Une belle rencontre que celle avec les parrains du Rap, ces extraterrestres au grand cœur, ces magiciens des mots : IAM. Ceux qui ont donné un vrai sens au Rap français, ont enflammé la scène de l'OLM dimanche dernier et sont entrés dans le cœur de tout marocain, ayant eu la chance de les avoir côtoyés. Ils viennent pour la première fois au Maroc en 25 ans et pourtant, ce n'est pas par manque de volonté. L'occasion se présente aujourd'hui à Mawazine où ils ont livré un concert parfait dimanche 1er juin sur la scène de l'OLM. En effet, Akhenaton, Shurik'n, Kheops, Imhotep et Kephren n'ont pas pris une ride ! Echange, flow et timbre de voix qui font résonner les doux «maux» qu'on leur connaît, le groupe est plus à la page que jamais et n'a rien à envier aux «petits jeunes». Une vivacité sur scène, un show son, image et lumière digne des prédécesseurs du Rap français. Un plaisir pour les yeux et les oreilles. De chansons en chansons, le public adhère, répond et reste bouche bée devant les improvisations de Shurik'n et Akhenaton. Un des moments les plus authentiques de Mawazine, toutes éditions confondues dont le public et les nombreux fans qui les attendaient, se souviendront longtemps. Martiens un jour, martiens toujours... De leur premier album : «De la planète Mars» en 1991 à «Arts martiens» le dernier en date, le groupe surfe sur ce côté extraterrestre du Rap. En effet, on peut ne pas aimer «cette musique bruyante et violente» comme la qualifierait certains, mais on ne peut qu'aimer IAM. IAM, c'est autre chose. Quand le Rap est devenu l'incitation à la violence, le négativisme ou les clips bling-bling avec voitures et femmes presque nues, IAM, c'est le verre à moitié plein, beaucoup d'humilité, des leçons de vie, de vrais textes et de vrais images. IAM c'est plus qu'une histoire de Rap, une histoire de goûts musicaux, c'est de la poésie en «beat». «À l'époque, en pleine scène rock et variété, arriver avec du Rap français, c'est sûr qu'on nous prenait pour des martiens», s'amuse Pascal Perez, dit Imhotep. «On est arrivé, avec des noms d'Egypte, des coupes bizarres, des fringues encore plus bizarres, c'est vrai que ça donnait matière à réflexion», continue Shurik'n de son vrai nom Geoffroy Mussard. En effet, arriver avec des noms de pharaons égyptiens, était un peu difficile à avaler ou à retenir, mais c'est dans l'esprit des fans très vite, et à vie...Cet attrait pour l'Egypte est un amour pour l'histoire et la Méditerranée, que les Marseillais ont essayé de véhiculer. «L'amour de l'histoire en général. On s'intéressait au monde de la Méditerranée, à l'Egypte et à l'histoire du monde. Les programmes d'histoire en France n'incitent pas à l'ouverture sur le monde. Ce qui fait que d'anciens présidents disent en arrivant à Dakar : l'homme africain n'est pas assez rentré dans l'histoire. Je pense surtout que c'est lui qui n'a pas assez ouvert de livres d'histoire. Si on voit l'histoire à travers l'aspect gréco-romain, on aura forcément une vision tronquée», raconte Akhenaton, de son vrai nom Philippe Fragione. Un engagement vis-à-vis de l'histoire et un respect du passé qui permet d'avancer, tel a été le leitmotiv d'IAM et une des raisons de leur succès. Plus qu'une famille, ces amis de longue date décident de faire un «break» après l'énorme succès du groupe «L'école du micro d'argent». «Dans la foule de L'école du micro d'argent, on a enchaîné une grande tournée», commence Akhenaton avant de laisser la parole à son acolyte : Shurik'n : «Je pense que dans nos têtes, il n'y a jamais eu de volonté de carrières personnelles. C'était plus des projets, des idées, des aires d'autoroute, mais il n'y a jamais eu de volonté de faire carrière solo. Aucun de nous n'a eu ce calcul là. C'est au feeling, les albums sortent en fonction de l'humeur. Tout ce qui se passait en parallèle était une sorte de bonus, cela nous servait pour alimenter une expérience en plus et l'apporter au groupe, mais on n'a jamais réfléchi en termes de carrière. C'est pour cela que ceci n'a jamais gêné le fonctionnement du groupe». En effet, le groupe ne sortira plus d'album pendant 7 ans avant de reprendre le chemin des studios pour sortir un nouvel opus en 2013. «Arts martiens», suivi d'un album «IAM» six mois après. «Ce sont des pauses, des respirations pour retrouver une inspiration, trouver un recul pour revenir au groupe. La priorité était de revenir au projet du groupe à chaque fois», rappelle Imhotep. «Pour donner naissance à un album, il est important pour nous que les choses se passent dans les meilleures conditions possibles. Nous avons décidé d'aller enregistrer à New-York. Au lieu d'être chacun dans sa chambre d'hôtel à la star système, nous avons loué une grande maison où nous vivions tous ensemble. On mangeait ensemble, c'était une vraie vie de groupe, c'est très important pour nous», explique Akhenaton. 6 mois plus tard naissait un autre album pour profiter des derniers souffles de leur contrat avec leur maison de disques.... Et si «demain c'est loin» ? Aujourd'hui, les bruits courent qu'il s'agit du dernier album du groupe, de leur dernier concert au Maroc. Faux ! Le groupe a terminé son contrat avec sa maison de disque Universal et n'aura donc plus d'album sous ce label. Reste à savoir ce que le groupe a décidé pour la suite ? «C'est le dernier album signé mais on continue à faire de la musique et de la scène. En termes de contrat, la réalité est encore floue», mais comment penser que le groupe a fini de sortir des albums alors que le bonheur de l'avoir retrouvé n'est pas encore assouvi ? «On ne pense pas que le Rap, c'était mieux avant. On pense que ce sera mieux demain. Notre musique est évolutive et dire que c'était mieux avant, c'est reconnaître sa mort. On espère qu'elle va continuer, que les jeunes reprendront le flambeau, pour continuer à porter cette culture, cette musique». Le groupe qui aime la jeunesse et l'encourage, avoue ne pas avoir encore assez de recul quand à la nouvelle scène française. «On est encore dedans, on n'a pas assez de recul. On a beaucoup de choix aujourd'hui, les outils pour ne pas subir la musique mais la choisir. Nous, il y a des formes de rap qui ne nous intéressent pas. On fait ce que devrait faire les médias, on ne colporte pas, on ne critique pas. On préfère parler du positivisme, voir le verre à moitié plein qu'à moitié vide» et ce positivisme va encore plus loin : «Il y a des groupes de jeunes qui sont très bien. Des gamins de 17-18 ans qui écrivent bien et composent très bien. À l'ère d'internet, on a tendance à se tourner vers les choses négatives alors que ce serait tellement plus bénéfique que de parler de ces jeunes là qui ont des choses à dire». Cependant, ce côté optimiste du groupe qui donne du baume au cœur, s'arrête lorsque l'on parle du sujet qui fâche : la politique. «Je ne sais si on besoin de davantage d'IAM mais on a surtout besoin de plus d'ouverture en France. On a tendance à mettre les choses négatives en avant. On a également besoin d'engagement des artistes. Les artistes sont devenus plus frileux ces 15 dernières années. Ils sont obsédés par le fait de plaire à tous les publics et de ratisser large. On réagit en tant que parents. Vivre dans un pays où le Front national obtient 25 pour cent me pousse à voter avec les pieds, c'est à dire déménager, ce qui est vraiment énervant, c'est que certains justifient ce vote en étant un vote contestataire, mais c'est vraiment une obsession xénophobe et raciste. C'est important que des artistes prennent position pour contrebalancer ce poids. Le drame, c'est nous, c'est que des chaînes passent leur temps à passer des images sur l'insécurité et la violence à longueur de journée. Ils prennent le fait divers de la dernière page d'un journal et en font une information principale. Cela alimente la peur chez les gens». Alors on danse le MIA...IAM est clair. La France va mal, mais il y a de l'espoir encore et toujours et cet espoir c'est la musique. Quand on pense au poids que leurs morceaux ont eu dans la vie de nombreux jeunes désorientés, on peut dire que la musique est un remède qu'on n'utilise pas assez. Les chansons qui ont marqué certes les gens, mais qu'en est-il de celles qui ont marqué le groupe ? «Le morceau qui a fait vraiment le tour, qui a réellement touché nos fans, c'est «demain, c'est loin», c'est une réelle photographie de ces années 90, de nos vies, de nos quartiers, de notre culture, des relations entre nous. Celui-ci et la «fin de leur monde» ont le plus marqué je crois. Ce sont des morceaux importants pour le groupe», avoue Akhenaton. Après avoir parcouru le monde avec leur musique, ils sont friands de projets musicaux avec des groupes traditionnels car pour eux le Rap se marie aussi bien aux musiques d'Asie, qu'à celles de l'Afrique. «J'aime beaucoup la Dakka Marrakechia et il y a beaucoup de possibilités de fusion avec ce genre de musique», souligne Akenathon avant de balancer une réalité qui nous fait du bien : «La musique Rotana n'est pas notre tasse de thé, on préfère les folkores, les musiques traditionnelles». Et c'est avec ce même respect pour la culture des pays, que le groupe brandit le drapeau marocain à la fin d'un concert qui restera dans les annales. «Merci pour l'accueil, pour l'amour, les beaux sourires» sortent de la bouche d'Akhenaton avant la fin d'un concert sincère et touchant car sorti du cœur. Après une prestation, une seule chose à dire : Akhenaton, Shurik'n, Kheops, Imhotep et Kephren, merci d'exister...