L'Egypte n'aura pas un Ramsès qui régnera éternellement aussi bien sur les morts que sur les vivants. Avec sa sortie par la petite porte du palais présidentiel du Caire, vendredi 11 février, le dernier président à vie de l'Egypte, Hosni Moubarak, a scellé définitivement l'ère des dirigeants qui voulaient régner impunément et être des dieux vénérés et adorés par la force. L'étincelle de la désobéissance civile, qui est partie de Tunisie, a enflammé les passions en Egypte à la Place de l'Indépendance qui ont acculé le régime totalitaire des militaires à se plier à la volonté populaire. Finalement, Moubarak qui représentait le prototype de dictateur illuminé et ensorceleur dans le monde arabe, a fini par admettre qu'il ne bénéficiait d'aucune légitimité ni de sympathie de la part des citoyens. Bien qu'il dirigeât les destinées des 84 millions égyptiens de main de fer, il a été renversé à l'issue de deux semaines de résistance pacifique qui a uni spontanément toutes les couches sociales. Curieusement, ce scénario est le même qu'avaient vécu la Russie en octobre 1917 et d'autres nations en Europe de l'Est et en Amérique Latine qui avaient pris la voie de la contestation pour mettre à bas des régimes corrompus, cruels et inhumains. Certains régimes arabes, réputés pour leur haine viscérale de leurs peuples, continuent malheureusement de végéter en marge de la légalité. Ils puisent leur force dans la bourgeoisie parasitaire, encouragent la dégradation du service public par l'insertion des pistonnés à tous les niveaux de l'administration, institutionnalisent des comportements immoraux et falsifient des verdicts des urnes. Le régime de Moubarak est cité, à ce niveau, comme un cas de manuel. En l'espace de trois décennies, l'Egypte a reculé dans divers domaines comme dans la production artistique et littéraire, l'enseignement et la justice. A son départ, Moubarak a laissé ainsi derrière lui un héritage envenimé. A l'issue de 29 ans, trois mois et 27 jours, l'Egypte compte le taux de chômage le plus haut dans le monde arabe (22,2%), un gouvernement boudé par la nation, un pays rongé par la corruption et l'analphabétisme et des indices de pauvreté sans comparaison dans la région. Des données crédibles, rendues publiques par des organisations internationales, telle la Banque Mondiale, révèlent les déboires d'un Etat en banqueroute qui est en même temps un très mauvais élève en matière des droits humains. Certains volets d'un rapport de cette institution, intitulé « Doing Business Report 2010”, dressent un bilan accablant pour Moubarak et sa junte militaire à la veille de sa chute. A titre d'exemple, l'espérance de vie moyenne est de 70 ans face à 81,1 ans en Espagne et 72 ans en Jordanie. Le taux d'analphabétisme touche 34% de la population. La rente per capita est de 2.070 dollars, face aux 31.880 dollars en Espagne. De même, l'Egypte campe au 101ème rang dans l'Indice de Développement Humain de l'ONU, et au 84ème rang quant aux facilités d'investir pour les étrangers. C'est aussi un pays où le haut indice des crimes terrorise la population (11.000 assassinats en 2010). L'Egypte est aussi un Etat rongé par la corruption, une pratique qui est devenue institutionnalisée, selon l'ONG Transparency International qui lui accorde une note de 3,1 sur une échelle de 0 à 10. Comme en Tunisie, tous les ingrédients ont été ainsi réunis en Egypte pour rendre légitime une révolution populaire spontanée avec pour mot d'ordre «irhal» (dégage). Avec la chute des régimes totalitaires de Zine El Abidine Ben Ali et de Hosni Moubarak, la communauté internationale se rend aujourd'hui compte que la nation arabe a elle aussi un cœur qui palpite et des poumons qui lui permettent de respirer liberté.