ENTRETIEN EXCLUSIF La polémique bat son plein dans le Royaume et les commentaires satiriques fusent depuis l'émission, le 30 août dernier, d'un appel d'offre de la société de développement local Casa aménagement, portant sur la fourniture et l'installation de 100 unités de toilettes publiques urbaines dans la capitale économique, avec une estimation globale de 59 millions de dirhams. C'est dire que le coût estimé de l'unité est de 60 millions de centimes, un prix jugé exorbitant par l'opinion publique qui n'a pas ménagé ce projet. Pour tirer au clair les tenants et aboutissants de cette affaire qui meuble encore les discussions des Marocains, nous avons demandé à la société en charge du projet des explications autour de ce montant inhabituel quand il s'agit de toilettes d'abord, de sa rentabilité ainsi que des finalités de cette opération. Entretien avec Driss Moulay Rachid, Directeur Général de Casa Aménagement Hespress FR: Tout d'abord, c'est quand même un marché de 100 toilettes publiques à 59 millions de dirhams. Est-ce que ce montant est justifié ? Driss Moulay Rachid: Un prix qu'on affiche n'est pas un prix qu'on imagine. Il est issu d'un Benchmark qui se fait et d'une consultation préalable vis-à-vis des différents fabricants. Il s'agit de toilettes de dernière génération qui s'installent partout dans les grandes villes du monde. On a fait ce Benchmark dans des villes comme Madrid, Barcelone, Bilbao, Paris, Francfort, Istanbul... Il existe une dizaine de fabricants de ce type de toilettes à travers le monde, et en faisant une consultation nous avons obtenu un certain nombre de prix avec des variations. Donc sur la base d'une moyenne, et de ce qu'on a voulu intégrer dans ces toilettes, nous arrivons à un calcul qui donne ce montant qui est celui d'un appel d'offres. Maintenant il nous faut attendre les offres, qui peuvent dépasser 20% du montant comme être de 25% en dessous de ce chiffre. Hespress FR: Le grand public, lui, ne connait pas les facteurs qui peuvent justifier ce prix, car pour le citoyen lambda ce prix semble exagéré... Driss Moulay Rachid: La majorité des gens, excepté ceux de mauvaise foi, imagine les toilettes comme on peut les voir : une construction avec un carrelage avec des toilettes en céramique... Là, on parle d'un équipement qui est, premièrement, à la pointe de ce qui se trouve en termes d'hygiène. Il y a un lavage systématique de l'intérieur des toilettes après chaque utilisation, aussi bien du sol que de la cuvette et du reste. Elles sont équipées de distributeurs automatiques de savon et d'eau. Nous avons opté pour un modèle qui va être pratiquement exclusif car on ne l'a vu que dans une seule ville et qui permet d'avoir des urinoirs à l'extérieur qui permettront de relever le rythme de la fréquentation. Ce qui est aussi important, c'est qu'elles seront considérées comme du mobilier urbain. C'est-à-dire que demain, en les installant, vous n'allez pas avoir besoin d'une autorisation de l'Agence Urbaine pour un plan d'aménagement ou de devoir faire des travaux de génie civil pour construire, et surtout de devoir les entretenir... D'après l'expérience que nous avons vue dans les différents projets que nous menons, nous assurons que les toilettes classiques ne pourront jamais fonctionner avec l'utilisation que nous en faisons. Quelqu'un qui rentre aux toilettes et qui utilise du papier journal au lieu du papier hygiénique, les canalisations ne résisteront pas quelles qu'elles soient. Ce sont des scénarios déjà étudiés et prévus. Les toilettes seront en acier inoxydable, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, un lavage à jet d'eau chaude et de détergent, et ce qui est important, c'est qu'elles seront à usage gratuit. La ville ne va pas s'amuser à mettre autant d'argent pour la gratuité d'usage s'il n'y avait pas derrière un raisonnement logique. Nous sommes parti sur ce qui est anti-vandalisme, anti-graffiti, sécurité, avec une caméra à l'entrée de l'installation qui permet de surveiller les entrées et sorties, le tout étant relié à un système central qui gère aussi bien les indicateurs à l'intérieur, pour savoir par exemple si le savon ou l'eau manquent, ou si le lavage se fait de manière ordonnée et régulière. La fermeture est programmable aussi. La porte s'ouvre au bout de 15 minutes après sa fermeture manuelle, et une alarme s'enclenche pour éviter que les gens ne squattent les toilettes de l'intérieur... Hespress FR: D'accord, il y a donc toute une technologie derrière ... Driss Moulay Rachid: Oui et une hygiène, un respect de l'environnement, ce qui fait que les prix montent. Mais je tiens à dire que ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel. Madrid a récemment installé 200 unités de ce type, et d'ailleurs ces mêmes gens, ou plus exactement le représentant de l'une de ces mairies, nous a conseillé de ne pas mettre des toilettes payantes parce qu'ils se sont rendus compte que les gens cassaient le monnayeur pour récupérer les pièces. Au lieu de devoir gérer le vandalisme, il valait mieux de trouver une solution. Alors comment pérenniser et rentabiliser ? Nous avons prévu des installations de publicité sur le pourtour des toilettes. Hespress FR: Est-ce que la publicité, à elle seule, suffira à rentabiliser un investissement d'un coût pareil ? Driss Moulay Rachid: La première chose à laquelle a pensé le Conseil et son président est de répondre à un besoin avéré de la population casablancaise. Tout le monde réclamait des toilettes publiques. La deuxième c'est d'avoir le système le plus hygiénique et le plus facile à entretenir. La troisième est d'avoir un amortissement, ne serait-ce qu'une rentrée financière qui permette d'assurer l'entretien de ces installations, et de pouvoir l'amortir sur le moyen et le long terme. Nous avons mis des emplacements pour des affiches publicitaires comme il se trouve ailleurs, de manière à ce que ces rentrées à travers la régie publicitaire, puissent garantir le fonctionnement des toilettes. C'est une opération pilote. Parler de 100 toilettes à l'échelle de Casablanca, avec ses 4 millions et demi d'habitants, est peu significatif. Initialement, on avait même étudié avec le maire et le Conseil la possibilité de le faire dans le cadre d'un partenariat public-privé, mais il s'avère que la rentabilité ne peut pas être au rendez-vous uniquement avec la publicité, parce que l'investisseur a besoin de gagner de l'argent et non seulement amortir son investissement. La publicité ne le rentabilisera pas, à moins de rendre les toilettes payantes. Et même un tarif de 5 à 10 dirhams n'est pas l'objectif. Ce n'est pas la conception de la chose que portent les autorités de la ville. Donc on s'est dit: On lance une première opération, on voit ce que ça donne et après on peut l'élargir vers un partenariat public-privé avec un financement conjoint ou une autre formule.