Adieu Azizi Tombée de rideau. Saïd Saddiki n'est plus. La triste nouvelle était dure à croire, tant il est vrai que “Azizi”, pour les intimes, a toujours été du côté de la vie. Il la tutoyait. C'est pourquoi aussi, nous n'avons jamais pensé possible que Saïd Saddiki allait, à 74 ans, tirer sa révérence, comme à son habitude, c'est-à-dire en silence. Avec son départ, c'est toute une page du théâtre et de l'écriture marocains qui est tournée. Une page ? Oui et qui dure depuis les premiers jours du théâtre dans le pays. Cet art qui a grandi dans l'ombre d'un des vétérans et fondateurs de “Masrah Annas”. Depuis les premiers balbutiements, les premiers visages, les premiers rôles jusqu'à devenir une institution nationale de l'art dramatique. Saïd Saddiki a été de toutes ses productions et de toutes ses œuvres. Il les a marquées de son sceau d'artistes. Reconnaissant, le public marocain lui rendait la pareille et réservait un accueil des plus chaleureux… De “Al Majdoub” à “Madinat Annouhass”, de “Al Maghrib Wahid”, à “Arras Chaâkouka”, son empreinte, indélébile, en témoigne. La plume de Saddiki, sa culture, sa connaissance des gens et l'ouverture sur l'Autre dans sa diversité, se sont conjuguées pour créer un monde féerique et ensorcelant que son frère, Tayeb Saddiki, présentait au public : un hymne à l'art, et à la vie. Cette splendeur ne l'engloutissait pas. C'est qu'il trouvait toujours un moment pour sa solitude, sa solitude poétique. Le poète se cachait pour faire jaillir ce qu'il y a (encore) de plus beau en lui. Et en nous. Ses chroniques, sur nos colonnes, acerbes mais sans méchanceté, ont toujours été constructives. Elles révèlent son caractère, sa capacité d'être à l'écoute des autres. On y découvre essentiellement la force de dompter la langue, sa maîtrise. Le théâtre n'est pas le seul à porter son deuil. La presse, non plus.La vie aussi a perdu en lui un ami extraordinaire qui n'a pas eu de cesse à lui donner un sens. Aux yeux de tous ceux qui l'ont côtoyé.Ses calembours, ses anecdotes, parfois humoristiques, souvent assassines se suivaient et se succédaient à tel point qu'on a cru que la mort n'osera plus l'interrompre et le ravir à ses amis, à tous ceux qui l'ont aimé… On imagine, cependant, qu'il était doux et magnanime avec la franchise. Comme à son habitude avec tout le monde.De son vivant, Saïd Saddiki a été très joyeux, ce “déraisonnable”, que sa mort dénue de tout sérieux. Ses écrits nous ont intimement convaincus que rien, dans ce bas-monde n'est plus sérieux que de rire et de tourner en dérision les hommes politiques, les idées extravagantes et les habitudes ennuyeuses… Mais, hélas, la douleur humaine, la perte d'un écrivain doublé d'un journaliste nous font réaliser le mal de son absence. Son départ est, pour le Maroc, la perte d'une bibliothèque vivante, d'une mémoire vive et d'un écrivain dont la sincérité a fait de tous ceux qui sont passés par son monde critique, les amis de sa plume. Il n'était pas modeste qu'il est, du genre qui cherche les feux de la rampe, les tambours battants des médias… Il n'avait, en fait besoin que de la paix avec lui-même. Une paix durable pour vivre, ses nuits et ses jours, comme un ascète. Le fin fond de son être était pour lui ce que le monastère paisible est pour un guerrier : un havre. Ainsi fut sa vie. Ainsi fut sa mort. Adieu Azizi.