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Edmond Amran El Maleh: Médiateur de la culture marocaine
Publié dans Albayane le 16 - 08 - 2020

De Parcours immobile jusqu'aux Lettres à moi-même, en passant par Ailen ou la nuit du récit, Mille ans, un jour, Le retour d'Abou El Haki, ou encore, Abner Abounour, le récit tient une place particulière dans l'œuvre d'Edmond Amran El Maleh. De ce fait, il est souvent considéré comme romancier. Ceci est vrai si nous ne prenons pas en considération les nombreux textes qu'il a consacrés à différentes formes d'expressions artistiques.
Des toiles, des noms
Force est de constater que le nombre des textes qu'El Maleh a écrit sur la peinture marocaine est considérable. En effet, depuis son premier texte sur Ahmed Cherkaoui en 1976, El Maleh n'a cessé d'accompagner les peintres marocains. Non seulement il a été à l'origine de plusieurs expositions, mais il a également collaboré à la réalisation de bon nombre de catalogues. En rendant visite aux peintres dans leur atelier et en coéditant des ouvrages avec plusieurs d'entre eux, El Maleh a suivi de près, depuis les années 60 jusqu'à sa mort, l'évolution de la peinture marocaine.
Edmond Amran El Maleh affirme : « je pense que la meilleure expression de la culture marocaine contemporaine, c'est la peinture. La peinture marocaine est essentielle. Elle est infiniment plus avancée, plus ouverte et plus en mesure de révéler les virtualités créatrices de la culture marocaine que la production littéraire. C'est la pièce maîtresse de ma façon de voir les choses. Je me demande parfois si je n'ai pas un œil de peintre».
Cette pièce maîtresse dans la culture marocaine, n'est pas une entité vague, indéfini ou encore moins utopique, c'est une constellation d'hommes et de femmes, qui « en prêtant leur corps au monde, changent le monde en peinture».
Bellamine, Ben Ismail, Ben Yahia, Bouadda, Bouragba, Bourkia, Charrat, Cherkaoui, Diouri, , El Ghrib, El Hayani, Habbouli, Hariri, Kacimi, Kantour, Labied, Melehi, Miloud, Mimouni, Mourabiti, Radia, Yamou...
Pour chacune et chacun, la main œuvre quand l'œil est héritière d'une tradition millénaire. Couleurs, formes, poésie, matière, poésie de la matière, enracinés dans le sol nourricier, attachés profondément à la terre première, al-mghrib, peuple artiste, maroquinier, potier, tapissier, céramiste, forgeron, menuisier, joaillier, artiste artisan, artisan artiste.
Les écrits d'El Maleh battent en brèche la dichotomie art/artisanat. Ils réhabilitent l'artisanat marocain dans ce qu'il a d'authentique et de révélateur quant à la réalité des arts marocains en réinterrogeant le regard sommaire porté jusque là sur la situation de la peinture. C'est une tradition millénaire qui porte en elle la richesse esthétique de la culture marocaine sur laquelle s'érige toute cette création artistique et se déploie. El Maleh met en crise une certaine tendance de la critique marocaine aveugle qui cherche à voir dans la modernité l'expression pure de la création plastique et dans la peinture marocaine une activité toute jeune et récente. Selon lui: les peintres marocains «ne sont pas orphelins de tout héritage, ils n'ont pas vu le jour dans un désert dépouillé de toute expression esthétique. Ils n'ont pas trouvé la grâce de la modernité dans les salles de musée ou dans les classes des écoles des Beaux-arts…».
Edmond Amran El Maleh, dans son refus de voir en la peinture marocaine une héritière de la modernité, évoque dans L'œil et la main Eugène Delacroix qui, durant son voyage au Maroc, affirme que les tapis marocains comptent parmi les plus belles peintures qu'il ait jamais vu, Matisse et son séjour à Tanger où il a admiré les riches possibilités de la lumière, dans d'autres textes il rappelle Klee qui arrive en Tunisie en 1914 et dont le motif des Hammamet s'inspire du travail des artisans, Picasso, influencé par l'art nègre, achète au cours de l'année 1906 chez un marchand parisien, un masque Grebo en bois peint, de la Côte d'Ivoire.
Rappeler que l'art occidental n'est pas un art qui ne procède de rien d'autre que de lui-même, qu'il a été influencé, au fil des temps, par l'expression artistique d'autres cultures venant de divers horizons, remet en cause une certaine hiérarchie qui donne lieu à la suprématie d'un art sur un autre. El Maleh refuse de considérer l'art dit « naïf » comme un art mineur où l'artiste, loin d'être conscient de son rapport à l'œuvre, s'inscrit dans un champ de création qui le dépasse. En témoigne son très beau texte inédit sur Radia Bent Lhoucine, peintre au sens plein du mot, où il rend hommage à ces artistes qu'on a voulu emmurer dans des considérations esthétiques creuses : Louardighi, Ben Allal, Rbati, Ahmed Drissi, El Farouj, Chaïbia...
Des photographies, des lieux
Quand El Maleh aborde les travaux des photographes marocains ou non marocains, il les aborde toujours dans leur rapport avec un espace : villes, quartier, plages, etc.
Certains de ses textes relatifs à l'art de la photographie, ont été élaborés en collaboration avec des artistes photographes. Pour ce qui est de Lumière de l'ombre. Périple autour de Sidi Ben Sliman al-Jazûli il est parti des travaux de Ben Smail, quant à Essaouira. Cité heureuse, c'est un beau livre qui a été fait avec les artistes Kerivel pour les illustrations (aquarelles et gouaches) et Korbendau pour les photographies. En ce qui concerne Asilah des jardins sur les murs, El Maleh, en compagnie de Jean-Claude Forestier (Photographe), a rendu un vibrant hommage à Asilah.
Cependant il est d'autres textes où Edmond Amran El Maleh se place face aux travaux de trois photographes pour se livrer à une méditation sur le geste créateur et l'acte photographique de ces photographes dans leurs rapports avec la ville. Aux travaux de Gasteli, photographe tunisien qui a capté la blancheur de Tanger, El Maleh consacre deux textes où il interroge l'« écriture blanche » et le thème «visible, invisible». Quant aux travaux de Khalid Achaâri et ceux de Touhami Ennadre, il aborde, la dimension picturale de leurs photographies de grand format.
A partir de ces deux catégories, nous pouvons affirmer que les écrits d'El Maleh entretiennent deux relations différentes avec l'acte photographique. Si dans la première catégorie, il est face à la cité (Asilah, Essaouira) dans toute sa dimension complexe qui porte en elle les multiples facettes de l'humain (vie, mort, mémoire, oubli, vicissitude de l'histoire, poésie de la vie quotidienne, rites de passage, etc.) dans la deuxième catégorie de ses textes où il est face à l'œuvre de ces artistes photographes il prend la chaise de Feuerbach.
Autrement dit, la valeur des textes relevant de la première catégorie, ne réside pas en eux-mêmes en tant que tels, ni non plus dans les photographies qui les accompagnent, le texte apporte autant que la photographie lui apporte; la cité (Essaouira, Asilah ou Marrakech) surgit et apparaît, épiphanie dans ses plus belles manifestations, dans l'interstice se trouvant entre le texte et la photographie. Le texte révèle ce qui est caché dans l'image, et l'image dévoile ce qui est latent dans le texte. La photographie et le texte prolongent le monde de la cité et s'inscrivent en lui : «l'image offerte, de par sa nature de reproduction mécanique, se charge soudain de pouvoirs d'évocation, de remémoration d'une parole refoulée dans la matérialité de l'oubli, comment sinon en se détruisant comme image, l'image qui ne serait plus l'image».
Les textes d'El Maleh écrits à partir de l'œuvre des artistes photographes Khalid Achaâri, Touhami Ennader ou Jellel Gasteli, sont des textes de méditation qui laissent transparaître la cité en tant que lieu et non lieu. Les photographies quelles soient de tel ou tel photographe, sont considérées, au-delà de la technique dont ils sont issues traduisent, aux yeux d'El Maleh une approche picturale plutôt que photographique. L'œil et la main du photographe sont l'œil et la main du peintre. L'appareil photographique n'est pas un moyen de reproduction mais un moyen de création. L'artiste photographe, moyennant cet instrument technique de reproduction, crée les conditions nécessaires pour que se manifeste et se révèle ce qu'aucun autre œil n'a pu voir. C'est-à-dire il capte ce qui n'a pas été vu, non ce qui a été déjà vu ou mal vu, ou encore ce qui a été oublié d'être vu. Du trivial le photographe extrait la poésie de l'espace dans toute son ampleur et sa profondeur picturale. El Maleh a pu voir, déceler dans l'œuvre de ces photographes le geste créateur qui donne la conviction au regardeur qu'il n'a jamais vu l'espace photographie, que ce soit Tanger, Assilah ou Marrakech, peu importe.
Des mets, des mots
Dans le documentaire intitulé Le film d'une vie réalisé par S. Derhourhi, beaucoup d'amis d'El Maleh témoignent de son talent de cuisinier. Ainsi s'expliquent les nombreux termes se référant à l'art culinaire marocain dont regorgent ses écrits. La tête et le ventre par exemple, est un texte où El Maleh analyse les grands changements culturels en procédant à un parallélisme avec la cuisine marocaine. Il évoque le tajine, la chermoula, les épices marocaines, le couscous, le poulet au pruneau… Son écriture est donc un lieu où «se rencontrent le mets, le mot, la saveur, le savoir et le sens». Ces références gastronomiques se présentent comme des symboles et des images représentatifs de la culture marocaine. En parlant de Mille ans, un jour dans «L'homme aux semelles de vent », Kilito écrit : «…l'évocation de la cuisine ne peut se faire qu'en arabe, dans ‘ l'alphabet mystique enveloppé dans la coquille d'un mot innocent, zafrane, kamoun, karouya, ibzar, debana, gouza, gouza sahraouia, kharkoum, felfla, soudania, skingbir, madnouss, kasbour''».
L'écriture d'El Maleh ne peut être séparée de sa langue maternelle car elle est l'expression-même de sa marocanité. Conscient de sa condition complexe d'écrivain marocain étant hors de sa langue maternelle dans l'écriture, il affirme « Ecrivant en français, je savais que je n'écrivais pas en français. Il y avait cette singulière greffe d'une langue sur l'autre, ma langue maternelle, l'arabe, ce feu intérieur. ». Cette phrase révèle la raison pour laquelle il introduit des termes en darija dans ses écrits. Il s'agit de son incapacité à formuler en français ce que seul le darija lui permet d'exprimer. « Ce conte me plaît, ‘hlou' ‘ladid' excusez-moi, ces mots seuls peuvent en exprimer la saveur ». De ce débordement de la langue maternelle sur la langue de l'écriture, naît un texte qui porte en lui la façon dont l'auteur appréhende le monde. Ce maniement de la langue lui permet de révéler son caractère pluriel, et donc de se forger un territoire à lui dans la langue adoptée.
En tant qu'écrivain soucieux de nommer le monde, soucieux également de veiller à ce que la langue soit «la maison de l'être», il ne réduit pas la langue à un moyen de communication mais il voit en elle plutôt un moyen d'exprimer l'être. S'agissant de la cuisine, El Maleh est toujours confronté à la question du rapport des mots aux choses. L'art culinaire est « une question de langue» dans les deux sens : organe qui sert à goûter les aliments et à parler, un ensemble de mots et de règles : «La cuisine a ceci de commun avec la poésie qu'elle est intraduisible. Même le mot à mot est hérissé de difficultés certaines. Traduisez, par exemple, beqoula par mauve, bessara par purée de fèves, garnina, par côtes de chardon. C'est sans doute approximativement correct, mais quelque chose manque ; un supplément de saveur et d'âme s'est perdu en chemin. Voyez la triste aventure du smen. On le traduit par « beurre rance », ce qui étymologiquement ne serait pas faux, mais pour un palais, occidental ou occidentalisé, cela évoque le goût d'un beurre vieilli et gâté. C'est bien on le voit, une affaire de langue. Que faire alors ? convient-il de la célébrer, d'évoquer les enchantements subtils de cette cuisine ou bien faut-il en parler prosaïquement, en faisant vœu d'abstinence à l'égard de toute envolée lyrique ? Choix difficile qui risque de vous laisser triste et nostalgique comme devant un tajin absent...» écrit El Maleh.
En étant confronté à des phrases en Darija, en amazigh ou en espagnol dans un texte écrit en français, le lecteur se retrouve face à la complexité, à la diversité de l'identité d'El Maleh. Il faut être bercé dans une culture authentiquement marocaine pour saisir la profondeur de ses écrits.
Médiateur de la culture marocaine ou passeur de la culture du Maroc, Edmond Amran El Maleh crée dans ses écrits des espaces de croisements, des lieux de rencontres où s'instaurent des liens entre l'artiste et l'artisan, une forme d'expression et une autre, le lecteur et la sensibilité artistique profonde caractérisant la terre marocaine, la mémoire et le temps. Fortement attaché à sa terre, nourri des fondements esthétiques issus de la tradition marocaine, se révèlent chez El Maleh, au fil des textes et par le biais de l'écriture, les «virtualités créatrices» qui imprègnent et habitent sa pensée.
El Maleh, dans son entreprise de médiation, rend la personnalité marocaine adéquate à sa propre signification, lui permet de trouver en elle ce qu'il y'a d'absolument authentique la ramenant à elle-même et la rendant ainsi en mesure de posséder les significations qui lui échappent.


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