La régionalisation à l'épreuve La politique de la régionalisation, au Maroc, s'est avérée une stratégie de marque pour apaiser les tensions sociales, endiguer les aspirations séparatistes et sauvegarder l'unité nationale. L'amorce d'une réflexion politique sur la régionalisation au Maroc a toujours été conditionnée par des enjeux politiques. L'idée même de région, plus ou moins nouvelle au Maroc, ne peut être comprise en dehors du contexte historique, dans lequel elle s'est construite. Démonstration. Régionalisation à la marocaine La régionalisation est marquée par deux tendances complètement opposées : le premier cheminement préconise une nouvelle forme de conciliation entre unité nationale et aspirations régionalistes. C'était la position de la France sous l'égide du Général De Gaule, qui s'exprima, en 1968, en faveur de ce cheminement : “ l'effort de centralisation ne s'impose plus. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de la puissance économique de demain”, disait le général. La deuxième tendance, commandée par le centre, essaie de s'approprier les demandes véhiculées par les mouvements régionalistes et affaiblit leur fréquence et l'intensité des distensions qui en découlent. C'était la position du Maroc depuis les années 70, et qui s'est confirmée, par la suite, dans les discours officiels. En effet, c'est dans une interview au journal Maroc-Soir, du 9 septembre 1992, que le Roi Hassan II affirma ce cheminement : “ on doit voir chaque région porter le sceau de ses propres spécificités sans pour autant mettre en cause l'unité nationale”. De ce point de vue, la politique de la régionalisation est considérée comme une opération “d'intégration” par laquelle l'Etat tourne à son avantage les réclamations régionalistes. Le camouflage économique Au Maroc, la régionalisation s'apparente à un processus de “stabilisation politique” qui emprunte souvent la voie économique ou développementaliste pour s'y déployer. Ainsi, en 1971, l'Etat avait mis en place les “régions économiques” Puis, la réforme régionale de 1997 les avait consacrées, constitutionnellement, comme des collectivités locales. D'après les architectes du projet, la création de la région a pour objectif d'éradiquer les “inégalités régionales” en matière de développement. Pourtant, s'il est vrai qu'historiquement l'axe littoral (Chaouia, Tadla, Sebou et la zone Nord-Est) avait toujours bénéficié, à lui seul, d'un secteur moderne et de programmes de développement socio-économique, il n'en demeure pas moins que les vraies raisons derrière l'adoption de la région relèvent, avant tout, d'un ordre politique. En fait, l'objectif de ce détour par l'économique, notamment par la mise en place d'un “programme national de développement”, visait l'apaisement des tensions socio- politiques, qui avaient marqué le Haut-Atlas oriental et le Rif, au lendemain de l'indépendance. Vue sous cet angle, l'approche régionaliste n'était que le parachèvement de la domestication des ambitions indépendantistes, qui émaillaient la région de Abdelkrim Khattabi. Cette politique a doublé d'ampleur sous le règne du Roi Mohammed VI, puisque le développement de la région du Nord s'affiche parmi la priorité des priorités du régime. Consensus sur fond régional La réforme régionale de 1997 avait permis au Roi Hassan II de jouer la carte de “l'autonomie régionale” pour préparer le consensus politique et la succession de la monarchie alaouite. Ce faisant, la régionalisation faisait partie d'une stratégie de stabilisation qui visait deux objectifs principaux : d'un côté, réduire les mécontentements dus à la crise socioéconomique qui traverse le pays. De l'autre, consolider la légitimité de la monarchie, par la recherche de nouvelles tournures d'alliances et de nouveaux axes de soutiens, susceptibles d'amorcer “l'alternance politique”, qui allait rapprocher le palais de l'ex-opposition. De plus, cette décision répondait parfaitement aux revendications des partis politiques pour une décentralisation régionale. Le Sahara à l'heure de la régionalisation La tendance au séparatisme d'une province (Catalans, Bretons, Flamands, par exemple) est un phénomène universel. Au Maroc, la situation est différente puisque la régionalisation était conditionnée, uniquement, par l'intégration des aspirations régionalistes dans une logique sacro-sainte, à savoir : l'unité indivisible. Dans ce registre, la régionalisation s'est avérée une stratégie de contre-balancement pour contrecarrer les revendications d'autonomie de quelques entités ethniques et socioculturelles. C'est le cas, justement, des séparatistes sahraouis menés par le front du Polisario. Et encore une fois, le pouvoir central a décidé de jouer la carte du développement pour appâter les séparatistes. Cela explique en partie pourquoi la région du Sud s'est taillée la part du lion des fonds consacrés au financement des projets de développement régional. L'objectif du pouvoir central était de réactiver la légitimité de la communauté sahraouie envers la monarchie, par la mise en place d'un programme de développement continu. D'ailleurs, l'approche régionaliste s'est confirmée par le Roi Mohammed VI, qui s'est dit prêt à octroyer aux séparatistes une large autonomie dans le cadre de la souveraineté nationale et de l'accord-cadre proposé par James Baker à l'ONU. Séparatisme apprivoisé À l'heure actuelle, le Maroc tente timidement de mettre en œuvre une régionalisation plus “conciliatrice” avec les séparatistes sahraouis. Mais, le risque d'une telle manœuvre est de taille : l'incubation du séparatisme régional (amazigh par exemple). Sans compter l'engagement obligatoire de l'Etat marocain à adopter le mode d'élection des régions au suffrage universel. D'où la probabilité de voir émerger un gouvernement autonome incontrôlable. Pourtant, dans les faits, tous les indicateurs politiques infirment l'éventualité d'un séparatisme régional. D'ailleurs, cette situation est consolidée par l'unanimité qui marque les positions de tous les acteurs politiques sur la question. En somme, ceux qui croient que le régionalisme au Maroc déboucherait irréversiblement sur un séparatisme ne sont pas près de voir ce scénario se réaliser. La raison en est toute simple : le pouvoir central n'a pas la moindre intention de céder aux revendications régionalistes autonomistes. Au contraire, celui-ci s'ingénie à les intégrer, les approprier et à les retourner en sa faveur. C'est, en tous cas, dans cette logique que le Maroc entend assimiler les séparatistes sahraouis. Une logique centralisatrice fidèle à un régionalisme de “proximité” plutôt qu ‘un régionalisme qui tend vers la séparation.