Dans toutes les grandes démocraties, on considère que l'élection municipale, celle du Maire, est un moment fort de la vie politique. La participation populaire y est généralement très élevée, parce que c'est l'élection de proximité par excellence. Les gens votent par rapport à des considérations concrètes, un projet pour la ville, les transports publics, l'environnement, ou les taxes locales. Chez nous, à l'inverse, les « jamaât » ont très mauvaise presse, tous des voleurs selon la vox-populi. Cette généralisation est assurément abusive, il y a bien quelques honnêtes gens dans cette jungle, mais le système en entier sent mauvais. Dès les élections, jusqu'à la constitution des bureaux des différents niveaux des collectivités locale, provinciale et régionale, l'éthique et la transparence sont malmenées. La charte communale donne pourtant des responsabilités énormes aux élus. Ce sont les collectivités locales qui gèrent les voieries, les transports publics, l'aménagement urbanistique, l'environnement, le trafic routier, les marchés, la distribution d'eau et d'électricité, les services d'hygiène et bien d'autres domaines. Elles sont en grande partie responsables de la qualité de vie dans l'agglomération qu'elles gèrent. Cependant les citoyens ne leur accordent que très peu de crédit. C'est l'une des principales faiblesses de la construction démocratique au Maroc. La qualité des élus, leurs manigances, en sont la cause. C'est se cacher derrière son petit doigt que de ne pas reconnaître cet état de fait. La responsabilité incombe à tout le Monde. L'administration a honteusement faussé les élections en 76 et en 83. Elle a favorisé l'émergence de bureaux faibles, dirigés par des « notables » ou tout simplement des candidats affairistes, ayant du cash pour acheter les voix des électeurs et ensuite des élus. Dès 1993, les cadres politiques, les cadres tout court, ont déserté le terrain des candidatures et l'on a assisté à l'émergence de véritables spécialistes, une « élite nouvelle », ayant ses propres méthodes de proximité. Malgré la volonté d'assainir, en 2003, on n'a pu empêcher la machine de fonctionner à nouveau et la plupart des présidents doivent leur place, non pas à des accords politiques mais à des relations mafieuses. Les partis politiques assurent largement une part de responsabilité dans le gâchis. Ils ont démissionné face à cette faune des « spécialistes » appelés notables de manière inappropriée. N'ayant plus de canaux, d'organisations leur permettant une véritable proximité avec la population, ils ont abdiqué et préfèrent faire la courte échelle au « moins pourri » selon leur discours, ils auraient pu jouer la mobilisation des citoyens autour d'un projet, seulement ils n'en ont pas. Jamais aucune liste n'a proposé un projet chiffré pour l'agglomération concernée. Les slogans proposés relèvent souvent… du législatif, du national. La balkanisation fait le reste. La constitution des bureaux est une tragi-comédie, où certains séquestrent ceux qu'ils ont achetés pour éviter qu'ils trouvent un mieux-disant parmi les concurrents. Peu d'organisations partisanes contrôlent après ceux qui ont été élus sous leur couleur d'où des combinaisons incompréhensibles à l'arrivée, que les partis couvrent au nom des « réalités locales », alors qu'il ne s'agit que de souk aux pourris. Les électeurs ont leur part de responsabilité, ceux qui vendent leurs voix d'abord, ceux qui votent pour des considérations de complaisance et ceux qui ne votent pas. Ces derniers sont le réservoir de voix sur lequel peuvent compter des listes propres, présentant des profils intéressants et surtout des projets pour les villes. Tant que cette jonction n'est pas faite, et elle n'est possible que si l'action des principaux partis est réformée, leur permettant d'agir dans la proximité et de retrouver une partie de leur crédibilité, le combat est perdu d'avance. Mais l'image que l'on se fait du fonctionnement de ce bazar est inexacte. Les élections et la manière dont elles sont truquées, l'enrichissement illégal, les liens avec l'administration territoriale, ne sont pas aussi simplistes que le « tous voleurs » veut bien le signifier. C'est ce que nous voulons dévoiler dans cette autopsie d'un désastre.