couleur jaune, elle renvoie au désert du Sahara. Chaque couleur renvoie à une composante de Tamazgha, nom que donnent les amazighes au nord de l'Afrique qui a « bercé, depuis l'aube de l'histoire, leur identité, leur culture et leur activité urbaine » comme le souligne Ahmed Assid, militant amazighe. Cet étendard, qui fut proposé par Youssef Medkour et fut officialisé en 1998, n'est pas un signe de séparatisme car il « n'est pas l'emblème d'un pays, mais l'emblème de l'identité culturelle amazighe » estime Ahmed Assid. Il ajoute que ce drapeau « est présent dans chaque pays où se trouve une communauté amazighe : au Canada, en Hollande et en Algérie ». Après avoir expliqué tout cela à mon entourage, ils revenaient à la charge en affirmant que ces manifestations pouraient provoquer la « fitna », qu'on peut traduire par l'anarchie, et faire du Maroc une deuxième Syrie. Mais qui pourrait éveiller cette « fitna » ? Ceux qui réclament leurs droits élémentaires ? Ou ceux qui profitent du statu-quo ?