Henri Kissinger, l'ancien secrétaire d'Etat américain, vient d'être rattrapé par son passé. Il est accusé d'atteintes aux droits de l'Homme dans les années 70, en Amérique Latine et en Asie du Sud-est. Il a trop de sang sur les mains, peut-être beaucoup plus encore sur la conscience. Toutefois, on savait d'avance qu'il ne serait jamais jugé, même s'il était impliqué jusqu'au cou dans le fameux “ plan Condor ”, qui a coûté la vie à des milliers d'opposants aux dictateurs latino-américains. Cela, même s'il a admis, dans une conférence privée, que le gouvernement américain de l'époque avait “ commis des erreurs ”. Les tribunaux de la grande démocratie qu'est l'Angleterre n'oseront pas aller très loin dans leurs enquêtes, de peur, non seulement de contrarier les Etats-Unis, son principal allié, mais d'ouvrir une boîte de Pandore à très haut risque, qui ne se refermerait pas de sitôt. Car, à titre d'exemple, beaucoup d'amis intimes des chefs d'Etat occidentaux figurent parmi ceux qui devraient comparaître à la barre du Tribunal international de La Haye. Ceci, bien entendu, si les choses se font dans la transparence, loin des pressions des “ grands ”. On verra alors, peut-être, Shimon Pérès -donneur d'ordre dans le génocide de Qana au Sud-Liban- et, évidemment, le bourreau, Ariel Sharon, qui vient de signer son troisième acte de massacres avec ce qui s'est passé à Jénine et Naplouse. Quoi qu'il en soit, l'histoire démontrera encore une fois que le sang est lourd ; tout comme le passé, qui rattrapera un jour ou l'autre ceux qui ont ordonné de le faire couler. Et quoi qu'ils fassent, ils n'échapperont jamais ni à la justice divine ni aux rendez-vous de l'histoire. Tout cela pour rappeler que Pères -prix Nobel de la paix- et d'autres responsables israéliens ont affirmé récemment à Valence qu'ils étaient prêts à affronter une enquête internationale concernant les massacres de Jénine. Ils affirmaient n'avoir rien à cacher. Mais lorsqu'une mission a été formée, présidée par le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, le gouvernement Sharon a annoncé son refus de coopérer avec elle, car “ elle ne comprend pas d'expert en matière de terrorisme ”. Et, comme à l'accoutumée, le modéré, super-menteur, Pérès, a tout de suite fait volte face, revenant sur ses déclarations sans même avoir à se justifier. L'attitude de l'Etat hébreu était attendue. Il n'y a donc pas eu de surprise ; d'autant plus que les Palestiniens ne se faisaient pas d'illusions là-dessus, pas plus que sur les intentions des responsables israéliens. Les raisons sont banales : Tel-Aviv a beaucoup de choses à cacher à l'opinion publique internationale. Et si Sharon est maintenant à l'abri d'un jugement concernant son implication dans les massacres de Sabra et Chatila parce qu'il est au pouvoir, il ne le sera plus demain. Il aura à s'expliquer sur ses nouveaux crimes en Cisjordanie. Le gouvernement de coalition a donc commencé à poser des obstacles, tout en misant sur les pressions que pourrait exercer Washington sur l'équipe onusienne dirigée par l'ancien président finlandais Martti Ahtissari. Ce fin démocrate, attaché aux principes des droits de l'Homme et aux libertés des peuples, ne monnayera en aucun cas ses convictions et ne cèdera pas aux pressions. L'objectif de Sharon et de ses associés dans les massacres consiste à gagner le maximum de temps, d'une part afin que les preuves soient effacées ou perdues; de l'autre, parce qu'il espère que le monde libre oubliera peu à peu les horreurs commises à Jénine et Naplouse. Israël, la soi-disant seule démocratie de la région, a aujourd'hui une peur bleue du changement, certes graduel, intervenu notamment dans l'opinion européenne. De là nous pouvons comprendre l'acharnement des porte-parole du gouvernement Sharon contre tous les représentants des institutions internationales qui ont réussi à visiter les villes meurtries de Cisjordanie. Le lobby pro-israélien au sein de l'ONU a réussi à intégrer quelques experts en terrorisme au sein de la mission qui devrait se rendre dans la région. Mais, en revanche, il n'a réussi à retarder que pour quarante-huit heures son arrivée sur place, ce qui compliquera ses tentatives pour atténuer l'ampleur et le ton du rapport qui sera établi. Mais il n'arrivera pas, en fin de compte, à masquer les réalités : les témoignages sont si nombreux et si accablants que les autorités israéliennes ne pourront avoir gain de cause. La dernière tentative dans ce sens, émanant du secrétaire d'Etat Colin Powell, n'a rien apporté aux Israéliens. Le fait de déclarer qu'il “ ne voyait, jusqu'ici, aucune preuve tangible sur des massacres commis ou l'existence de fosses communes à Jénine” a jeté un doute profond sur sa crédibilité. La presse américaine s'était déjà interrogée sur sa neutralité lors de son voyage en Palestine, où il s'était abstenu de visiter Jénine alors qu'il s'était rendu à Netanya et dans les villes frontalières avec le Liban. En dépit de ce que les Israéliens veulent présenter comme une victoire sur les Palestiniens et sur leur chef, Yasser Arafat, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni mercredi dernier pour examiner un projet de résolution réclamant la fin du siège du quartier général du président palestinien à Ramallah. Le lendemain, les pays donateurs réunis à Oslo ont décidé d'octroyer 1,2 milliard de dollars à l'Autorité palestinienne. Cela veut dire que tout ce qu'a fait Sharon jusqu'ici pour rayer celle-ci de la carte est tombé à l'eau. La bataille politique contre l'occupant redémarre avec force, même si le gouvernement des extrémistes en Israël tente d'anticiper en créant de nouvelles colonies en Cisjordanie et autour de certains quartiers d'Al-Qods. La ville sainte est à nouveau au cœur de cette bataille. Les Palestiniens et les Arabes se tournent aujourd'hui vers le Maroc et son jeune Roi, le défenseur des lieux.