Enquête sur les dessous du scandale foncier de Marrakech Les faits. Tout a commencé le 17 janvier 2005 lors de la visite du Roi d'Espagne Juan Carlos et son de épouse Sophie au Maroc. Le choix du couple royal s'est porté sur Marrakech où le Souverain s'est rendu pour accueillir ses invités de marque. Comme à l'accoutumée, c'est le Palais royal de Jenan Lekbir, sis route de Fès, qui a été désigné pour abriter le couple royal en visite officielle au pays. Alors qu'il se rendait à la résidence royale, le Souverain s'arrête quelques moments sur le boulevard, et jette un regard sur un pâté d'immeubles (R+3) à perte de vue, et récemment bâtis à proximité du Palais royal. Le voisinage n'est pas encombrant, au contraire, mais là ou le bat blesse, c'est qu'il surplombe les murailles de la résidence du Souverain. Le constat est flagrant, inquiétant, et provoque la colère du Roi Mohammed VI qui ordonne immédiatement un compte rendu à ses proches collaborateurs, entre autres Rochdi Chraïbi. Vite dit, vit fait. L'heure est grave. Une fiche sera le même jour transmise au cabinet royal. Elle livrait les noms des promoteurs, la superficie du terrain, le circuit des autorisations de construire, la qualification de la zone d'habitation (qui s'est avérée zone villa ), le schéma urbanistique de la région, le plan d'aménagement initial et les additifs intervenus depuis 1999… Entre temps, les chantiers, une bonne partie a été déjà vendue, sont mis en veilleuse. Le Roi Mohammed VI donne ses consignes pour qu'une enquête soit ouverte. Le dossier est entre de bonnes mains et l'affaire est confiée aux hautes autorités du pays. L'enquête n'est qu'à son commencement et déjà les responsabilités, partagées entre plusieurs administrations publiques, sont préalablement déterminées. Ministère de l'Intérieur, Wilaya de Marrakech, préfecture de Sidi Youssef Ben Ali, Agence urbaine de la ville, commune et municipalité de la région, sont cités à tour de rôle, dans les différents rapports transmis au cabinet royal. Premier à être contacté par Rochdi Chraibi n'est que Mohammed Hassad, l'ex-wali de Marrakech. Celui-ci est convoqué le soir même au Palais royal qui lui signifie le mécontentement du SM le Roi quant aux irrégularités constatées sur le chantier Boukraâ au Jenan Lekbir. Hassad ne trouve rien à dire et promet au proche collaborateur du Souverain de mener son enquête sur le terrain. Il prend attache avec les trois promoteurs immobiliers concernés : Haj Atlassi, Abou Riwayat, et Lahlou. Une réunion ad hoc est tenue le soir même à la wilaya de Marrakech et l'ensemble des intervenants sont appelés à rendre des comptes. Chacun se défend comme il peut, et chacun puise de tout son argumentaire pour écarter toute responsabilité sur ce qui s'est passé sur cette zone " royale ". Certains promoteurs, notamment Haj Atlassi, vont aller jusqu'à proposer la démolition des immeubles en question, pourtant autorisés, pour réparer le préjudice subi. D'autres vont proposer la construction d'un haut mur qui cacherait la vue des habitations sur la résidence royale. Désabusé, Mohamed Hassad prend attache avec le Palais royal et transmet illico presto les conclusions de sa réunion avec les parties concernées. Puis, silence radio. Les mois passent sans qu'aucun ex-responsable de la ville de Marrakech ne soit ni interrogé, ni non plus inquiété. L'affaire prend alors l'allure d'un scandale "étouffé". Faux. En juin 2005, un vaste mouvement de mutation touche l'administration territoriale. Mohamed Hassad, qui a accompli un travail remarquable à la ville ocre et dont le bilan est plus que reluisant, est appelé à prendre les destinées de la wilaya de Tanger-Tétouan et il est remplacé par Mounir Chraibi, l'ex-directeur général de la CNSS. Les immeubles objet de litige, eux, sont toujours en stand by. Les promoteurs immobiliers piégés, à leur tour, ne savent plus ou se donner de la tête. Et enfin, les acquéreurs des appartements voisins du Souverain attendent les permis d'habiter. L'attente ne durera pas longtemps puisqu'une commission centrale du ministère de l'Intérieur, présidée par l'inspecteur général du même ministère ainsi que Me Mohamed Naciri, l'avocat du Palais royal est dépêchée sur place en début du mois d'août 2005. L'ordre de mission est bien claire : définir les responsabilités de toutes les parties dans ce dossier et éclaircir les zones d'ombres de cette affaire. Le dossier est réouvert contre l'attente de tout le monde. La commission installe son QG à la wilaya de Marrakech et démarre ses investigations. Les convocations sont par la suite envoyées aux ex-responsables de l'administration centrale de Marrakech ainsi qu'aux promoteurs immobiliers. Sur la liste figure Mohamed Hassad, en sa qualité d'ex-wali de la ville, Mohamed Daoudi, l'ex-gouverneur de la préfecture de Sidi Youssef Ben Ali, Habibi, l'ex-gouverneur de l'agence urbaine de la ville, Addellah Rafouch, le chef de l'arrondissement Anakhil, Rachid Ben Driouche, le responsable du service de l'urbanisme d'Anakhil, ainsi que les trois promoteurs immobiliers, Haj Atlassi, Abou Riwayat et Lahlou. La commission du ministère de l'Intérieur interroge les personnes convoquées, épluche méticuleusement les dossiers, étudie les plans d'aménagements de la zone, et se déplace même sur les lieux pour constater de visu les anomalies et les dysfonctionnements des résidences en question. Selon des sources dignes de foi, proches de l'enquête et qui ont requis l'anonymat, l'affaire des immeubles de Jnane Lekbir remonte en fait à 1996. Avant même l'arrivée de Mohamed Hassad, cité à tort dans ce dossier, à la tête de la wilaya de Marrakech. Lorsqu'une commission multipartite, composée de l'autorité locale, l'agence urbaine, la préfecture et la municipalité, ont apporté des modifications sur le plan d'aménagement de la zone pour y construire des immeubles au lieu des villas. Le nouveau plan d'aménagement est confié au ministère de tutelle, le ministère de l'Intérieur, qui l'approuve en 2000, soit quatre années après, sans même demander consultation auprès du secrétariat particulier du Souverain. À souligner que dans ce cas de figure, note un spécialiste de l'urbanisme, l'approbation du secrétariat particulier du Souverain, après étude du dossier, est une condition sine qua non pour que le projet voit le jour. Ce qui n'est pas le cas dans ce cas d'espèce. Ensuite, le nouveau plan d'aménagement a transité chez le département de l'Habitat et de l'urbanisme sous le contrôle à l'époque de Mohamed El Yazghi, qui l'a ratifié avant de le transmette à la primature, en l'occurrence à Abderrahmane Youssoufi, le Premier ministre du gouvernement de l'alternance, qui l'approuve également, avant d'être publié sur le bulletin officiel BO. En clair donc, le nouveau schéma d'aménagement prévoit légalement la viabilité du terrain pour y abriter des immeubles (R+3), donc une zone d'habitation qui comprendrait aussi bien des villas que des immeubles. En 2001, les terrains sont mis en vente. L'affaire est prometteuse et intéresse plusieurs prometteurs immobiliers qui se jettent dessus. Ils s'enquièrent de la situation ainsi que de la réglementation de la zone auprès de l'agence urbaine et les architectes des promoteurs établissent des plans de construction d'immeubles ( R+3 ). Une fois les plans approuvés, les autorisations de construire sont par la suite délivrées par les autorités de la ville. Les chantiers démarrent alors. Mohamed Hassad, alors wali de la ville ocre, ne se doute de rien. Mais absolument rien du tout. Pour lui, la procédure a été respectée et le nouveau plan d'aménagement de la zone a été approuvé par les hautes autorités du pays. Idem pour les promoteurs immobiliers qui n'ont fait qu'investir dans la région. Les appartements se vendent comme des petits pains ( la fourchette des prix ne dépasse guère les 500 000 Dh ) et suscitent un intérêt particulier des MRE et autres casablancais qui ont choisi Marrakech pour y avoir des maisons secondaires. Tout le monde y a trouvé son compte jusqu'à la découverte du pot aux roses par le Souverain. Depuis, ce qui reste des chantiers ( à peu près 12000 m2 ) est arrêté et les permis d'habiter sont bloqués. Interrogé par LGM, Haj Atlassi, très connu dans la ville de Marrakech, nie catégoriquement toute connaissance des irrégularités qui ont pu entacher la transformation du plan d'aménagement initial de ladite zone : " Je suis un promoteur de bonne foi. Tout ce que dit la presse sur moi est faux. Je n'étais à aucun moment impliqué dans une quelconque histoire de falsification ou de fraude des autorisations de construction qui m'ont été dûment accordées par les autorités de la ville. Et de toutes les façons, comme je l'ai affirmé à Fouad Chraibi, le chef de cabinet de SM le Roi Mohammed VI, et à la commission d'inspection, je suis prêt à procéder dès demain à la démolition de tout ce que j'ai construit. Ce qui m'intéresse, c'est uniquement la bénédiction de Sidna à qui je réaffirme mon entière loyauté et mon dévouement". Et Haj Atlassi de lâcher : " ce sont les autres promoteurs ( il fait allusion à Abou Riwayat et Lahlou ) qui sont plus concernés par cette affaire. Mes immeubles sont loin de la résidence de Sidna… et Malgré cela, je leur ai proposé sans aucune contrainte de construire un mur de protection, mais ils me l'ont refusé ". L'avis de Haj Atlassi est partagé par Adil Abouhaja, le président de l'association de promoteurs immobiliers à Marrakech. "Dans cette histoire, je pense que les promoteurs qui ont construit à proximité de la résidence royale l'ont fait de bonne foi. A mon avis, il faut chercher du côté des autorités locales, notamment les anciens responsables de la ville, qui ont procédé aux modifications du plan d'aménagement de la zone litigieuse ". Au jour d'aujourd'hui, on en est là. La commission d'inspection relevant du ministère de l'Intérieur a rendu son rapport final, au courant de la semaine dernière, à qui de droit pour prendre les mesures nécessaires à l'encontre des personnes dont la responsabilité a été trouvée dans cette affaire de fraude à grande échelle. La logique veut que le dossier de Marrakech soit confié par la suite au ministère de la justice en vue de déclencher les poursuites contre tous ceux qui ont violé la réglementation de l'urbanisme et surtout la sécurité du Souverain, seul habilité à trancher dans ce genre d'affaires.