Chaque année, des centaines de femmes marocaines traversent le détroit pour la saison de la récolte des fruits rouges en Espagne. Une campagne de migration circulaire entre le Maroc et l'Etat ibérique, qui a permis à plusieurs femmes de milieux défavorisés, d'améliorer leur situation financière et celle de leurs familles. Mais à quel prix? Sauf que cette campagne de migration circulaire connait plusieurs défaillances que ce soit du côté marocain ou espagnol. Hespress Fr reviendra dans ce dossier de plusieurs parties sur ces défaillances. Nous consacreront ce papier de la série à la discrimination que vivent ces cueilleuses marocaines de fruits rouges. Les saisonnières marocaines comme on les surnomme également, sont sélectionnées selon plusieurs critères (mariées, veuves, divorcées, en situation précaire ...) par l'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC) qui assure l'intermédiaire entre les travailleuses et les agriculteurs espagnols. Cela dit, Noor Amar Lamarty, fondatrice et présidente de la plateforme numérique « Women By Women« , qui lutte pour le développement des droits des femmes et pour une communication féministe, nous affirme qu'un autre critère est pris en compte, et de manière prioritaire, à savoir l'analphabétisme en plus de la précarité et la pauvreté extrême. « Mais pas pour leur venir en aide, c'est plus pour être sûr qu'elles ignorent leurs droits, et surtout qu'elles n'ouvriront jamais leur bouche, ni devant les autorités ni les médias, sur les conditions de travail, le harcèlement, et les menaces qu'elles subissent chaque année« , nous confie Nour de Women By Women. « Nous voulons la dignité, être écoutées, ne pas être jetées quand ils le veulent, quand ils n'ont pas besoin de nous » Noor Amar Lamarty est une juriste de profession. Depuis des années, elle a rencontré et écouté le témoignage de plusieurs cueilleuses de fruits rouges en Espagne. Le genre de témoignages qui vous donne la chaire de poule. « L'histoire de Malika, dans le cas présent, fait partie de la dénonciation que nous faisons depuis Women by Women (…) Lorsque j'ai commencé à essayer de comprendre ce qui se passait avec les travailleuses journalières marocaines qui n'ont pas pu venir travailler en Espagne cette année, j'ai malheureusement pu apprécier la déshumanisation avec laquelle on parlait d'elles. Une déshumanisation qui a fait de nous tous, lecteurs, les complices de titres d'articles qui les traitent, de manière écœurante, comme de simples chiffres« , nous confie Noor. En effet, la campagne de migration circulaire 2021 a connu quelques pépins. Il s'agit de 1.000 à 1.200 qui, ayant reçu leur contrat à l'origine et procédé au paiement total des droits de visa et de déplacemen, et après une année éprouvante de Covid-19, n'ont pas été sélectionnées pour la cueillette de fruits rouges à Huelva pour la deuxième année consécutive, nous assure Noor. Ces femmes-là ont tenu un sit-in le 12 avril devant le siège de l'ANAPEC à Casablanca pour dénoncer cette injustice, alors que les agriculteurs espagnols affirment auprès de la presse avoir besoin d'elles et accusent le Maroc de gangrener la campagne, tandis que l'ANAPEC rejette en bloc ces accusations. Pour l'Agence, ces femmes protestataires « ont reçu un contrat l'année dernière, pour la campagne de 2019/20. Cette année, elles n'ont pas reçu de nouveau contrat. Ce qui était prévu au début avec la partie espagnole pour la campagne de 2020-2021, c'est le recrutement de 14.500 saisonnières marocaines. 12.741 sont d'ores et déjà parties (…) Pour les femmes ayant manifesté devant son siège à Casablanca, leurs noms ne figuraient pas dans cette liste », affirme l'ANAPEC, renvoyant la balle dans le camp espagnol. Le blocage vient-il du Maroc ou de l'Espagne ? On l'ignore. En tout cas, plusieurs femmes en situation très précaire n'ont pas pu traverser le détroit en cette période pandémique. Cela n'a fait qu'accentuer encore plus leur misère comme en témoigne Malika auprès de Noor Lamarty. Huelva était la seule chance que j'avais Malika est une mère de trois enfants, qui était contrainte de se marier à l'âge de 16 ans avec une homme plus âgé qu'elle. Elle est née et a grandi dans une zone rurale très peu développée de la province de Khouribga. Elle a été forcée par son époux d'interrompre ses études, et puis les enfants ont commencé à arriver raconte-t-elle à Noor. À 20 ans, elle avait déjà ses trois enfants. Après plusieurs problèmes avec son époux, qui se droguait, elle a décidé de quitter la maison sans pour autant avoir la possibilité de récupérer ses enfants, vu la notoriété dont jouit la famille de son époux. Ce n'est qu'après de longues années de combat et de lutte qu'elle a finalement pu avoir ses enfants à ses côtés. Interrogée sur sa décision d'aller travailler dans les champs de fruits rouges en Espagne, Malika a confié que « décider, c'est beaucoup dire« . « C'était la seule chance que j'avais d'avoir un bon revenu pendant une courte période, même si le travail est très dur (…) Les femmes comme moi qui n'ont pas fait d'études sont condamnées à la pauvreté. C'était un sacrifice très dur d'aller travailler pendant 3 mois, j'avais très peur de ce qui allait arriver à mes enfants. Pour la première fois de ma vie, j'avais les moyens de subvenir aux besoins de ma famille pendant quelques mois et de les aider dans leur éducation car ils en avaient vraiment besoin, l'éducation au Maroc n'est pas gratuite, contrairement à ce que l'on dit« , raconte-t-elle. Malika prie et attend « Je prie pour qu'ils nous appellent afin que nous puissions aller travailler dans les champs de fraises. Je fabrique et vends du pain aujourd'hui. Il y a un stand de gendarmes près de chez moi et ils achètent mon pain. Nous n'avons pas d'autre source de revenus. Pour ce Ramadan, ne n'avons pas de quoi acheter parfois de la nourriture pour le ftour (rupture du jeûne). Nous n'avons pas d'aide, nous sommes tous abandonnés. Nous venons tous de situations très difficiles. Et la fraise, Huelva, le travail à l'extérieur pendant quelques mois, a été notre salut et celui de nos enfants. Je ne veux pas vivre en Espagne, je veux juste que mes enfants puissent aller de l'avant, dans leur propre pays, pour étudier », confie Malika. Et d'ajouter dans son témoignage à Women by Women, « nous voulons la dignité, être écoutées, ne pas être jetées quand ils le veulent, quand ils n'ont pas besoin de nous. Nous ne sommes pas des intellectuelles, mais nous savons que nous pouvons revendiquer nos droits et nous le faisons. J'étudie pour avoir du pouvoir sur ma vie. J'ai l'impression qu'en général, on se moque constamment de nous parce que nous sommes sans éducation et sans formation ».