Le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Abdelkader Amara, a exprimé mercredi de vives préoccupations quant aux déséquilibres structurels dans l'orientation des investissements publics dans le secteur agricole, pointant une marginalisation persistante de l'agriculture familiale au sein du «Plan Maroc Vert», porté par Aziz Akhannouch, actuel chef du gouvernement. Prenant la parole lors d'un échange consacré à la restitution de l'avis du CESE sur «l'agriculture familiale de petite et moyenne dimension», M. Amara a relevé que ce modèle d'exploitation, bien qu'il incarne près de 70 % du tissu agricole national, n'a bénéficié que de 14,5 milliards de dirhams dans le cadre des projets dits de «l'agriculture solidaire», contre 99 milliards de dirhams consacrés aux grandes exploitations. M. Amara, récemment nommé à la tête du Conseil, a déclaré : «l'agriculture familiale de petite et moyenne dimension n'est pas seulement une unité de production réduite par la taille ou les moyens ; elle constitue un mode de vie à part entière, garant de la sécurité alimentaire locale, créateur d'emplois, facteur de stabilité rurale et vecteur de préservation des écosystèmes, des savoir-faire et des pratiques agroalimentaires ancestrales». Le CESE souligne que cette agriculture joue un rôle déterminant dans la gestion durable des ressources naturelles, la conservation de la biodiversité et la résilience des exploitations face aux dérèglements climatiques. Un modèle marginalisé malgré son poids dans le paysage agricole Dans son rapport sur l'état des exploitations agricoles familiales, le Conseil observe que les politiques publiques en matière de développement agricole et rural «n'ont pas suffisamment ni efficacement ciblé les acteurs de ce modèle productif», réduisant ainsi leur apport potentiel à la valeur ajoutée agricole et à l'attractivité du monde rural. M. Amara a estimé que «ce segment demeure la composante la plus vulnérable dans les approches en vigueur, tant en matière d'appui technique que de financement et d'accompagnement», en dépit des progrès réalisés dans d'autres pans du développement agricole. L'écart d'investissement public en faveur des grandes exploitations aurait accentué, selon le CESE, les difficultés rencontrées par les petits et moyens agriculteurs : vulnérabilité accrue aux aléas climatiques, flambée des coûts des intrants, perturbation des chaînes d'approvisionnement, morcellement des terres, complexité de leur mobilisation et faible valorisation. Par ailleurs, «la faible structuration des exploitations familiales au sein d'organisations agricoles formelles entrave leur efficacité productive et commerciale», a averti le président du Conseil. Cette fragilité se manifeste notamment dans les projets d'agrégation agricole où l'emprise excessive des intermédiaires génère des pratiques spéculatives défavorables aux petits producteurs. Des mesures ciblées pour une agriculture durable Dans cette perspective, le CESE recommande de hisser l'agriculture familiale de petite et moyenne dimension au rang de priorité stratégique dans les politiques agricoles et rurales nationales, eu égard aux fonctions économiques, sociales et écologiques qu'elle assume. Le Conseil appelle à l'élaboration d'un plan d'action dédié, tenant compte des spécificités de chaque territoire, et comprenant des mesures de soutien élargies aux infrastructures rurales, à la diversification des activités génératrices de revenu et à un meilleur accès aux services publics. Parmi les préconisations urgentes figurent : «pousser les agriculteurs familiaux à adopter des pratiques agricoles durables telles que la rotation des cultures, le semis direct, l'optimisation de l'irrigation ou encore la diversification culturale». Il s'agit aussi de promouvoir, selon le CESE, «des cultures à forte valeur ajoutée, résistantes aux changements climatiques et sobres en eau, comme le safran, l'arganier, le câprier, le cactus ou les plantes aromatiques et médicinales», sans pour autant négliger les cultures traditionnelles (céréales, fruits, légumes, arboriculture) et les activités connexes (élevage ovin et caprin, apiculture, etc.). Structuration, circuits courts et reconnaissance des fonctions écologiques Le Conseil recommande en outre de favoriser la structuration des exploitations dans des cadres coopératifs ou associatifs tels que les groupements d'intérêt économique (GIE), afin de mutualiser les ressources, renforcer le pouvoir de négociation et s'inspirer des expériences agricoles réussies au niveau national comme à l'échelle internationale. «Une telle structuration permettrait de réduire le poids des intermédiaires, de promouvoir des circuits de commercialisation courts et de développer le commerce de proximité, ouvrant un meilleur accès aux marchés locaux et régionaux», a indiqué M. Amara. Autres recommandations phares : «la création d'espaces pastoraux gérés collectivement, dans le respect du principe de rotation, pour préserver les ressources végétales et éviter le surpâturage, ainsi que le soutien accru aux éleveurs pour maintenir les races locales et les croiser intelligemment avec des espèces importées adaptées au terroir». Enfin, le Conseil insiste sur la nécessité de valoriser la transformation des produits agricoles d'origine végétale ou animale, par la promotion de petites unités industrielles locales qui permettraient de renforcer l'économie rurale, de faciliter les circuits courts et d'améliorer l'accès au financement via des mécanismes solidaires, ciblés et innovants. Il convient aussi, selon le CESE, de reconnaître et de gratifier les fonctions écologiques de l'agriculture familiale, «en intégrant ses contributions aux écosystèmes dans les politiques publiques et en créant des instruments financiers incitatifs en faveur de la préservation des paysages, de la lutte contre la désertification, de la sauvegarde des sols et du patrimoine naturel et culturel». M. Amara a conclu en évoquant les défis structurels du secteur : accès restreint aux facteurs de production, recul des semences locales, sous-équipement mécanique, imprévisibilité des précipitations, lacunes statistiques (notamment l'absence de données actualisées depuis le recensement agricole de 2016), et insuffisante valorisation des savoir-faire agraires propres aux différentes zones écologiques du pays.