Vingt ans après son lancement à Addis-Abeba, le Parlement panafricain (PAP), institution de l'Union africaine (UA), n'a jamais obtenu les moyens juridiques, politiques ni institutionnels permettant de réaliser son ambition fondatrice : représenter les peuples africains au sein d'un ordre continental. Dépourvu de légitimité élective, cantonné à une fonction consultative, et instrumentalisé dans les jeux d'équilibre régionaux, il reste aujourd'hui, selon les mots du chercheur Driss Alaoui Belghiti, «un organe sans consistance, mobilisé sans être écouté». Le document de 34 pages publié en juillet par le Policy Center for the New South dresse un constat implacable. Conçu comme une avancée démocratique majeure au sein de l'UA, le PAP devait, selon l'article 17 de l'acte constitutif, «assurer la pleine participation des peuples africains au développement et à l'intégration économique du continent». Mais cette ambition s'est heurtée à une architecture intergouvernementale rigide, où la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement, le Conseil exécutif et la Commission monopolisent la capacité d'action. Faiblesse structurelle et marginalité fonctionnelle Le Parlement panafricain, depuis son inauguration en 2004, demeure un organe essentiellement consultatif. Le Protocole de Maputo (2001) précise que le PAP ne peut exercer de fonctions législatives qu'à la condition expresse d'une décision ultérieure de la Conférence. Les parlementaires qui le composent sont désignés par les législatures nationales, sans aucun mandat populaire direct ou indirect. L'auteur souligne : «Cette absence d'ancrage populaire, combinée à l'indétermination de ses compétences, rend la portée du PAP structurellement fragile». Le Parlement ne peut ni proposer de lois contraignantes, ni interroger les commissaires de l'UA, ni participer aux débats structurants sur la ZLECAf, l'Agenda 2063 ou les questions de paix et sécurité. «La rhétorique d'une participation des peuples se heurte à un vide procédural», écrit Driss Alaoui Belghiti. Cette marginalité n'est pas fortuite : elle découle d'une volonté politique explicite de limiter l'autonomie de l'organe parlementaire. Le Protocole de Malabo : réforme ajournée, volonté neutralisée Adopté en 2014, le Protocole de Malabo devait transformer le PAP en véritable organe législatif de l'UA. Il prévoyait notamment la possibilité de proposer des lois types dans des domaines délimités, l'élection directe ou indirecte des parlementaires et un pouvoir de contrôle renforcé. Toutefois, après dix ans, le texte n'a été ratifié que par treize Etats, bien en-deçà des vingt-huit requis pour son entrée en vigueur. L'auteur dénonce un blocage systémique : «Ce retard ne peut être lu comme une simple inertie technique : il reflète un refus stratégique de certains Etats membres de transférer, même partiellement, une fonction de légitimation politique à une institution continentale». Même dans son contenu, le Protocole ne confère aucun pouvoir autonome : les propositions de loi du PAP doivent être approuvées par la Conférence, sans que cette dernière soit tenue d'en motiver le rejet. «Le glissement formel du PAP vers une fonction législative est consacré, mais immédiatement neutralisé», observe l'auteur. Cette réforme avortée devient alors un outil de légitimation sans substance. «Le Protocole de Malabo apparaît moins comme un tournant que comme une manœuvre d'équilibrage», note-t-il. L'Union africaine proclame son attachement à la démocratie, mais se refuse à institutionnaliser un véritable espace de délibération parlementaire. Instrumentalisation géopolitique et fragmentation interne Le PAP, dépourvu de pouvoir réel, devient un terrain de compétition symbolique entre régions. La crise de 2021, survenue autour de la présidence du Bureau, a illustré cette réalité : l'Afrique australe revendiquait l'application du principe de rotation régionale, face à une opposition de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. L'impasse, marquée par des blocages violents à Midrand, a révélé «la faible robustesse des règles de gouvernance interne» et «l'existence d'un clivage latent entre régions, activable à travers des positions de pouvoir symboliques». La désignation des députés, sans processus électoral commun, reproduit les fractures linguistiques, politiques et historiques. Aucun mécanisme ne permet de structurer des coalitions thématiques ou des groupes parlementaires transversaux. «Le PAP fonctionne selon une logique de représentation nationale égale et, par conséquent, dispersée», résume Driss Alaoui Belghiti. De fait, les résolutions adoptées demeurent sans effet, faute d'unité stratégique ou d'articulation avec les législatures nationales. Loin de refléter une volonté d'émancipation institutionnelle, la présidence du Parlement est souvent utilisée pour satisfaire des revendications symboliques ou récompenser des figures politiques sans visibilité. «Elle manifeste un usage circonstanciel du PAP à des fins de rééquilibrage diplomatique», écrit-il. Même la prochaine présidence, appelée à revenir à l'Afrique du Nord, pourrait s'avérer purement honorifique si aucun changement structurel n'accompagne cette transition. Un organe toléré, mais non investi La conclusion de l'auteur est sévère : «Le destin du Parlement panafricain révèle les hésitations du continent à faire de la représentation parlementaire un vecteur de légitimation politique et d'intégration régionale». Faute de vision partagée et d'engagement collectif, le PAP demeure un instrument de légitimation sans levier, «toléré mais non investi». Trois scénarios sont envisagés : un statu quo de façade, une réforme à la marge sans rupture d'équilibre, ou une désinstitutionnalisation progressive. À moins d'un sursaut politique, porté par une coalition d'Etats désireux de bâtir une architecture continentale véritablement représentative, le Parlement panafricain restera à l'écart. «Le PAP cristallise une tension centrale du projet d'intégration continentale : l'ambition déclarée d'une gouvernance fondée sur la représentation populaire, confrontée à la réalité d'une architecture dominée par les exécutifs».